Pour Yannick Clavé, professeur agrégé d’histoire-géographie, ancien membre du jury de CAPES, cette réforme est une « vraie révolution, puisque le programme est désormais fixe et adossé directement aux contenus enseignés en collège et en lycée. » Image : Getty

La réforme du CAPES vous paraissait-elle nécessaire ?


Oui, sans aucune hésitation ! Le nombre de candidats au CAPES ne cesse de reculer année après année dans pratiquement toutes les disciplines. Le système actuel n’est plus adapté. Il est par ailleurs devenu trop lourd : les étudiants doivent en même temps gérer la préparation du concours lors de leur seconde année de master, la validation de leur master (avec des maquettes de formation qui sont parfois très denses dans les Inspé) et leur entrée dans le métier avec la gestion de classes elles-mêmes de plus en plus complexes.

Qu’est-ce que cela change pour votre discipline ?

En histoire et en géographie, c’est une vraie révolution, puisque le programme est désormais fixe et adossé directement aux contenus enseignés en collège et en lycée, alors que jusqu’à présent il s’agissait de questions spécialisées qui changeaient tous les deux ans. C’est une évolution très positive. Ces questions, en effet, ont fini par devenir trop pointues et donnaient lieu, chaque année, à des querelles d’universitaires sans grand intérêt pour le recrutement de futurs professeurs certifiés. Il faut renouer avec l’esprit de la synthèse, qui a historiquement structuré ces deux disciplines, et qui est au cœur de l’enseignement en collège et en lycée.


En quoi est-ce une bonne chose pour favoriser le recrutement ?

Cela va permettre de sécuriser le chemin des futurs candidats en formation initiale, qui intégreront des parcours fléchés dès la première année de licence. Ils auront trois ans pour se préparer au CAPES.
Mais pour rendre pérenne le recrutement des candidats, une modification du concours n’est évidemment pas suffisante. Nous le savons tous, il est indispensable d’agir sur d’autres leviers pour redonner une vraie attractivité au métier : augmenter les rémunérations qui demeurent trop faibles, proposer une vraie évolution de carrière, favoriser la mobilité professionnelle, « humaniser » la gestion des ressources humaines, améliorer les conditions d’exercice en établissement… Le chemin semble encore long !
J’ajouterais, en tant qu’historien de l’éducation, que tout ceci n’est pas nouveau : ces questions se posaient déjà avec acuité au XIXe siècle, et je suis frappé de voir que, dans certains domaines, rien ou presque n’a changé. Il est d’ailleurs dommage que l’histoire de l’éducation soit aussi faiblement présente dans notre institution : elle permettrait pourtant d’éclairer bien des problématiques contemporaines.

Selon certains professionnels, la maîtrise disciplinaire est trop faible en L3 pour passer le Capes et devenir enseignant. Êtes-vous d’accord ?

Ces professionnels estiment donc que les diplômes de licence délivrés par les universités n’ont plus aucune valeur ? Qu’un étudiant à bac +3 ne maîtrise pas les fondamentaux de sa discipline ? C’est un constat très grave… Mais cela mériterait sans doute une réflexion bien plus large : si les étudiants de licence ont un niveau faible, ce qui est de notoriété publique, il faut alors regarder ce qui se fait du côté du lycée, voire du collège. Les programmes scolaires d’histoire-géographie sont pourtant plutôt bien conçus et pertinents, avec de vraies exigences. Mais l’essentiel du problème vient aujourd’hui de leur mise en œuvre dans les classes. Les élèves ne sont plus suffisamment mis au travail de manière pertinente, la culture de l’effort disparaît, certaines pratiques pédagogiques, sous prétexte d’« innovation », ont provoqué un affaissement du niveau tant en termes de connaissances que de compétences. Et tout cela, forcément, se répercute à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Comment percevez-vous cette réforme ?

Je vois cette réforme comme celle de la dernière chance, un moyen de rétablir un niveau disciplinaire suffisant, appuyé sur un programme réaliste et pragmatique, pour recruter les futurs professeurs certifiés. Il y a urgence.
La nouvelle structure du concours permet aussi de mettre réellement à égalité l’histoire et la géographie, et peut inciter les candidats à mieux s’investir dans cette dernière, trop souvent délaissée et où les lacunes des candidats sont abyssales, même dans le format actuel à bac +5. C’est une bonne chose d’avoir introduit huit questions de géographie, autant que celles d’histoire.


