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Les 17 et 18 novembre 2021, un colloque intitulé « Métier d’enseignant(e), métier d’élève » se tient à Mont-Saint Aignan dans le cadre d’une exposition éponyme présentée par le Musée National de l’éducation jusqu’au 21 novembre. Carole Daverne-Bailly, responsable de la licence 3 Sciences de l’éducation à l’Université de Rouen Normandie y fera une allocution sur le thème des bons élèves. Entretien.

Dans le cadre du colloque « Métier d’enseignant(e), métier d’élève », vous donnez une conférence sur les bons élèves. Un sujet que vous connaissez bien…

J’ai sans doute été repérée, en effet, en raison de mon intérêt pour les parcours scolaires des élèves, leur expérience scolaire, la manière dont ils s’emparent des réformes qui s’imposent à eux … et tout particulièrement en raison du travail que j’ai mené sur les bons élèves des classes de terminale et des classes préparatoires aux grandes écoles. Ce travail a donné lieu à un ouvrage écrit avec Yves Dutercq et intitulé « Les bons élèves. Expériences et cadres de formation » (PUF, 2013). 

En quoi le métier d’élève et le travail d’apprenant divergent ?

Cette distinction, on la doit à Elisabeth Bautier et Jean-Yves Rochex. Lorsqu’il est dans le métier d’élève, l’élève se contente de se mettre en conformité avec les exigences de l’institution scolaire, mais il ne s’approprie guère les savoirs. Il voit l’école comme un lieu de courses d’obstacles permettant de passer de classe en classe et de pouvoir prétendre à un « bon » métier. Il apprend tel élément pour avoir une bonne note ; il s’efforce d’être quitte avec les exigences de l’institution.
Lorsqu’il est dans le travail d’apprenant, l’élève a alors un rapport au savoir conforme à ce qui est attendu par l’institution scolaire. Il confère un sens et une valeur aux activités et contenus d’apprentissage dans l’ici et maintenant. Il peut faire plus que ce que demande l’enseignant.

Les études démontrent que les notes et la notion de réussite restent très subjectives. Qu’est-ce qui permet de dire qu’un élève est bon ?

Il est difficile de répondre à cette question, comme je m’efforce de le montrer dans ma communication. Un bon élève est-il celui qui fait correctement son métier d’élève ? On vient de souligner qu’il était préférable d’être dans une logique de travail apprenant.
Un bon élève est-il celui qui obtient de bonnes évaluations ? Un certain nombre de travaux – dont ceux de Pierre Merle – montrent qu’une évaluation non biaisée des compétences des élèves est impossible.

Un bon élève est-il celui qui réussit ? Dominique Glasman explique que la réussite scolaire prend sens dans le parcours d’un jeune et que la réussite éducative est difficilement objectivable. Il parle d’ailleurs de réussites plurielles.

Un bon élève est-il celui qui parvient à unifier et à maîtriser son expérience scolaire ? Là encore, de la lecture des travaux centrés sur l’enseignement secondaire, il ressort que le bon élève n’appartient pas à un groupe unifié.

Quant au bon élève défini comme « le chouchou de la maîtresse », il n’est pas vraiment toléré par le groupe de pairs… 

Vous écrivez que « La réussite comme processus – ou réussite éducative –, c’est la capacité de l’élève à construire un projet personnel réaliste, lui donner une forme et assumer avec sérénité une poursuite d’études et, plus largement, l’avenir. C’est aussi reprendre confiance en soi et trouver une place, sa place, reconnue et valorisée par l’élève, ses parents, ses enseignants, ses pairs ». Avez-vous le sentiment que c’est plus difficile aujourd’hui ?

Cette définition de la réussite éducative est reprise des travaux de Dominique Glasman. Je pense qu’il est particulièrement difficile pour les jeunes de construire un projet personnel et de trouver leur place. D’une part, dans le contexte actuel de diversification et complexification des parcours (cf. par exemple la réforme du lycée et le choix des enseignements de spécialité, dès la fin de la classe de seconde). D’autre part, dans un contexte où les diplômes jouent un rôle décisif dans la position sociale des individus. Il y a une emprise des diplômes ; chacun est convaincu que son destin social se joue à l’école, ce qui renforce d’ailleurs la mise en place de stratégies relatives aux choix des filières et des établissements par les classes moyennes et supérieures… Des choix qui ne sont pas nécessairement ceux qu’auraient faits les enfants.

Enfin, c’est un système qui affirme l’égalité des chances (chacun est responsable de sa propre performance scolaire), tout en soumettant les élèves à des épreuves inégales (il y a des inégalités dans l’offre éducative, des établissements qui ne se valent pas, des hiérarchies de valeurs entre les séries du baccalauréat, etc.).

Je pense qu’il n’est pas toujours simple non plus, pour les élèves, de comprendre ce que signifie « apprendre » ; de s’émanciper intellectuellement…

Comment l’enseignant peut-il accompagner au mieux les élèves vers le chemin de leur réussite ?

Il me semble qu’il n’y a pas de recette miracle, dont pourraient s’emparer les enseignants. Bienveillance et exigence sont sans doute des composantes nécessaires, mais celles-ci peuvent être en tension : la bienveillance ne doit pas laisser au second plan les savoirs et leurs enjeux. L’exigence académique ne doit pas oublier des élèves réels…