L’association Helpen aide les enseignants victimes de harcèlement de la part de leurs collègues. Interview avec Guillaume Delaby, professeur en CPGE au Lycée Saint-Louis à Paris, président et cofondateur de HELPEN, Image : Getty

Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

Je suis professeur en classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) depuis une vingtaine d’années. J’ai enseigné au lycée militaire de Saint-Cyr, puis au lycée Buffon, et aujourd’hui je suis au lycée Saint-Louis à Paris.

Qu’est-ce qui vous a amené à vous pencher sur la question du harcèlement ?

J’ai moi-même vécu une expérience de harcèlement moral au lycée Buffon, de la part de ma proviseure et d’une collègue de mathématiques. L’institution n’a pas voulu prendre les mesures nécessaires. Je suis tombé malade. J’ai été arrêté deux ans, mais on m’a forcé à revenir. Et là, c’est devenu du harcèlement collectif, avec un nouveau proviseur très influent syndicalement, qui n’a pas levé le petit doigt pour me défendre. Pendant cette année de retour, j’ai gagné en justice. Mais le proviseur a invité l’ancienne proviseure, reconnue coupable de harcèlement, dans le lycée, pour marquer son terrain…

Comment êtes-vous sorti de cette situation ?

J’étais tellement désespéré que j’ai écrit directement à la ministre de l’Éducation nationale de l’époque, Nicole Belloubet. Elle m’a reçu et m’a muté d’urgence, contre l’avis de l’Inspection générale et de beaucoup de gens qui espéraient me voir démissionner ou pire. C’est comme ça que je suis arrivé au lycée Saint-Louis. Mais malheureusement, j’y ai retrouvé la collègue professeure de maths qui y avait été mutée. Le lendemain, j’en ai parlé à un collègue, qui vivait la même chose dans un autre établissement, juste en face de Buffon. On a dit stop. On ne voulait pas que ça continue, ni pour nous, ni pour d’autres. C’était en mai 2024. Avec Laure Bourdet et Pascal Arthuis, les cofondateurs, on a commencé à poser les bases de notre association HELPEN. Un mois plus tard, on déposait les statuts en préfecture. En septembre 2024, notre site internet était en ligne.

Comment vos collègues ont-ils réagi à la création de l’association ?

À Buffon, quand j’ai témoigné à la télévision, j’ai reçu des messages de menace. Mais je ne m’en suis pas formalisé. C’était révélateur d’un système qui se protège. À Saint-Louis, c’est différent. Mes collègues sont neutres, courtois, et je tiens à garder ça comme un sanctuaire. Je suis heureux là-bas, j’adore mes élèves. Même si la collègue qui m’a harcelé y est aussi, je me sens protégé par la neutralité bienveillante de l’équipe.

Votre cas est loin d’être isolé au vu des retours que vous avez eus…

Oui. Dès son ouverture, notre site a été pris d’assaut. On a reçu énormément de témoignages. Au bout de six mois, on avait déjà 2 250 dossiers ! Au départ, on offrait un soutien moral aux victimes mais on a très vite compris qu’on ne pouvait pas rester sur de l’accompagnement individuel car les problèmes étaient systémiques. Nous avons été reçus à Matignon puis par un conseiller du Garde des sceaux. Il ne s’agit pas d’un manque de volonté de la justice, mais d’une incapacité à traiter une problématique complexe, aggravée par le manque de moyens… Le ministère de l’Education nationale ne nous a jamais reçus.

Quel est l’objectif de votre association à l’heure actuelle ?

L’objectif de HELPEN est de protéger collectivement les victimes, de sensibiliser, prévenir, publier des ressources pratiques et juridiques. On est totalement indépendants : ni syndicats, ni administration. On est bénévoles, et ça change tout : la liberté, elle est là. Et en février 2025, l’association a été reconnue d’intérêt général par la Direction générale des finances publiques. Ça a été un signal fort pour nous.

Vous avez demandé une commission d’enquête parlementaire. Où en est-on ?

On a déposé la demande, plusieurs députés nous soutiennent. Certains ont parfaitement compris que la maltraitance institutionnelle tue la qualité de vie au travail. On ne pourra pas lutter contre le harcèlement entre élèves si on ne traite pas d’abord celui qui existe entre adultes. On ne cherche pas le buzz, ni la polémique. On veut des actes. Quand on a dit qu’on ferait un site, on l’a fait. Quand on a dit qu’on lancerait une pétition, on l’a fait. Quand on a dit qu’on demanderait une commission d’enquête, on l’a fait. Cette cohérence soigne aussi nos adhérents.

Vous avez aussi lancé une plateforme inédite en intranet sur votre site. De quoi s’agit-il ?

Elle vient d’une idée simple : le registre santé-sécurité au travail (RSST). Normalement, chaque agent peut y signaler un problème, dont le harcèlement moral. Mais en réalité, ces registres sont locaux, illisibles, et souvent rien n’en ressort. On a donc créé un RSST national, numérique, pour centraliser les signalements. L’objectif est double : produire des statistiques fiables et laisser une trace officielle. Parce que quand rien n’est consigné, il n’y a jamais d’enquête, jamais de cause reconnue. On estime qu’il y a environ 400 suicides par an dans l’Éducation nationale liés à ces situations, mais seulement une cinquantaine sont déclarés. Pour l’instant, la plateforme est ouverte aux adhérents, car on veut éviter les fausses déclarations. L’adhésion coûte 30 euros par an, et les dons sont déductibles des impôts puisque nous sommes reconnus d’intérêt général. Quand on aura assez de retours, on ouvrira plus largement. Et nous livrerons bientôt les premières statistiques. Pour les adhérents, le fait de pouvoir témoigner leur redonne de la dignité : être considérés, ce n’est pas rien.

Concrètement, qui témoigne ?

Toutes les catégories. Pas seulement les enseignants. On a des CPE, des AESH, des personnels de direction – environ 15 % de nos quelque 750 adhérents ! – des personnels administratifs, des gens des rectorats, et même de l’administration centrale. La diversité est frappante. Et malheureusement, parmi nos cent premiers adhérents, en six mois, deux se sont suicidés.

En un mot, quel message voulez-vous faire passer ?

Qu’il faut briser le silence. Le harcèlement moral dans l’Éducation nationale est massif, mais invisibilisé. On estime que 150 000 agents en souffrent chaque année. Tant que ce ne sera pas reconnu, les drames continueront. HELPEN ne veut pas « attaquer » l’institution, mais travailler avec elle, en toute indépendance. Notre but est simple : que la honte change de camp.

Site de l’association : https://helpen.fr/