Philippe Jaroussky

Philippe Jaroussky

Vous avez créé votre académie musicale l’an passé à Boulogne-Billancourt. À quel public est-elle destinée ?

Dès le départ, j’ai souhaité qu’elle s’adresse à la fois aux novices et aux musiciens confirmés. Cela se traduit par deux programmes. Le premier est destiné aux enfants âgés de 7 à 12 ans, que nous appelons nos jeunes apprentis, et qui y découvrent le violon, le violoncelle ou le piano. Le programme se déroule sur trois ans et, l’an dernier, nous avons accueilli 24 élèves. À notre grande — et bonne — surprise, aucun n’a abandonné. Tous sont donc en 2e année et 25 nouveaux ont débuté fin septembre leur initiation.

Ce volet a pour ambition de décloisonner la pratique de la musique classique. Lors des sélections, nous privilégions donc les enfants issus des milieux sociaux les moins favorisés, les familles qui n’auraient pas eu les moyens d’offrir un instrument, des partitions ou des cours de musique. Celles qui n’auraient même pas osé franchir la porte d’un conservatoire. Ici, tout est entièrement gratuit, grâce à nos nombreux mécènes privés et publics.

Commencer la musique n’est pas anodin. L’un des moments très forts de la vie de l’école est le jour où l’on remet leurs instruments aux enfants. C’est l’occasion d’une petite cérémonie, je dirais même d’un cérémonial, puisqu’ils reçoivent leurs instruments sur scène, de manière officielle. Nous avons aussi pu constater que lorsqu’un enfant se met à étudier un instrument au sein de ces familles éloignées de la musique classique, voire intimidées par cette pratique culturelle encore considérée comme élitiste, cela rayonne sur tous. Parents, frères et sœurs, amis… ils sont fiers, se sentent valorisés…

À qui s’adresse le second volet ?

Il se place à l’autre extrémité du spectre de l’enseignement, puisqu’il est destiné aux musiciens pré-professionnels, âgés de 18 à 25 ans. Ce cursus ne dure qu’un an et a pour finalité de les aider à s’insérer dans la vie active. Car, comme c’est le cas pour d’autres métiers, on demande aux jeunes musiciens qui cherchent du travail d’avoir déjà de l’expérience ! Dans l’académie, ceux que nous appelons nos jeunes talents continuent à améliorer leur technique en violon, violoncelle, piano et chant, mais nous leur donnons aussi l’occasion de se produire sur scène, d’enregistrer, d’être filmés… Nous communiquons également sur eux auprès des festivals et des scènes pour qu’ils les mettent à l’affiche. Cette année nous avons d’ailleurs conclu un beau partenariat avec le théâtre Marigny de Paris.

Ces deux univers ne sont pas hermétiques. Les petits viennent souvent voir les jeunes talents jouer et nous avons instauré un système de parrainage. Épaulés par un musicien presque professionnel, les enfants s’identifient à son parcours, se projettent, se motivent… Nous voulons instaurer un esprit de corps entre les élèves. Cela passe par ces échanges-là, mais aussi par le nom que nous donnons à chacune de nos promotions ( comme cela se fait à l’ENA !) ou encore par les polos floqués au nom de l’école.

Qu’est-ce qui vous a motivé à créer cette académie ?

Philippe Jaroussky-Chant

Philippe Jaroussky-Chant

Je viens d’un milieu de classe moyenne et j’habitais dans une ville de banlieue avec des parents qui n’étaient pas liés à la musique. J’ai réellement découvert celle-ci à l’âge de 10 ans grâce à mon professeur de musique du collège Colette de Sartrouville, Gérard Bertram. C’est pendant la petite heure de musique scolaire hebdomadaire que mon destin s’est joué avec ce professeur extraordinaire qui a détecté un don pour la musique chez moi. J’aimais chanter, mais de façon instinctive, candide et je ne jouais pas d’instrument, je ne faisais pas partie de chorale… Mais il a perçu quelque chose et a insisté auprès de mes parents pour qu’ils m’inscrivent au conservatoire de la ville. Après 20 années de carrière, ce passé m’est revenu en mémoire comme un boomerang. Je me suis dit que c’était à mon tour de changer la vie de quelques personnes. Ma réflexion a aussi mûri avec les interviews que j’ai données et pendant lesquelles on me rappelait souvent que la musique classique restait élitiste. Évidemment, je plaidais pour sa démocratisation, mais j’ai réalisé que je ne faisais que de l’incantatoire. Il était temps que je me retrousse les manches !

