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Pouvez-vous nous parler de votre travail au sein du ministère ?

Je travaille pour la Mission chargée de la prévention des violences en milieu scolaire, à la direction générale de l’enseignement scolaire au sein du ministère de l’Education nationale, de la jeunesse et des sports. Cette mission est née d’une montée en puissance de la politique publique destinée à lutter contre le harcèlement scolaire, notamment depuis le plan d’action lancé par Luc Chatel en 2011. Nous fonctionnons avec beaucoup de partenaires en interne, mais aussi en externe : associations, numéros verts…

Sur quel projet travaillez-vous en ce moment ?

Le ministre Jean-Michel Blanquer a annoncé en juin 2019 un plan de prévention national, sous la forme de 10 mesures dont la création d’un comité d’experts, une campagne nationale de prévention, l’alignement des horaires de Net Ecoute sur le numéro 3020… L’une des dix mesures était l’élaboration d’un programme Non au harcèlement « clé en main », que nous avons donc créé.

Ce programme est conçu à partir des ressources de la Mission et d’autres dispositifs existants, comme les enquêtes de victimation. Nous nous sommes appuyés sur la recherche internationale sur le climat scolaire, pour avoir une approche préventive globale du phénomène. Actuellement, on connaît le programme anti-harcèlement KiVa en Finlande, qui a eu beaucoup de succès à travers le monde. En France, nous voulions créer un nouveau programme ambitieux, qui irait du CP à la Troisième. C’était par ailleurs un challenge de créer un contenu qui parlerait à toutes ces tranches d’âges.

Le programme prévoit d’améliorer l’information des familles, de dédier plusieurs heures d’apprentissage par an à la question du harcèlement et du cyberharcèlement, de former les ambassadeurs collégiens et lycéens, de généraliser la labellisation des établissements scolaires… Nous l’avons à ce jour expérimenté dans six académies, et sa généralisation est prévue pour 2021. Il pourrait connaître une ampleur plus large, l’UNESCO s’y intéresse particulièrement.

Pouvez-vous nous parler du dispositif des référents NAH (Non Au Harcèlement) ?

Le dispositif est né en 2013, et ne comptait alors qu’une trentaine de référents dans toute la France. Aujourd’hui, ils sont 337 : deux par académie, 3 par département. C’est donc une vraie équipe, renforcée et mobilisée sur tout le territoire pour résoudre les situations de harcèlement qui leur sont signalées.

Les référents sont en majorité des cadres de l’Education nationale : proviseurs vie scolaire, conseillers techniques de recteur ou de DASEN, ou encore inspecteurs établissements et vie scolaire. Leur rôle de référent fait partie de leurs nombreuses missions, d’où l’importance de l’augmentation du nombre de référents.

Ce que l’on cherche à développer, c’est une prévention globale. Plus le traitement de proximité sera efficace, moins les signalements seront nombreux et plus on pourra se consacrer à d’autres aspects de la mission : prévention, formation d’établissement, formation d’élèves à élèves, évènements…

Par quels moyens recevez-vous des signalements ?

La plupart des signalements que les référents reçoivent viennent du numéro national 3020, géré par l’association EPE-IDF (Ecole des Parents et des Educateurs) et dont les psychologues prennent de nombreux appels. Quand ils jugent une situation grave, ils signalent l’appel sur la plateforme sécurisée Stop Harcèlement ; les signalements sont ainsi transmis aux référents harcèlement.

Parfois, certains signalements viennent de familles qui écrivent directement à Brigitte Macron, marraine de la campagne anti-harcèlement du gouvernement, ou à Jean-Michel Blanquer.

Quelles sont les solutions qui sont mises en place concrètement par les référents face à un cas de harcèlement ?

Lorsque les référents sont saisis, ils ont huit jours pour engager un traitement avec le responsable de l’établissement et avec la famille, voire avec d’autres formes d’autorité (police, justice) si besoin.

Ensuite, il faut mettre en place un protocole de prise en charge, se demander pourquoi le traitement local n’a pas marché, s’assurer du respect des procédures réglementaires, renouer le dialogue…

Il y a également le traitement des intimidateurs. Pour cela, on mobilise une équipe ressource formée à différentes méthodes dont la méthode de la préoccupation partagée. Ces équipes travaillent lors d’entretiens avec les élèves sur le développement de l’empathie en s’appuyant notamment sur les travaux de Jean-Pierre Belon, Marie Quartier et sur la méthode Pikas.

