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« Les enseignants masqués ne tiendront pas ! ». C’est le titre choc d’un article du Pr Gauthier Desuter, laryngologue aux cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles, paru sur le site du média Le soir. Le forçage vocal et l’apparition d’une extinction de voix sont des motifs de consultation très courants dans la profession. Et le port du masque toute la journée pour lutter contre la propagation du covid-19 pourrait aggraver la situation. « Le masque devant la bouche constitue un obstacle psychologique mais aussi physique. Il diminue le volume de la voix. C’est un peu comme si on faisait du vélo avec les freins serrés. Une étude a révélé qu’on perdait jusqu’à 12 décibels d’intensité vocale avec un masque (selon le modèle utilisé, Ndlr). C’est comme si on parlait à une distance supplémentaire d’un mètre », explique le Dr Elisabeth Péri-Fontaa, ORL phoniatre et enseignante à l’école d’orthophonie de Strasbourg. Cette perte sonore reste modeste mais le masque altère aussi la perception des propos.

Les soucis posés par le masque

Il filtre, en effet, les fréquences aiguës, celles qui correspondent aux consonnes. Or celles-ci permettent de faire la différence entre deux mots et garantissent l’intelligibilité des paroles. Pour compenser ces désagréments et faire passer l’air obstrué, l’enseignant doit fournir plus d’énergie, solliciter davantage ses muscles ce qui revient à déséquilibrer sa voix. Or quand une personne ne parvient pas à trouver un équilibre, elle fait du forçage vocal. « Les professeurs n’ont pas de formation initiale ou continue pour utiliser leur voix. Ils sont souvent très limites et parfois aphones après la rentrée ou avant Noël. Le masque, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. C’est évident que ça aggrave les problèmes d’extinction de voix », précise la spécialiste.
D’autres facteurs compliquent la donne. Ainsi, « le fait de stresser, d’avoir l’impression d’étouffer avec le masque, contribue à assécher les cordes vocales, la bouche, le nez. Le type de masque utilisé, chirurgical ou en tissu, ses fibres, sa teinture, la lessive utilisée pour le laver… tout ça peut influer aussi », ajoute le Dr Erkki Bianco, ORL phoniatre, phonochirurgien et ancien laryngologue de l’Ecole d’Art Lyrique de l’Opéra de Paris.
Sur le terrain, les professeurs ressentent déjà quelques problèmes vocaux…

Devoir forcer sur sa voix

Guillaume, professeur d’histoire-géographie et de français dans un lycée professionnel et technologique à Paris, reconnaît qu’il est difficile de porter le masque quand on doit parler une grande partie de la journée. « Je n’ai jamais eu de problème de voix à cause de mon métier. J’ai la voix qui porte mais là je tends à parler un peu plus fort et ça tire quand même un peu. La fatigue ressentie est plus importante. C’est un sujet d’inquiétude pour de nombreux collègues et qui a été abordé en CSE et le sera à nouveau lors du prochain », confie-t-il. Pour l’instant, il soulage ses prises de parole en mettant de temps en temps ses élèves en situation d’autonomie de travail.
Manon, professeure de français dans un lycée de Seine-et-Marne, fait aussi travailler à l’occasion ses élèves en îlot pour éviter de trop parler. « Je ressens une énorme fatigue au niveau de la voix car je suis obligée de parler plus fort, d’articuler davantage et de me répéter sans cesse. Les élèves m’entendent peu, surtout en ce moment car ils sont dissipés par la chaleur et le port du masque. Ils s’énervent davantage et la gestion de classe est difficile. Et puis, je m’étouffe souvent avec le masque. J’ai de plus en plus de mal à respirer et à parler. Je ne parle pas chez moi pour reposer ma voix. Je communique de moins en moins avec mon compagnon tellement je suis fatiguée et que ma voix se brise », confie l’enseignante. Pour apaiser ses maux, elle boit 3 litres d’eau par jour, se fait des infusions de thym et de miel et prend des médicaments…

Des risques pour les cordes vocales

Pour compenser le déficit respiratoire, le réflexe naturel est de hausser la voix et donc de forcer sur ses cordes vocales. Mais à la longue, celles-ci peuvent être mises à mal. Dans son article, le Pr Desuter met ainsi en garde contre le « haut risque de lésions traumatiques » que cela pourrait entraîner sur les cordes vocales. Il évoque des risques d’hémorragies, polypes et nodules et le recours à la chirurgie et une longue rééducation pour se soigner. Une position que le Dr Jean-Marc Juvanon, chirurgien ORL au centre hospitalier de Fontainebleau, juge « alarmiste ». « Le risque est minime. La quantité de décibels que le masque freine est négligeable. En revanche, est-ce que le masque entraîne une dessiccation, c’est-à-dire un assèchement des cordes vocales, c’est possible », déclare le spécialiste.
Face aux désagréments engendrés, il faut écouter son corps. Car lorsqu’il y a un forçage vocal, on peut avoir la voix enrouée, c’est ce qu’on appelle une dysphonie. « Si on fait des efforts répétés et que l’on ne récupère pas, mieux vaut consulter un phoniatre qui fera une stroboscopie. Il pourra voir s’il y a une raideur sur le point nodulaire, des spicules, ou bien des nodules. Il prescrit alors des séances de rééducation chez un orthophoniste mais l’opération n’a pas lieu d’être s’il n’y a pas d’autres lésions », rassure à son tour le Dr Bianco. 

Les bons gestes pour préserver sa voix

Pour lutter contre l’assèchement possible des cordes vocales, le Dr Juvanon conseille de boire régulièrement de l’eau afin de bien les hydrater. « Parler plus fort n’est pas la solution. Il faut réagir comme avec des personnes sourdes face à soi. Pour éviter la fatigue vocale et mieux se faire comprendre, on parle plus lentement et en articulant bien. Bien sûr, d’habitude on utilise son visage pour articuler. Là, les élèves ne voient pas la bouche. Mais les masques transparents arrivent (pour les enseignants de maternelle et ceux ayant des élèves malentendants, Ndlr) et vont y remédier un peu », espère le Dr Juvanon.
Au vu de la situation, des enseignants ont cherché des solutions par eux-mêmes pour épargner leur voix. A l’instar de Marie-Madeleine, professeure d’anglais dans une cité scolaire à Paris, qui s’est acheté un amplificateur vocal avant la rentrée. « Les élèves m’entendent très bien et je n’ai pas à forcer la voix du tout. Je ne suis donc pas inquiète pour mes cordes vocales et j’envisage même de garder l’équipement une fois l’épidémie passée », clame-t-elle. Bien sûr, elle aurait préféré que l’Education nationale l’équipe mais, faute de prime annuelle pour investir dans du matériel, elle a pris les devants comme à son habitude. Reste maintenant à trouver une solution pour améliorer la participation orale de ses élèves qui, faute d’être entendus du premier coup, préfèrent se taire.