
En excluant vos ouvrages pour la jeunesse, « Rien ne t’efface » est votre 15e roman. Vous avez vendu 10 millions de livres, êtes traduit dans 36 pays. Avez-vous encore le cœur qui bat lorsque vous rendez votre « copie » ?
À chaque fois ! Notamment parce que j’essaye de faire des romans assez différents les uns des autres. Écrire, c’est exaltant, excitant et je donne toujours le meilleur de moi-même. Mais cela n’empêche pas de me demander si je vais être à la hauteur de l’attente qui, je le sais, est forte. Et, évidemment, je rêve que le livre déclenche des superlatifs ! Les auteurs de romans policiers sont des raconteurs d’histoires, des histoires qui sont compliquées à rédiger. Elles nécessitent un travail de construction, de documentation, de vérification, d’actions à faire avancer… Cela impose une vraie discipline. Dans mon cas, c’est généralement 10 h par jour à peaufiner mes phrases. Alors, bien sûr, on n’a pas envie de se rater. Je ne pense pas que l’on puisse écrire dans une sorte de routine, en se disant : « oh, si cette fois le livre est moins bien, ce n’est pas si grave »… surtout que l’exercice me prend à peu près un an.
Pas de routine, mais vous publiez cependant à un rythme de métronome : un roman par an, sans compter vos autres écrits.
C’est vrai, mais c’est sans doute parce que j’ai été publié tardivement, j’avais déjà 40 ans. J’ai emmagasiné beaucoup d’idées pour des histoires et j’ai, en quelque sorte, besoin de rattraper le temps perdu. Je suppose que les jeunes auteurs doivent moins ressentir cette urgence d’écrire et osent davantage espacer leurs publications.
Une fois votre copie rendue, ce sont les lecteurs et les critiques littéraires qui vous notent. Comment recevez-vous ces appréciations ?
Si je lisais 9 critiques négatives pour une positive, c’est cette dernière que je retiendrais. Parce que certains n’aiment pas mon style ou le genre policier à suspens, ce n’est vraiment pas grave. Ce qui motive l’auteur c’est de trouver des lecteurs qui vont être touchés par ses écrits et ce, qu’il vende un million de livres par an ou 1 000. J’ai la chance d’avoir de très bonnes critiques de la part des lecteurs et des médias grand public. Mais il est vrai qu’il y a, de la part des prescripteurs de Littérature avec un L majuscule (La Grande Librairie, Lire, Le Masque et La Plume…), une forme d’indifférence voire d’incompréhension vis-à-vis de la littérature populaire. Je regrette cette coupure entre ceux qui constituent la très grande majorité des lecteurs et le petit entre-soi du « monde littéraire ». C’est d’ailleurs un phénomène très français. On ne retrouve absolument pas cette fracture en Belgique, au Québec, en Suisse… Chez nous, un auteur sera invité sur RTL ou sur France Culture, rarement sur les deux. Je le déplore d’autant plus que je suis convaincu que la plupart des lecteurs passent sans complexe d’une forme de littérature à une autre. Pour en rencontrer souvent, je sais que j’ai beaucoup de lecteurs professeurs de français qui sont emblématiques de ce que j’appellerais cet « éclectisme érudit » qui permet de passer de Houellebecq à Dicker ou de Modiano à Bussi.
Pendant des années vous avez cumulé votre métier d’écrivain et votre métier d’enseignant chercheur en géographie, directeur de l’Unité mixte de recherche CNRS « Idées » . Vous sentez-vous encore enseignant dans l’âme ?
Je suis encore membre de l’Éducation nationale et de la Recherche et mon nom est toujours dans l’annuaire de l’Université, mais je suis en détachement depuis environ 4 ans et me consacre désormais 100 % à l’écriture. J’ai longtemps dit que je souhaitais conserver mon travail d’enseignant chercheur, mais au bout d’un moment, je me suis rendu compte que je décrochais : je n’étais plus au niveau. Il est compliqué de faire de la recherche sans s’y consacrer à plein temps. Évidemment je m’intéresse toujours à ma spécialité (NDLR la géographie électorale, l’étude des formes de gouvernances dans les territoires), mais je n’ai plus la prétention d’être qualifié de chercheur, de participer ou d’encadrer des jurys. Je manquais de temps pour écrire tout ce que j’avais en tête, de temps pour bien faire mon métier de directeur d’UMR et de temps pour gérer l’ensemble de mes obligations sur ces deux versants de ma vie.
Que vous manque-t-il de votre vie d’enseignant chercheur ?
Le travail collectif. Aujourd’hui, mon quotidien tourne autour de « moi-ma vie-mon œuvre ». C’est flatteur, mais il me manque cette richesse que procure le fait de travailler pour les autres. En tant qu’enseignant, je donnais cours, corrigeais des copies, épaulais des étudiants de Masters, relisais des mémoires, encadrais des stages, dirigeais des thèses… Une grande partie de mon temps était consacré aux autres. Et à la fac, nous sommes souvent décisifs dans le devenir des étudiants. Sur des salons littéraires, il m’est arrivé de revoir des étudiants 20 ans après la fin de leur cursus. C’est une vraie fierté de constater que j’ai été là pour eux au bon moment, que le stage que je leur avais trouvé a fait décoller leur vie professionnelle ou que mon encadrement de leur Master leur a permis de décrocher le travail de leur rêve. Être enseignant, c’est d’abord mettre ses qualités au service des autres. Notre récompense, c’est de voir de beaux destins que l’on a participé à dessiner. En tant qu’écrivain de polar, il est plus compliqué de penser qu’un de mes livres puisse changer la trajectoire d’une vie.
