Article publié le 4 novembre, mis à jour le 16 novembre

Trois amendements relatifs à la loi sur la programmation de la recherche ont été adoptés au Sénat dans la nuit du 29 octobre, proposant notamment de recruter les enseignants-chercheurs directement au sein des universités concernées, et non plus avec la qualification du CNU (Conseil national des universités).

Cette étape doit initialement garantir une homogénéisation du recrutement au niveau national, ainsi qu’une indépendance de la recherche vis-à-vis des intérêts de chaque université.

Un « archaïsme » français ?

Ce dispositif typiquement français est critiqué depuis de nombreuses années et a fait l’objet de plusieurs tentatives de suppression, notamment celle de 2013 qui s’était heurtée à une vive opposition et avait finalement été abandonnée. Emmanuel Macron annonçait dès 2017 vouloir remettre le débat sur la liberté académique à l’ordre du jour et permettre aux établissements du supérieur de recruter plus librement, « suivant les standards internationaux de qualité et d’indépendance. » C’est chose faite : le projet de loi sur la programmation de la recherche est en passe d’être définitivement adopté, passant entre les mains d’une commission mixte paritaire cette semaine.

Aujourd’hui, la qualification du CNU est attribuée par une section d’universitaires qui vérifie chez le candidat ses compétences en tant qu’enseignant, et en tant que chercheur. Cette qualification nationale permet ensuite au candidat de postuler dans les universités en se présentant devant un comité de sélection. Elle doit garantir « le statut national et le caractère équitable de la gestion des carrières des enseignants-chercheurs », rappelle le CNU dans une pétition contre ce nouveau texte.

Que dit l’amendement ?

L’amendement du sénateur Jean Hingray offre aux universités la possibilité de « déroger à la nécessité d’une qualification des candidats reconnue par l’instance nationale, afin d’élargir les viviers des candidats potentiels et de fluidifier l’accès aux corps. » Concrètement, les maîtres de conférences titulaires candidats aux postes d’enseignant-chercheurs pourront se passer de la qualification du CNU dès lors que l’université qui les recrute y a été autorisée.

Cette dérogation se fait « à titre expérimental » et fera l’objet d’un rapport d’évaluation du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES) début 2025. Les disciplines de médecine, d’odontologie, de pharmacie « et celles permettant l’accès au corps des professeurs des universités par la voie des concours nationaux de l’agrégation » ne sont pas concernées.

Pourquoi cette mesure est-elle contestée ?

Le CNU a publié une pétition contre l’amendement sur les enseignants-chercheurs et dénonce une mesure qui « ouvre la voie à la suppression de leur statut de fonctionnaire d’État. » Seize collectifs et syndicats ont publié un communiqué demandant le retrait, voire l’abandon de l’amendement.

Un retrait qui est également souhaité entre autres par Sup’Recherche-Unsa et par le Collectif des Sociétés savantes. La CPU en propose une réécriture, tandis que la SGEN-CFDT soumet de nouveaux amendements pour remplacer ceux du 29 octobre. Deux tribunes appelées « Il faut défendre le Conseil national des universités » ont été publiées : celle de Franck Fischbach, président de la section de Philosophie du CNU, sur Libération – et celle du Journal du Dimanche réunissant les signatures de quarante universitaires. Cette dernière a été publiée ce samedi 14 novembre, en même temps qu’une motion de la Conférence des Doyens de Droit et de Science, qui « rappelle son opposition » à l’amendement.

Le sénateur Pierre Ouzoulias craint quant à lui une « juxtaposition d’établissements totalement indépendants » et regrette un « retour en arrière, aux facultés de l’ancien temps. »

Dans un article de Marianne, la députée Muriel Ressiguier dénonce une atteinte au « statut de fonctionnaire » et une mise en « compétition » des enseignants-chercheurs : « c’est la fin d’une certaine sérénité. Pour ne pas être inquiété et obtenir des financements, vous serez tenté de répondre à tous les appels à projets pour vous faire bien voir. » Assiste-t-on à une mise en danger de la recherche fondamentale ? Doit-on craindre une évolution du fonctionnement de l’université vers celui de l’entreprise commerciale ?

Lors de la tentative de suppression de 2013, Frédérique Vidal elle-même avait pris part à une pétition et évoquait une « fragmentation du système universitaire français et son évolution vers un régime à plusieurs vitesses. » Aujourd’hui, la ministre de l’Enseignement supérieur se dit pourtant favorable à l’amendement de Jean Hingray.

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