élèves collège

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Les études, ces dernières années, sont préoccupantes quant aux résultats scolaires des Français, y compris dans leur propre langue. En 2015, seulement « 60% des élèves ont une maîtrise suffisante des compétences attendues (en compréhension de l’écrit et étude de la langue, Ndlr) en fin de scolarité primaire » (Cedre 2015). Les élèves français de CM1 obtiennent, d’après l’évaluation PIRLS 2016, une moyenne inférieure à celle des pays de l’OCDE et de l’Union Européenne. « Depuis PIRLS 2001, la performance globale française baisse progressivement à chaque évaluation. En 2016, l’écart est significatif et représente – 14 points sur la période de quinze ans », peut-on ainsi lire sur le site du ministère de l’Education Nationale. Et les professeurs le constatent aussi dans leurs classes : nombreuses fautes d’orthographe et d’accords grammaticaux, incompréhension des textes, méconnaissance des compléments circonstanciels, difficulté à lire à voix haute, à s’exprimer à l’oral et à l’écrit, à articuler les idées entre elles…

Interrogé au micro de France Inter en janvier 2018 sur ce déclin, Stanislas Dehaene, psychologue cognitif et neuroscientifique à la tête du Conseil scientifique de l’Education Nationale a reconnu que cette baisse des performances depuis 15 ans était préoccupante. Sans toutefois savoir vraiment à quoi l’attribuer. « Ca ne veut pas dire que l’école était mieux avant, par exemple. C’est peut-être des facteurs environnementaux. C’est peut-être des facteurs familiaux. C’est peut-être effectivement cet isolement face aux tablettes. On ne sait pas très bien ». Difficile, en effet, de pointer du doigt une seule raison.

Des facteurs environnementaux

La baisse des résultats scolaires n’est pas propre à la maîtrise de la langue. Les sciences, par exemple, sont aussi impactées, ce qui élargit la question. Pierre Favre, enseignant depuis 1981 et désormais président du Syndicat national des écoles (SNE), constate une maîtrise du langage de plus en plus faible dès la petite section. La présence plus importante des écrans dans les foyers peut être une cause et restreindre la communication au sein de la famille. Par ailleurs, la maîtrise de la langue semble s’être détériorée dans la société or les enfants reproduisent ce qu’ils entendent. « Quand je regarde les archives de la télévision française et que je constate la manière éloquente dont les enfants, adolescents, et même les adultes d’un niveau de certificat d’études s’exprimaient, je me dis que le mimétisme est l’un des embrayeurs manquant de notre siècle. Quels sont les modèles de nos enfants aujourd’hui pour s’approprier la langue française ? Encore plus quand les enfants sont issus de familles immigrées », s’interroge ainsi Gaëlle Assoune, professeure certifiée en collège Rep+ à Nice, animatrice SEVE d’ateliers philosophiques et de pratiques de l’attention. Les études démontrent, en effet, des liens importants entre le niveau social des parents et les résultats des élèves. Le système éducatif ne parvient pas à enrayer ces inégalités.
Chez les enfants plus âgés et ados, la carence lexicale peut aussi être liée à une réticence à enrichir son vocabulaire. « Pour certains, tout mot inconnu est jugé comme étant rare. Les jeunes ont l’impression de trahir leurs pairs en accédant à un vocabulaire différent de celui qu’ils utilisent entre eux », remarque Romain Vignest, professeur dans un collège parisien et président de l’association des Professeurs de Lettres (APLettres).

Pas assez d’heures de cours

Face à ces difficultés à enseigner le français, Gaëlle Assoune estime que « la plus grande préoccupation de l’enseignant, de la primaire au secondaire, devrait être l’enfant et non pas le programme. » Mais pour cela, il faudrait peut-être accorder plus d’heures à l’étude de la langue. Leur nombre n’a cessé de diminuer au profit de nouvelles disciplines ou de temps de soutien. « Le nombre d’heures de français reçues jusqu’en 2nde équivaut à celui que les élèves avaient en entrant en 4ème dans les années 70. On a perdu deux ans de pratique ! On recule les apprentissages. Le passé simple est enseigné en 5ème et 4ème alors que dans les années 80 on l’abordait en CE2 et CM1. Or, plus on est jeune plus le cerveau est malléable et ouvert à ces apprentissages », remarque Romain Vignest.

Une remise en question des professeurs

Les connaissances et la formation des professeurs sont aussi sujettes à débat. « Dans le CRPE (Concours de recrutement de professeurs des écoles, Ndlr) comme dans la formation des professeurs des écoles, la place de la grammaire est minorée. Des collègues correcteurs de ce concours constatent des fautes dans les copies. Enseigner ce qu’on maîtrise mal, c’est problématique », déclare le président de l’APL. Les candidats passant le concours aujourd’hui, tout comme les jeunes professeurs, ont eux-mêmes connu un enseignement du français altéré. La formation continue peut également être améliorée. Dans l’évaluation PIRLS 2016, 38% des enseignants français ont confié n’avoir participé à aucune formation professionnelle en lecture-compréhension au cours des deux dernières années contre 22 % en moyenne pour les autres pays européens.
Le français est utilisé dans toutes les matières et concerne tous les enseignants. Il en va ainsi de la responsabilité de chacun. « Beaucoup d’établissements gèrent bien le travail d’équipe, et participent à l’appropriation de la langue française de façon remarquable », remarque Gaëlle Assoune pour qui l’environnement de travail au sein de l’établissement et les relations adultes-enfants doivent être améliorées. «  Les recherches montrent que la confiance, l’empathie et l’attention sont des gages de réussite de tous projets de classe ou d’innovations pédagogiques ».

Une responsabilité politique

Face à ces constats, la responsabilité politique tient aussi une place importante. Marie-Claire, professeure en bac pro en Gironde, dénonce ainsi « les nombreuses réformes mises en place en urgence, faites sans moyens, dans des collèges ou lycées qui ne sont pas toujours informés, et des profs sous-payés qui s’épuisent à faire au mieux pour leurs élèves ». Des conditions de travail difficiles pour relever les exigences parfois contraires de l’Education nationale. « Depuis 1989, on laisse passer en classe supérieure les élèves alors qu’ils ne maîtrisent pas encore les fondamentaux. Ils n’ont pas plus d’une année pour parfaire leurs apprentissages. Ce n’est pas une surprise que 25% des élèves ne maîtrisent pas les fondamentaux en 6ème. Il y a un choix politique à faire : ne pas aller en 6ème sans savoir écrire et compter ou créer des classes de niveau au collège. Il y a une responsabilité énorme dans cet échec », ajoute le président du SNE. Le Conseil scientifique de l’EN tentera, pour sa part, d’identifier les facteurs qui influent réellement sur la performance des élèves. Reste à l’Education nationale à trouver des solutions adéquates…