Adolescent, rêviez-vous d’être universitaire ou écrivain ?
Ni l’un ni l’autre. Jamais je ne me serais imaginé vivre comme écrivain et jamais je ne m’étais imaginé enseigner ailleurs qu’en collège. J’étais un « littéraire », bon élève, et je me voyais devenir professeur ou journaliste. Cependant, mon univers était tellement loin de celui des médias que je n’ai pas vraiment fait de démarches pour entrer dans une école de journalisme. L’école me semblait plus accessible, d’autant que mère était instructrice, et j’avais l’intuition que l’enseignement me plairait. Mais je me « programmais » quelque chose d’assez ordinaire et je me suis surpris moi-même en faisant une thèse. Avant d’entrer à l’université, je n’avais d’ailleurs qu’une très vague idée de ce qu’était une thèse.
Sans doute que si j’avais été d’un autre milieu, si j’avais vécu dans une autre région, j’aurais été amené à faire une prépa hypokhâgne ou l’ENS… Mais au final, je suis très heureux d’avoir suivi le chemin assez convenu de l’entrée en faculté. C’est une école de vie fabuleuse et qui a su me donner ma chance, m’aider à devenir chercheur. Je n’ai jamais eu le sentiment d’être formaté ni coupé du monde et ça je le dois à l’université dont je suis un très grand défenseur ! C’est un lieu formidable qui sait ouvrir le champ des possibles à des jeunes qui vont y découvrir leurs potentiels. Les profs y font un travail exemplaire pour les aider à croire en eux-mêmes, à oser lever les barrières qu’ils se mettent souvent tout seuls. Avant d’être en détachement, j’étais devenu ce qu’on appelle un mandarin de l’université et j’ai pu constater que les meilleures thèses étaient toujours écrites par des étudiants aux profils atypiques. Les thèses des normaliens ou de ceux qui avaient pu suivre les voies royales étaient certes de grande qualité, mais il leur manquait une âme.
Les lieux, leur passé, leur géographie sont des éléments très présents dans vos romans. Qu’est-ce qu’il reste du Michel Bussi géographe dans le Michel Bussi écrivain ?

La dimension géographique est en effet importante dans mes livres, c’est d’ailleurs après être allé à La Réunion pour une soutenance de thèse qu’est né « Ne lâche pas ma main ». Toutefois, ce ne sont pas vraiment les descriptions qui m’intéressent et mes livres sont sans doute plus marqués par les sciences sociales que par la géographie elle-même. Quand j’écris un livre qui se déroule à La Réunion ou aux Marquises, il y a presque une dimension anthropologique à ce que je raconte. Mes romans sont populaires, faciles à lire, l’intrigue tient le lecteur en haleine, mais ils ne sont pas que cela. Ce sont aussi des livres dans lesquels, je pense, leur lecteur va apprendre quelque chose, car j’y mets de la nourriture culturelle et intellectuelle. Je fais vivre des théories sociales à travers mes personnages, j’aborde l’histoire des lieux, les cultures locales… Je revendique ce côté pédagogique que l’on ne trouvera pas, par exemple, dans les romans « feel good ». J’ai toujours aimé la vulgarisation. Bien avant de devenir écrivain, je faisais partie de ces chercheurs « bons clients », souvent invités dans les médias régionaux, pour expliquer leurs travaux. C’est pour moi un complément naturel des recherches, mais je sais que tout le monde à l’université ne partage pas mon point de vue.
Vous êtes l’un des 20 co-auteurs de « Mon prof ce héros », recueil publié en hommage à Samuel Paty, dans lequel les écrivains racontent celui ou celle qui a contribué à faire d’eux ce qu’ils sont aujourd’hui.
Ma participation allait de soi, en raison de mon passé de prof et parce que l’ouvrage est né à l’initiative de mon éditeur. Pour ma part, j’ai choisi d’écrire sur les institutrices plus que sur le souvenir d’un professeur en particulier, parce que je trouve qu’elles sont souvent un peu dans l’ombre. Or, les instituteurs et les institutrices sont pour moi d’incroyables capitaines. Seuls face à 25 ou 30 gamins avec des histoires différentes, ils et elles font preuve d’un dévouement, d’une autonomie et de créativités admirables. Ce sont les piliers de notre système d’éducation. Et puis, les instits sont souvent très éloignés des guerres d’égos que l’on constate régulièrement dans le secondaire et le supérieur. C’est un métier que j’aurais adoré faire !
Quel est votre regard sur l’école aujourd’hui ?
Je suis inquiet d’une idée qui court de plus en plus et défend une transformation de l’école en quelque chose de concurrentiel. La grande richesse de l’éducation, c’est le service public. Peut-être existe-t-il quelques « brebis galeuses », comme dans tout corps de métier, mais l’immense majorité des enseignants est extrêmement dévouée. Par ailleurs, ce sont des gens cultivés, dont le métier est de réfléchir en permanence et qui se battent beaucoup plus pour le maintien des grandes valeurs que pour des revendications salariales, comme certains ont tendance à le caricaturer. Et les valeurs qui font société, c’est quelque chose dont nous avons particulièrement besoin en ce moment.
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