
Les élèves s’endormiraient davantage en classe… C’est en tout cas ce que déplorait Laurent Frajerman, professeur agrégé d’histoire depuis vingt-cinq ans, habilité à diriger des recherches en Sciences de l’Éducation et de la formation, dans un post sur le réseau social LinkedIn. Interrogé par nos soins, il confirme : « J’ai toujours vu de temps en temps un élève s’endormir en cours. En général, je réplique par un peu d’humour. Mais ce qui me frappe désormais, c’est l’ampleur que ça prend. A plusieurs reprises, j’ai sanctionné, insisté pour que les élèves se relèvent mais c’est devenu trop fréquent. Ça a changé de dimension », témoigne-t-il. Laurent Frajerman enseigne dans un lycée parisien agréable et n’y voit pas un signe de désintérêt ou de résistance scolaire. Les raisons, selon lui, sont à chercher ailleurs…
Assoupissement en cours : Des causes variées
De nombreux professionnels de l’enseignement ont commenté son post et émis des hypothèses sur cette fatigue : pratique des écrans le soir (jeux vidéo, réseaux sociaux, séries…), emploi du temps chargé, nombreuses activités extrascolaires, temps de trajet important entre le domicile et le lycée, conditions de vie difficiles, alimentation trop riche en sucre et féculents alliée à de la sédentarité, angoisse (pression scolaire, état de la planète, risque de guerre…), déclin de la santé mentale… Une enquête sur la santé mentale et le bien-être des adolescents, publiée en avril 2024 par Santé publique France, révélait ainsi que 51 % des collégiens et 58 % des lycéens présentaient des plaintes psychologiques ou somatiques récurrentes, en particulier des difficultés à s’endormir.
Là encore, l’enseignant n’y voit pas une cause directe. « Les élèves qui m’ont le plus posé souci n’avaient pas de PAI (Projet d’accueil individualisé, Ndlr). Après, je ne sais pas s’il y avait une problématique de santé mentale derrière. Mais ce qui est clair, c’est qu’il y a des élèves épuisés et qui ont des profils assez différents. Leur point commun, c’est qu’ils sont fatigués et tentent de se reposer pendant le cours. Ils ne font pas de cinéma », précise Laurent Frajerman.
Les écrans croquent du temps de sommeil
L’enseignant penche plutôt pour la piste des écrans le soir. La lumière bleue qu’ils produisent décale l’horloge biologique et maintient les jeunes en éveil. Par ailleurs, l’activité sur les écrans est stimulante et attrayante puisque les algorithmes des réseaux sociaux par exemple proposent des contenus qui plaisent à l’internaute. Une étude de l’Insee, parue en juin 2024, révèle qu’un tiers des internautes de 15 à 74 ans ressent un effet néfaste lié à l’usage des écrans dans son quotidien, en dehors des temps d’étude ou de travail. Les jeunes de 15 à 20 ans sont particulièrement touchés avec 57 % de concernés. Le principal effet néfaste qu’ils mentionnent est la réduction du temps de sommeil (25%).
Ces divers paramètres peuvent se cumuler pour expliquer le manque de sommeil des jeunes. Ils s’ajoutent par ailleurs à un changement physiologique propre à l’adolescence.
A l’adolescence, un nouveau rythme biologique
Le métabolisme des jeunes explique aussi cette fatigue. « Il y a à l’adolescence un décalage de phase. La charge pubertaire contribue à ce que les ados aient un coucher et un lever plus tardifs. Le soir, ils ne ressentent pas la pression de sommeil à cause de ce décalage de phase. Pourtant leur besoin de sommeil reste important, entre 8 à 10 heures par nuit », explique Stéphanie Mazza, professeure de neuropsychologie à l’INSPÉ de Lyon, membre du Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon rattaché à l’Inserm et à l’université de Lyon 1, et vice-présidente de l’Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV). Ce changement de rythme des adolescents n’est pas nouveau mais cette difficulté physiologique à s’endormir tôt peut être accentuée par les activités stimulantes et autres causes évoquées précédemment.
Les établissements scolaires, s’ils n’ont pas d’emprise sur tous ces facteurs, peuvent ajuster leurs horaires de cours le matin pour permettre aux jeunes de dormir plus longtemps et ainsi répondre à leurs besoins biologiques.
