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Vous avez publié, le 16 mars dernier, un communiqué intitulé « Le ministère a-t-il décidé que les élèves de terminale cesseraient de travailler à partir du mois d’avril ? ». Qu’est-ce qui a déclenché votre ire ?

La cause occasionnelle a été l’annonce par le ministère de l’Education nationale que les élèves de terminale pourraient connaître leurs notes d’épreuves de spécialité dès le 14 avril, soit près de 82% de leur note finale du baccalauréat. D’où notre crainte d’une très forte démobilisation, voire d’un absentéisme.

Vous enseignez au lycée Richelieu de Rueil-Malmaison (92), qu’en est-il sur le terrain ?

Il y a un contraste saisissant entre les deux premiers trimestres et le dernier. Je n’ai pas constaté un absentéisme massif mais le climat a changé. J’en ai souvent discuté avec mes élèves : ils sont sortis épuisés des épreuves de spécialité. L’un d’entre eux m’a dit : c’est comme si après avoir couru un marathon, on me demandait un jogging ! Les solliciter immédiatement après le passage des épreuves de spécialité pour se remettre au travail, préparer l’épreuve de philosophie ou le grand oral, c’est trop, ils ont besoin de souffler, disent-ils.

Surtout qu’ils ont également passé une bonne partie de leur deuxième trimestre à monter leur dossier Parcoursup. C’est une autre raison de notre hostilité : on leur demande d’apprendre à se vendre dans un projet motivé, de faire valoir des engagements, de rédiger une lettre de motivation, nul ne peut d’ailleurs vérifier s’ils en sont bien les auteurs… Pour eux, l’enjeu de la classe de terminale, c’est Parcoursup. Cela détourne leur attention et les accapare psychologiquement.

Le troisième trimestre compte-t-il encore pour quelque chose ?

Si nous parlons de Parcoursup, il ne compte que pour les élèves qui ont à en passer par la procédure complémentaire. Ce qui est inadmissible, c’est le fait que la plateforme impose son propre calendrier à l’année de terminale. Nous sommes en contact avec nos collègues de l’enseignement supérieur et ils nous disent que les notes des épreuves de spécialité ne sont pas un critère déterminant dans la sélection des dossiers, ni même un critère significatif.
Le fait que les élèves aient accès à leurs notes instaure un climat délétère dans les classes. Certains lycéens ont découvert à la mi-avril que leur bac était compromis, tandis que d’autres criaient victoire. Dans ce contexte, il est très difficile de les remobiliser pour l’épreuve de philosophie ; certains savent que même avec 2 ou 3/20, leur réussite à l’examen est déjà jouée.

Quelle était la position de l’Appep face à la réforme du bac ?

Nous y étions hostile. La raison principale ? Nous savions que l’épreuve de philosophie se retrouverait totalement isolée et vidée de son enjeu. Et de fait, elle est devenue insignifiante et a été invisibilisée. Plus personne n’en parle. Lorsque le ministère a tapé du poing sur la table, après les vacances de printemps, pour appeler les élèves à se remettre au travail, qu’avons-nous entendu comme arguments ? La mention sur le livret, la préparation aux études supérieures, ou celle du grand oral, mais jamais il n’a été question de l’épreuve de philosophie. Je le déplore mais ne l’explique pas. D’autant qu’à l’époque, Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’Education nationale, avant insisté sur le fait qu’elle serait l’épreuve universelle. Mais elle a été réduite à une épreuve insignifiante…

Que demandez-vous ?

Avec plusieurs autres associations de professeurs spécialistes, nous demandons d’abord le report des épreuves de spécialité à la fin de l’année scolaire et une remise à plat des réformes. Ce que nous constatons, c’est que la réforme du lycée, l’instauration de ce système de spécialités, a totalement bouleversé les équilibres et génère une forme de concurrence entre les disciplines. Une concurrence qui contribue à une sorte de « dumping » des notes. Les professeurs ont tout intérêt à bonifier leurs notes pour que les lycéens continuent de choisir leurs spécialités. Plusieurs élèves de mon établissement ont notamment abandonné Humanités, littérature et philosophie (HLP) parce qu’ils savent que telle ou telle autre est notée plus généreusement au bac. La réforme les incite à faire des calculs d’apothicaire. Un autre témoignage m’est arrivé aux oreilles cette année autour de l’épreuve d’HLP : pour qu’elle survive, il faut 14 de moyenne nationale. C’est totalement aberrant de raisonner ainsi.

Vous demandez aussi une réévaluation du coefficient de l’épreuve de philosophie.

Oui car il est inférieur à celui de l’épreuve de grand oral alors que sa préparation est très exigeante. Nous fournissons un énorme travail toute l’année de terminale. La philosophie a clairement été déclassée, elle est passée au second plan.
Ce que nous constations à l’époque, dans la filière littéraire, c’est que les huit heures hebdomadaires de philosophie permettaient aux élèves les plus fragiles de progresser, les professeurs pouvaient les accompagner. La spécialité HLP ne le permet pas. Nous étions sensible à l’argument du déséquilibre des filières, mais le système ne s’est pas amélioré avec la réforme, bien au contraire… Il faut réfléchir en bonne intelligence et repenser un système plus lisible, loin de la jungle des spécialités qui amène les étudiants à faire des choix stratégiques pour accéder à telle ou telle formation du supérieur.

Pap Ndiaye, a demandé de repousser les conseils de classe pour éviter l’absentéisme. C’est une solution selon vous ?

C’est un vœu pieux ! Le calendrier, en fin d’année scolaire, est très contraint ! Le troisième trimestre s’étire dans une forme de vacuité. En salle des profs, certains disent avoir l’impression de vivre un jour sans fin… Nous sommes présents mais sans savoir vraiment ce que nous sommes supposés faire. Il y a une espèce de consternation. Les contradictions générées par les réformes commencent à apparaître. Au retour des vacances de printemps, les familles les ont éprouvées lorsqu’elles devaient motiver leurs enfants à retourner au lycée. Un véritable « calvaire » pour certaines. Ce n’est plus le mois de juin qu’il faut reconquérir mais toute la fin d’année !