Le Capes d’histoire-géo comprendra 2 épreuves écrites d’admissibilité de 5 h (une composition au choix entre deux sujets ; une analyse critique d’un corpus documentaire). L’épreuve disciplinaire appliquée pour jauger les compétences didactiques disparaît. N’est-ce pas un bémol ?

Je suis bien placé pour le savoir : j’ai vu, au cours de ces dix dernières années, l’introduction progressive d’une dimension didactique et pédagogique au CAPES. Mais ces éléments avaient un caractère largement artificiel pour des étudiants ayant trop peu d’expérience professionnelle, et ont fini par devenir très standardisés, poussant les candidats à simplement « réciter » les éléments des programmes scolaires. Par ailleurs, par rapport aux éléments purement disciplinaires et scientifiques, les compétences didactiques sont très difficiles à évaluer : c’est là où la subjectivité est la plus forte, même avec une double correction. C’est donc une bonne chose de se recentrer sur les fondamentaux disciplinaires et sur les deux exercices les plus formateurs en histoire et en géographie, la composition et l’analyse de documents.


Que pensez-vous des sujets « zéro » qui viennent de paraître ?


Ces sujets sont conformes aux programmes publiés. Ils maintiennent de vraies exigences disciplinaires, et ceci dans l’ensemble des champs de l’histoire et de la géographie couramment enseignés dans les universités et présents dans les programmes scolaires. Ils sont aussi pertinents en termes de compétences : les candidats seront évalués sur la maîtrise des deux exercices fondamentaux de l’histoire-géographie, la composition d’une part et l’analyse de documents d’autre part.

Certains profs trouvent les sujets trop faciles. En mettant le Capes à bac +3, le niveau des enseignants risque d’être aussi moins élevé qu’auparavant. Partagez-vous cette inquiétude ?

« Trop faciles », cela ne veut pas dire grand-chose… Tout dépend du programme initial et de ce qui est concrètement attendu par un jury. En quoi, dans le système actuel, le bachotage intensif pendant neuf ou dix mois sur des sujets ultra pointus, déconnectés des programmes scolaires, nous garantit-il d’avoir des professeurs mieux formés ? Je ne compte plus le nombre de jeunes collègues qui m’ont dit avoir du mal à préparer un cours sur la Révolution française, sur Napoléon ou sur la Grèce classique, parce qu’ils n’en avaient jamais entendu parler durant leurs études. Et je n’ose même pas évoquer la géographie, totalement sinistrée.
Par ailleurs, dans le nouveau système, les candidats continueront à avoir derrière eux une licence, donc avec trois ans de formation (ce qui n’est pas rien), et ils poursuivront leur formation disciplinaire pendant leurs deux années de master. Au final, les professeurs continueront à être certifiés au niveau bac+5, comme aujourd’hui.
Les inquiétudes ont par ailleurs toujours existé, dès qu’un changement est acté. Je me souviens par exemple, alors que j’étais jeune membre du jury du CAPES, le tollé suscité chez les historiens quand, en 2010 ou 2011, il avait été décidé – à juste raison – que le nombre de questions en histoire passerait de quatre à trois, pour obtenir une réelle bivalence (trois questions en géographie).


A partir de 2026, deux années de Master serviront effectivement à la formation initiale des enseignants avec des stages et des mises en responsabilité rémunérés. Est-ce mieux ?

Là encore, les choses vont dans le bon sens, car les candidats sont recrutés dès la fin de leur licence et vont pouvoir bénéficier de deux années complètement rémunérées : c’est une vraie avancée sociale qui sécurise l’entrée dans le métier. En M2, ils seront stagiaires à mi-temps, ce qui est mieux que le système actuel irréaliste où ils sont à temps complet. Mais à mon avis, il aurait fallu revenir à l’ancien système, d’avant 2010, que j’avais personnellement connu : un tiers temps d’enseignement avec seulement une ou deux classes en charge, et je me souviens que c’était déjà beaucoup de travail pour tous les stagiaires.