Moins de somnolence dès 25 mn de sommeil en plus
C’est justement l’objet de l’étude récemment réalisée par Stéphanie Mazza et son équipe dans un internat avec des élèves de 5ème et de 4ème. Tous ont commencé les cours à 8h en début d’année. Les chercheurs ont enregistré leurs paramètres de sommeil. Après les vacances de la Toussaint, une classe de 5ème et une classe de 4ème, tirées au sort, ont débuté les cours une heure plus tard, à 9h. « On a vu ce qui avait déjà été largement publié dans plein d’études internationales : quand on décale les horaires de cours, on respecte ce décalage de phase, et on a des adolescents qui dorment plus longtemps (ici 25 mn de plus par nuit). Ce qui est très intéressant, c’est que même s’ils se levaient plus tard, ils n’en profitaient pas pour se coucher plus tard ; ce qui pourrait être la crainte des parents », souligne Stéphanie Mazza. Résultat : ce sommeil allongé a amélioré la santé mentale et physique des jeunes. Ceux qui ont continué à se lever tôt ont été de plus en plus somnolents le matin, tandis que les autres ont stabilisé leur somnolence. Même chose pour l’anxiété. Par ailleurs, les tests cognitifs ont permis d’observer l’impulsivité des adolescents. Ceux qui dormaient plus longtemps parvenaient mieux à limiter leur impulsivité. « Quand vous cumulez 25 mn de sommeil supplémentaire tous les jours, c’est déjà très important et très significatif. Cette solution est certainement plus difficile à mettre en place au lycée avec toutes les options mais en 4ème et 3ème, c’est quelque chose de réalisable d’après les chefs d’établissement », estime la neuropsychologue.
Des adaptations plus ou moins faciles à appliquer
En ville, les jeunes peuvent, grâce aux transports en commun, être davantage autonomes pour rejoindre leur établissement scolaire. Reste que pour certaines familles, dans les plus petites communes, le trajet dépend des horaires de travail des parents ou des transports scolaires. « Aux États-Unis, les bus scolaires ont pu changer leurs horaires. Dans certaines académies en France, ça a été mis en place : les transports scolaires prennent et déposent les collégiens et lycéens après les élèves de primaire », ajoute Stéphanie Mazza. Et pour les parents qui s’inquiéteraient de la future capacité de leurs jeunes à s’adapter au rythme imposé par la vie active, la spécialiste l’assure : « l’adolescence se termine à un moment donné et ils n’auront plus besoin de se lever tard car il n’y aura plus cette charge pubertaire ». Mais pour que cette mesure porte ses fruits, elle rappelle que les parents doivent poursuivre la pédagogie auprès des enfants et restreindre notamment l’usage des écrans avant le coucher.
Des expérimentations grandeur nature à Dijon
Paul Sierra Moreno, directeur académique adjoint à la pédagogie au rectorat de Dijon, a souhaité développé une expérimentation semblable sur son territoire. « Au départ, j’ai prospecté les lycées mais nous avons des contraintes au niveau du ramassage scolaire qui dépend de la région et surtout une grosse contrainte concernant l’élaboration des emplois du temps. Avec la réforme du lycée, il y a tellement d’options et d’enseignements de spécialité que c’est très compliqué pour les chefs d’établissement de faire débuter les cours ne serait-ce qu’une heure plus tard », reconnaît-il. Faute de pouvoir mener l’expérimentation au lycée, ce sont presque toutes les classes de 4ème et 3ème de deux collèges du centre-ville de Dijon qui débutent les cours à 9h et finissent à la même heure que leurs camarades depuis la rentrée 2025. L’un d’eux accueille des familles défavorisées et l’autre est une cité scolaire avec des foyers CSP++. Les problématiques y sont donc différentes mais les résultats se font déjà sentir de manière positive. « Dans le collège CSP-, la cheffe d’établissement constate une amélioration impressionnante au niveau de l’absentéisme, des retards et de la fatigabilité des jeunes. Ça a très rapidement diminué. La vie scolaire trouve aussi que cette rentrée décalée entre les plus jeunes (6ème, 5ème) et les plus âgés est mieux car le climat dans l’établissement est plus serein, apaisé », rapporte Paul Sierra Moreno. Dans la cité scolaire, les parents soucieux de la réussite de leurs enfants sont un peu plus inquiets bien qu’ils perçoivent déjà moins de fatigue. Stéphanie Mazza va intervenir dans l’établissement pour expliquer le bien-fondé de cette expérimentation. Il faudra attendre encore quelques mois pour évaluer la portée de cette initiative du point de vue de la fatigue mais aussi de l’acquisition des savoirs fondamentaux.





Modération par la rédaction de VousNousIls. Conformément à la loi relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. Pour exercer ce droit adressez-vous à CASDEN Banque Populaire – VousNousIls.fr 1 bis rue Jean Wiener – Champs-sur-Marne 77447 Marne-la-Vallée Cedex 2.