Lorsque la méthode a atteint ses limites, le traitement peut aussi donner lieu à un rappel du règlement intérieur, à une sanction disciplinaire, voire à la convocation des parents. En cas de cyberharcèlement, le chef d’établissement doit appuyer la famille et l’élève afin de demander par le biais de Net Ecoute (3018)  le retrait des contenus problématiques auprès des réseaux sociaux dont il est tiers de confiance, avec éventuellement une réquisition judiciaire pour bloquer les comptes des intimidateurs.

Chaque signalement engage un traitement sur le terrain et un suivi sur la durée avec l’établissement scolaire et la famille. Plus une situation est prise en charge rapidement par l’établissement, plus les référents peuvent se concentrer sur la prévention.

Vous travaillez à la Mission avec la référente nationale des 335 référents. Quel est son rôle ?

En tant que référente nationale, elle a une double-mission : l’élaboration de politiques publiques et le portage de ces politiques publiques. Elle anime donc le réseau des référents académiques et départementaux, et organise l’action en s’assurant que les référents sont en place dans les différentes académies. La déclinaison sur tout le territoire et la lisibilité des actions de la Dgesco sont un facteur majeur de réussite dans la lutte contre le harcèlement.

Nous avons une visioconférence toutes les six semaines, pendant laquelle nous donnons aux référents des informations relatives à la déclinaison de la politique publique, des ressources, des contacts d’association. Nous organisons également un séminaire de formation chaque année, notamment pour accueillir les nouveaux référents. Pour la prochaine rentrée, nous préparons un parcours M@gistère pour les référents, un starterkit pour faciliter l’entrée dans la fonction. Nous travaillons également avec eux sur la systémie et la pédagogie de l’action.

En parallèle, nous continuons à développer le programme « clé en main. » En ce moment, nous travaillons sur la création d’une seconde plateforme qui hébergera toutes les ressources du programme clé en main et sera accessible aux directeurs d’écoles et chefs d’établissement iansi qu’à tous les personnels impliqués. Cette plateforme leur permettra de mettre en place des actions de prévention, les équipes ressources et tous les aspects du programme clé en main.

Enfin, la référente nationale traite elle-même certaines situations de harcèlement, jugées complexes. Nous restons en effet force de proposition dans le traitement des cas.

Y a-t-il d’autres dispositifs qui existent pour lutter contre le harcèlement scolaire ?

Il existe plusieurs dispositifs : la Journée nationale de lutte contre le harcèlement à l’école, ou le concours Non Au Harcèlement qui mobilise plus de 70 000 personnes – élèves et adultes – autour de la création d’affiches et de vidéos sur ce thème. Il y a aussi le Safer Internet Day, un programme européen qui propose des ateliers sur le cyberharcèlement et l’usage des outils numériques.

Le harcèlement est-il un enjeu de plus en plus important pour l’éducation ?

Oui : en France, on a découvert assez tardivement la microviolence qui existait au quotidien dans les écoles. Il est primordial de prendre ce problème en charge à l’échelle nationale.

Le plus grand enjeu aujourd’hui est celui du cyberharcèlement, qui dépasse le simple cadre de l’Education nationale. Dans une conférence internationale sur le harcèlement scolaire, Jean-Michel Blanquer a lancé un appel aux réseaux sociaux pour leur demander d’être plus éthiques et responsables dans la diffusion de contenu. Le cyberharcèlement soulève la question de la responsabilité des réseaux sociaux, qui refusent parfois de retirer du contenu en invoquant la liberté d’expression. Avec les moyens dont ils disposent aujourd’hui, comme l’Intelligence Artificielle, ils devraient pouvoir détecter et masquer certains contenus qui relèvent du harcèlement ou de ce que l’on appelle le « revenge porn. » 

Le bien-être à l’école et le climat scolaire relèvent donc parfois de sujets plus larges : la question est de savoir si nous voulons une société qui permet le bashing ou qui encourage le respect.

Le ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, accorde beaucoup d’importance à mettre en action « l’école de la confiance » et à proposer de réelles solutions. La généralisation du programme « clé en main » en 2021 est l’une de ces solutions. Cette année aura également lieu le forum mondial anti-bullying à Stockholm, un évènement très important organisé en partenariat avec l’UNESCO.