Pour vous, faudrait-il resserrer l’enseignement de la laïcité à l’école, en particulier au collège et au lycée ?

Il n’y a pas vraiment d’enseignement de la laïcité aux élèves, sauf dans le cadre de l’enseignement civique et moral et lorsque l’actualité le requiert comme aujourd’hui avec le terrorisme islamiste pratiqué au nom d’une religion. Dans ce cadre, on est amené à en parler, à enseigner le triptyque républicain mais aussi ses principes. Il est normal d’aborder cet enseignement mais ce qui est apparu, avec la minute de silence en hommage à Samuel Paty, c’est que certains collègues se sont déclarés démunis pour parler de laïcité.
Pourtant, il revient aux professeurs d’instruire les élèves sur ce sujet. C’est un mandat donné par la République afin d’incarner et de faire connaître les principes de celle-ci pour en faire des hommes et des citoyens éclairés.
En tant que professeur de philosophie pendant 40 ans, j’avais une déontologie laïque qui faisait que mes élèves n’avaient pas à savoir si je croyais ou non en Dieu. De la même manière, cela ne me regarde pas qu’un élève soit croyant ou pas. Chacun a droit à sa sphère privée. Je ne dirai jamais de mal ou de bien de la religion ou de l’athéisme. Il est de mon devoir de m’abstenir. La laïcité doit être attestée par la conduite du professeur. Par ailleurs, il faut apprendre aux élèves à distinguer le savoir et le croire. A l’école, on doit enseigner ce qui doit l’être pour que les élèves soient lucides sur le monde dans lequel ils vivent.
Contrairement à ce que certains ont pu dire, le professeur Samuel Paty n’a pas violé la laïcité. Ce dont il a parlé, ce n’est pas de la religion proprement dite. Il n’a pas dit l’Islam c’est une mauvaise chose ou c’est une bonne chose. Il a respecté à cet égard la neutralité. En revanche, il a défendu la liberté des caricatures. Il a expliqué que l’art d’exprimer une idée, généralement polémique, à travers un dessin qui s’adresse à la sensibilité puisqu’on visualise quelque chose, peut avoir une dimension satirique. Expliquer aux élèves que les caricatures doivent relever de la liberté d’expression, c’est extrêmement important. Maintenant une caricature peut choquer. Mais Samuel Paty n’a pas fait cela pour choquer. Il aurait pu faire cela aussi avec une caricature se référant à une autre religion…

Et à l’université, qu’en est-il de cet enseignement ?

Au collège et au lycée, on est dans un enseignement généraliste. Il est normal qu’on y aborde la laïcité. A l’université, on est dans un enseignement spécialisé. Alors peut-être pourrait-elle être abordée dans un tronc commun à tous les étudiants dans le prolongement de ce qui a été fait avant. Mais c’est un peu plus difficile à généraliser car les universités organisent elles-mêmes leurs formations. 

Auriez-vous des pistes d’amélioration à suggérer ?

Dans chaque Institut National Supérieur du Professorat et de l’Éducation (Inspé), il faudrait des modules de formation pour que les professeurs soient en mesure à la fois d’appliquer et d’expliquer la laïcité. Il y a une grande disparité selon les lieux. Que les professeurs soient certifiés ou agrégés, ils devraient avoir un enseignement sur la laïcité. Je serais partisan d’un programme national. Le ministère pourrait faire rédiger un vade-mecum avec les points que l’on devrait aborder. Il relève de l’État de définir certaines choses d’autant plus au vu de ce qui se passe. L’enseignement de la laïcité devrait se faire partout où il y a un système de règles à aborder : pour les travailleurs sociaux, les médecins, la fonction publique d’une manière générale.

En quelques mots quel serait pour vous l’enseignement de la laïcité idéal ?

L’enseignement idéal doit être pluridisciplinaire. La laïcité doit être enseignée en enseignement civique et moral mais aussi en histoire, en philosophie et peut-être avec le secours du professeur de lettres. Il faudrait expliquer comment est advenue la laïcité, notamment en évoquant la césure révolutionnaire avec l’Ancien Régime. Il faut comprendre que la liberté d’expression n’a pas toujours existé. Sa conquête s’est faite dans le sang et les larmes grâce à la Révolution Française, à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 qui a refondé la Nation. Auparavant, celle-ci était la fille aînée de l’Eglise, maintenant elle se fonde sur des droits humains. Notre histoire fait que beaucoup de religions se côtoient. On est donc dans une sorte de creuset, dont parle l’historien Gérard Noiriel, quand il s’interroge sur la manière de faire vivre ensemble toutes ces origines. La réponse de la France, c’est la laïcité. L’Etat ne relève plus d’une obédience religieuse comme dans l’Ancien Régime mais ce n’est pas pour autant qu’il est antireligieux. La religion comme conviction spirituelle doit être libre mais à côté d’elle il y a l’humanisme athée et l’humanisme agnostique et il faut les faire vivre ensemble du mieux possible. La réponse laïque est limpide et passe par un triptyque : liberté, égalité, universalité. Liberté de conscience, de croire ou pas en Dieu tout en supportant que la conviction spirituelle d’autrui soit différente de la sienne. C’est aussi l’égalité de droits. Et c’est enfin l’intérêt général. La République doit veiller à faire des services publics accessibles à tout le monde. Elle unit les êtres humains par une référence commune à l’intérêt général, source de fraternité.