Alain Sarfati

Alain Sarfati – crédits photos : UPSud / M. Lecompt

Est-ce compliqué de devenir président d’une université en préparant sa « disparition » ?

Non, je trouve ce contexte enthousiasmant et l’aborde en toute sérénité. Cela fait moins de deux mois que je suis président de Paris-Sud, mais je suis impliqué dans la construction de la future Université Paris-Saclay depuis longtemps, puisque j’étais vice-président de Sylvie Retailleau. Celle-ci, à laquelle j’ai succédé, est depuis le 2 janvier 2019 présidente de la ComUe (Communauté d’universités et établissements) Paris-Saclay. C’est donc un chantier commun que je connais parfaitement.

Si, en effet, l’Université Paris-Sud va disparaître, la question de la terminologie n’est pas simple. J’ai pour habitude de dire que la ComUe et l’université vont se fondre, au sens physique du terme, dans l’Université Paris-Saclay. Il ne s’agit évidemment pas d’un simple changement de nom, c’est toute l’organisation pratique des services de la nouvelle entité qu’il faut bâtir, voir ce qui peut être mutualisé ou réalisé ensemble… tout en continuant, en parallèle, à faire fonctionner Paris-Sud. Il nous faudrait plus d’une année pour réaliser tout cela, mais la pression transforme le charbon en diamant !

À quels enjeux entend répondre l’Université Paris-Saclay ?

Rappelons d’abord que l’Université Paris-Saclay va intégrer — bien qu’elles garderont leurs personnalités morales — de grandes écoles : l’École normale supérieure Paris-Saclay (anciennement ENS Cachan), l’Institut d’optique Graduate School, CentraleSupélec et Agro Paris Tech, ainsi que l’IHES. Ces dernières seront des établissement-composantes à part entière de l’Université Paris-Saclay. Puis à l’horizon 2025, les universités de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines et d’Évry-Val-d’Essonne fusionneront avec l’Université Paris-Saclay après avoir été universités membres associées entre 2020 et 2025. À ces composantes, il faut ajouter les organismes de recherche nationaux (CEA, CNRS, INRA, INRIA, INSERM, Onera) qui participeront à la gouvernance.

Pour répondre à votre question, l’objectif de Paris-Saclay est de bâtir une université mondialement reconnue – plus encore que ne l’est déjà Paris-Sud – et de casser des modes de fonctionnement encore trop en silos. Pour mieux remplir ensemble nos missions de cœur que sont la formation et la recherche, il nous faut dépasser un modèle très segmenté : organismes de recherche d’un côté, universités et grandes écoles de l’autre.

La question de l’innovation est également dans notre ADN. Paris-Saclay est un cluster (NDLR : Ce cluster est un ensemble qui, sur un territoire donné doit permettre la valorisation économique et commerciale des efforts de recherche publique et privée grâce à l’action conjointe des organismes de recherche publique, des universités, des investisseurs, de grands groupes industriels, de PME, start-up, etc.) qui compte d’ailleurs déjà sur son territoire, beaucoup d’entreprises et de centres en Recherche et Développement. Les projets de recherche doivent aussi alimenter l’innovation des entreprises. Celles-ci ont besoin de ces travaux effectués très en amont; Ces interactions entre start-up, labo, écoles, universités seront évidemment très profitables à l’ensemble de nos étudiants, à commencer par ceux qui travailleront en entreprise.

L’objectif initial était de faire de l’Université Paris-Saclay un « Cambridge » à la française en unissant les fleurons de l’enseignement supérieur. Mais l’École polytechnique, l’ENSTA, l’ENSAE, Télécom SudParis, Télécom ParisTech ont choisi de se fédérer sous une autre alliance récemment baptisée Institut Polytechnique de Paris et à laquelle HEC vient de s’allier. Cela remet-il en cause l’ambition d’excellence affichée par l’Université Paris-Saclay ?

Je regrette cette non-adhésion, mais cela n’est pas aussi handicapant que vous le laissez entendre. Et cela ne remet en rien en cause nos ambitions… sauf si vous considérez que seule Polytechnique est porteuse de l’excellence. Si la création de l’Université Paris-Saclay s’était résumée à la fusion des universités de Paris-Sud, Évry et Versailles, nous aurions, alors, raté nos objectifs et nous n’aurions pas pu faire bouger les lignes. Ce n’est pas le cas, puisque le projet consiste bien à réunir universités, écoles et organismes nationaux de recherche. À vrai dire, je préfère une dynamique forte sans Polytechnique qu’une intégration moins ambitieuse avec Polytechnique. C’est une perte, je n’en disconviens pas et en termes de visibilité et de classement, l’absence de Polytechnique nous pénalisera sans doute un peu, mais pas tant qu’on pourrait le craindre. D’ailleurs, les simulations réalisées pour le classement de Shanghai, le plus réputé en la matière, placent la future Université Paris-Saclay dans le Top 20.

L’Université Paris-Saclay verra le jour sous statut « dérogatoire expérimental » d’Établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel. Qu’est-ce que cela change ?

Cela signifie que nous pourrons déroger à certaines règles du code de l’éducation. Par exemple, les écoles vont conserver leur personnalité morale, elles restent donc employeuses de leurs personnels, mais tous les diplômes de Licence, Master et Doctorat seront accrédités par l’Université. Expérimental et dérogatoire aussi, parce que le conseil d’administration sera composé pour moitié d’élus et pour moitié de personnalités extérieures qualifiées. Au bout de dix ans, un bilan permettra d’inscrire ces dérogations dans la loi ou de l’abandonner si elle ne fonctionne pas comme espéré.

