
Blanche Lochmann
Pourquoi consacrer un dossier à cette thématique ?
Ce numéro spécial a été conçu à partir d’une enquête réalisée auprès de nos adhérentes l’année dernière, à l’occasion des 70 ans de l’union des deux associations (masculine et féminine) des agrégés.
Cet anniversaire était l’occasion de se demander où en était la situation des femmes dans l’Éducation nationale : nous voulions savoir si, 70 ans après, le combat féministe de nos ancêtres agrégées avait encore son utilité.
Quelles sont les principales conclusions de ce dossier ?
La majorité des femmes nous ont dit que la maternité était un handicap dans leur carrière. On pense généralement que cette profession, très féminisée, permet aux femmes d’élever leurs enfants sans que cela nuise à leur progression professionnelle. Ce n’est pas le cas.
Le bilan social qui a récemment été publié par le ministère de l’Éducation nationale illustre ce constat de manière tout à fait objective. Il faut d’ailleurs se féliciter que le ministère ait publié les chiffres du bilan social par sexe, ce qui permet d’avoir des éléments de comparaison très précis, catégorie par catégorie, étape par étape.
Une chose nous a particulièrement frappés au cours de notre enquête : lorsque l’on a demandé aux adhérentes si elles pensaient avoir rencontré des difficultés particulières en tant que femmes, la plupart ont répondu que non mais, après avoir affirmé n’avoir rencontré aucun obstacle, elles ont décrit des situations compliquées. Il y a une disparité entre l’image de femme forte et indépendante qu’elles veulent montrer et la réalité de la situation, plus difficile que celle des hommes.
Y a-t-il des chiffres marquants qui ressortent de ce dossier ?
Lorsque l’on regarde les chiffres du bilan social du ministère, on voit que plus les responsabilités sont importantes, plus la part des femmes diminue.
Il y a 86% de femmes parmi les personnels techniques et seulement 14% de femmes chefs d’établissement dans l’enseignement supérieur. Cette dégradation de la part des femmes est proportionnelle à la progression des niveaux de revenus et de responsabilité : 84% de professeurs des écoles, puis 58% des professeurs du second degré, 48% des personnels d’encadrement, 44% des maîtres de conférence, 37% des profs de classe préparatoire, 25% des professeurs d’université et aucune catégorie ne vient contredire ce constat !
Ces chiffres vous ont-il surprise ?
Pour une profession dite féminisée, c’est pour le moins renversant ! Si c’était vraiment le cas, nous devrions retrouver la même proportion de femmes à toutes les étapes, c’est à dire 70% de femmes partout. Il y a 70% de femmes professeurs, pourquoi n’y a-t-il que 48% de personnels d’encadrement femmes ?
Personnellement je ne m’étais jamais représenté la situation sous cet aspect, c’est grâce à cette enquête et à la transparence du ministère sur cette question que nous pouvons faire ce constat. Et pour l’institution, c’est un mauvais constat.
Les institutions ont-elles pris conscience de cette inégalité ?
Nous avions déjà abordé ce sujet auprès de la direction des ressources humaines. Nous avons également interrogé Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement Supérieur et Caroline Pascal, doyenne de l’inspection générale et Sophie Béjean, rectrice de Strasbourg qui est également présidente de l’Association des femmes dirigeantes de l’Enseignement supérieur.
Elles sont conscientes des difficultés rencontrées et elles proposent différentes façons de faire qui ne vont pas forcément dans le sens d’une discrimination positive mais plutôt dans l’accompagnement, le tutorat.
Quelles sont les propositions de la Société des Agrégés ?
Nos adhérentes ont fait des propositions que nous relayons. Il y a deux types de mesures : des mesures générales à appliquer à la société dans son ensemble, qui sont par exemple l’augmentation du temps de congé paternité et la création de crèches dans les établissements où elles travaillent. A cela s’ajoutent des mesures pour l’institution, comme par exemple un contrôle a posteriori des carrières, ou une formation des chefs d’établissement qui permette une prise de conscience du traitement parfois réservé aux femmes, et une vigilance accrue des équipes de recrutement.
Lors des discussions avec le ministère de l’enseignement supérieur sur les carrières des enseignants-chercheurs, nous avons insisté auprès du ministère sur l’importance des dispositifs de retour de congé maternité afin d’éviter que les femmes ne soient lésées.
Avez-vous des retours de cette enquête ?
L’enquête n’a été publiée qu’au début du mois de juillet, nous attendons des réactions. Nous savons que les femmes qui sont intervenues étaient heureuses de la manière dont les choses ont été présentées, de cette volonté d’être constructifs.
Du côté de nos collègues, nous recevons des commentaires positifs. Nous verrons si nous dépassons le cadre de l’Éducation nationale pour faire réagir le plus grand nombre.
Nous pensons que c’est le bon moment pour publier cette enquête, la place des femmes dans l’institution est un grand enjeu pour l’avenir de l’Éducation nationale.
La Société des Agrégés est donc précurseur dans ce combat !
Il est en effet curieux que les syndicats n’aient pas davantage posé ce problème. Mais ce n’est pas le moment de créer des polémiques : nous voulons des solutions concrètes et efficaces, pas de long discours. Ce que nos adhérentes recherchent, ce sont des initiatives pratiques. Le tutorat en est un exemple, que la Société des agrégés met progressivement en place. Dans nos ateliers de l’agrégation, nous accompagnons des femmes en cours de carrière : en leur apportant une aide méthodologique approfondie, en complément des préparations universitaires qu’elles suivent par ailleurs, nous faisons en sorte qu’elles se sentent tout à fait à leur place pour passer le concours.
Bonjour,
La première chose qui manque aux femmes c’est du temps. A chaque enfant, donnez-leur un an de congés de recherche ou de préparation à un concours. C’est un début mais ce ne sera pas accepté car les hommes y perdraient un privilège. L’enquête a interrogé des femmes : pourquoi ne pas avoir interrogé des hommes pour voir comment ils s’y sont pris pour atteindre leur poste à responsabilité, à haut salaire, à prestige ? Le problème n’est pas d’aider les femmes (elles se débrouillent très bien toute seule) mais de retirer des privilèges aux hommes qui, même si vous aidez les femmes, n’y renonceront pas. Je trouve que toute cette analyse est bien naïve et tardive. Dès les années 70 des théoriciennes ont pensé le problème, qui est une hégémonie masculine que la discrimination positive peut contrer, en partie. Pourquoi exclure cette solution d’emblée, sans argumenter ? Au profit de « dans l’accompagnement, le tutorat. », on dirait qu’il s’agit de mineures isolées. De plus, je précise que les syndicats s’y sont déjà penchés avec des analyses très poussées et fines. Donnez-nous du temps : pour lire, faire du réseau, dîner le soir avec des personnes clé, partir à l’étranger et écrire des livres. Le temps, c’est l’émancipation et le pouvoir. Bien cordialement, Soni
Comment ça les syndicats ne s’en sont pas chargés? Croyez-moi des décennies de syndiquées s’en chargent même sans agrégation en poche. Quel mépris ! Une syndiquée SudEduc Solidaires…
Pour ce qui est de l’intérêt des syndicats de l’Education nationale sur la question des inégalités hommes-femmes, je trouve la remarque de Blanche Lochmann injustifiée. A titre d’exemple (parmi bien d’autres) https://www.sudeducation.org/Pour-un-8-mars-de-lutte-et-de-greve.html, il suffisait de chercher et de lire. A bonne entendeuse !