Y a-t-il une « méthode Jaroussky » d’enseignement ?

Non, j’ai laissé aux sept jeunes enseignants de l’année dernière — et aux 6 autres qui les rejoignent cette année — totale liberté quant à leur approche pédagogique. Mais j’ai demandé qu’il y ait deux cours par semaine et non un seul, comme c’est généralement le cas ailleurs. On sait, en effet, que les enfants ont d’autres activités scolaires et de loisirs et qu’ils ne se mettent à leur instrument qu’à la veille des cours. Avec deux rendez-vous hebdomadaires à l’académie, ils vont, au minimum, travailler deux fois plus leur instrument, donc progresser plus vite et, finalement, prendre rapidement du plaisir à jouer, ce qui est la clef de tout.

J’ai aussi donné une instruction à mes enseignants : celle de rapprocher dès que possible les élèves des grands compositeurs. Habituellement, on fait jouer aux enfants des morceaux spécialement écrits pour eux. Ceux-ci sont nécessaires pour leur permettre d’assimiler des difficultés techniques récurrentes. Mais je voulais qu’en passant par des versions simplifiées, ils puissent également jouer du Mozart, du Beethoven ou du Bach. Nous ne les considérons pas comme des enfants, mais déjà comme des interprètes. Car même s’ils ne connaissent pas bien ces artistes, ils peuvent être touchés par le génie d’un compositeur, par le beau, tout simplement. Et puis, ce sont des airs qu’ils entendent à la télévision ou au cinéma, c’est donc valorisant pour eux de les reproduire. Notre ambition n’est évidemment pas de faire de chaque élève un futur professionnel, mais apprendre la musique est toujours un formidable exercice intellectuel, c’est comme apprendre une nouvelle langue. C’est aussi une école de vie qui fait vivre des moments de découragement, de trac, d’autres qui donnent l’impression de stagner, qui nous rendent heureux ou nous grandissent.

Quel regard portez-vous sur l’enseignement de la musique ?

Je constate qu’il y a depuis quelques années un regain d’intérêt pour la musique comme vecteur d’apprentissage. Un événement comme la rentrée scolaire en musique en est l’un des signes.

Mais je suis inquiet du sort des conservatoires municipaux. Les listes d’attente sont interminables et de nombreuses classes ferment, faute de moyens. Une académie comme la mienne ne veut surtout pas se substituer aux structures locales publiques. Au contraire, nous sommes là pour jouer le rôle de passerelle vers celles-ci. Les enfants ont besoin de cours de qualité à proximité de leurs lieux de vie. Je trouve donc très paradoxal de stimuler le goût des enfants pour la musique et de limiter les moyens leur permettant de la pratiquer. J’ai fait mes études au conservatoire de Sartrouville avant d’obtenir mon prix de violon au conservatoire de Versailles et celui de solfège, à Boulogne-Billancourt. À aucun moment de ma vie, je n’ai eu à rougir de l’enseignement que j’avais reçu.

Philippe Jaroussky

Philippe Jaroussky – crédits Simon Fowler

Vous avez aujourd’hui une vie professionnelle extrêmement riche. Combien de temps pouvez-vous consacrer à l’académie ?

Au-delà de la création pendant laquelle je me suis beaucoup investi, j’assiste à toutes les auditions publiques des petits et je consacre presque 4 semaines par an aux jeunes talents. J’avais déjà donné de nombreuses master-class et je savais déjà que j’appréciais transmettre. Mais je découvre depuis un an une forme d’enseignement encore plus enrichissante. Ici, la régularité crée des relations bien différentes avec les élèves, un rapport de confiance plus fort… Lors d’une master-class, les élèves peuvent être impressionnés et leur talent altéré par une forme de pression qui, bien sûr, n’existe plus lorsqu’on se voit pendant une semaine. Mais jouer le rôle de professeur m’est aussi très profitable. À la fin d’une semaine passée avec les élèves… je chante beaucoup mieux ! L’enseignement est une vraie révélation. Je n’avais pas pris la mesure du plaisir que j’allais recevoir à enseigner. C’est presque une drogue, quand j’enseigne, je ne vois pas passer les 8 heures et je ne me sens pas fatigué à l’issue du cours. C’est désormais pour moi une activité à part entière que je n’envisage pas d’arrêter avant longtemps.