De nouveaux diplômes verront-ils le jour ?

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© ktsdesign – Fotolia.com

Le doctorat restera le doctorat, nous n’allons pas créer un diplôme bis ! Il n’y a pas de nouveaux diplômes proprement dits, mais nous avons déjà commencé, avec la ComUE, à mutualiser une grande partie de l’offre de formation Master et la création de la future Université Paris-Saclay sera l’occasion de la faire évoluer, de la tourner encore plus vers l’international…

Là où il y aura le plus d’innovations, c’est dans le cadre de la Licence. Nous aurons un modèle en rupture afin de répondre encore mieux aux besoins de tous les étudiants. L’Université Paris-Sud est présentée comme une université d’excellence, avec des voies sélectives, pour des étudiants extrêmement brillants, travaillant très vite, etc. Nous devons nous adresser aussi à ceux qui, jusqu’à présent ne choisissent pas l’université, mais s’orientent vers des classes préparatoires voire partent suivre des formations à l’étranger. Le fait qu’il y ait des départs à l’étranger ne pose évidemment pas problème. Le souci est que ces départs se font en raison du manque d’offre de formation en France répondant à leurs attentes. Nous allons donc créer de nouvelles licences sélectives (la sélection est assumée), qui ne sont pas des doubles licences, mais des licences à double composante. Par exemple, une licence de « mathématique et physique », très orientée recherche et tournée vers l’international pour des étudiants qui ont pour projet de faire des études longues et denses. Ces formations ont vocation à être très visibles y compris à l’international.

Mais l’offre de licence s’adressera également aux étudiants qui souhaiteront suivre une licence « classique ». Par souci de clarté, ces licences seront accréditées par une École universitaire de premier cycle qui portera ces licences mais aussi des formations professionnalisantes courtes.

C’est un aspect que je veux souligner car celles-ci ne sont pas souvent valorisées et, lorsque c’est le cas, c’est parce qu’elles préparent, en réalité, à des études longues ! Le pourcentage d’étudiants qui vont sur le marché du travail après un DUT est très faible alors que les entreprises ont besoin de ces cadres intermédiaires. Nous devons donc travailler de concert avec les entreprises pour revaloriser ces parcours. L’Université Paris Saclay va donc créer une structure ad hoc qui délivrera ses propres diplômes de licence, licence pro ou IUT, à but de professionnalisation jusqu’à Bac+3. En parallèle, nous développerons une offre de formation tout au long de la vie (FTLV) importante car c’est ainsi que doit s’appréhender de nos jours un parcours professionnel.

L’Université Paris-Sud est également très impliquée dans « la Maison d’initiation et de sensibilisation aux sciences ». Cette structure, accueillie sur le campus de la Faculté des Sciences à Orsay, répond aux enjeux de sensibilisation aux sciences des scolaires. Portée par le Conseil Régional d’Île-de-France, c’est un espace de pratique qui se veut « ludique et rigoureux ». Dans une série d’ateliers thématiques (musique et la science, archéologie, robotique, communication animale, les roches et l’eau, les mathématiques et la botanique…), les élèves du CE2 à la 3e, leurs enseignants et des jeunes chercheurs expérimentent et découvrent ensemble différentes démarches scientifiques.

Paris-Sud en chiffres

– 5 UFR, 3 IUT et une école d’ingénieur (Polytech Paris-Sud) répartis sur 5 sites géographiques situés au sud de Paris

– 82 laboratoires- 4 000 enseignants, enseignants-chercheurs et chercheurs- 2 600 doctorants

– 31 800 étudiants sont inscrits à l’Université (17 700 au niveau licence, 11 500 au niveau master, 3 000 en formation continue, 1 500 en apprentissage, 5 050 étudiants de nationalité étrangère, en provenance de 136 pays)

– Plus de 6 000 publications scientifiques

Un mot pour finir sur la semaine « Sciences pour tous » qui s’est déroulée du 21 au 25 janvier 2019 dans 11 laboratoires de recherche du périmètre de Paris-Sud au bénéficie d’une soixantaine d’enfants dont une moitié dans les laboratoires du CEA.

C’est un projet essentiel qui s’inscrit parfaitement dans le cadre des changements de mentalité que j’évoquais. Car ce n’est pas au moment où l’on passe le Bac que l’on doit découvrir ce que sont l’université, la recherche, les études longues, etc. Avoir des liens avec les lycées et collèges c’est indispensable et ça l’est encore plus lorsque, comme dans le cadre de Science pour tous, il s’agit d’accueillir des élèves de troisième issus d’établissements du Réseau d’éducation prioritaire. Ces jeunes-là pour la plupart n’envisagent pas de faire des études longues. Or, un stage comme celui-là, leur ouvre des perspectives.  Au final, ce fut une semaine assez magique. Ce fut une belle rencontre entre deux mondes, si on peut dire les choses ainsi, et les scientifiques ont été touchés par l’énergie de ces adolescents, leur volonté d’apprendre, le respect qu’ils ont manifesté. À la fin de la semaine, certains ont écrit leur espoir de devenir « mathématicien ». Pari gagné donc !