
Interdiction portable – Shutterstock
C’était une promesse de campagne d’Emmanuel Macron, l’application de la nouvelle loi n°2018-698 relative à «l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les établissements» a été adoptée le 30 juillet dernier et mise en application dans les écoles et collèges dès la rentrée. Une interdiction qui vise à sensibiliser les élèves sur l’utilisation du portable et réduire l’impact qu’ont les écrans sur les enfants de 6 à 15 ans, améliorer l’écoute et la concentration ou encore lutter contre le cyber-harcèlement.
Le ministre de l’Education Nationale, Jean-Michel Blanquer, était l’invité de RTL en août dernier. Il s’y exprimait peu avant la rentrée sur la mise en place de l’interdiction des téléphones portables au collège, en insistant sur les modalités d’interdiction. «Les marges de manœuvre seront décidées par les établissements scolaires» a-t-il annoncé. «Deux solutions qui consistent soit à éteindre le téléphone et le laisser dans le sac de l’élève, soit à installer des casiers où les élèves laisseront leurs téléphones portables toute la journée.»
Concrètement aujourd’hui, comment cela se passe-t-il dans les établissements ?
Une interdiction déjà existante
Dans la majorité des établissements, le téléphone portable était déjà interdit depuis 2010 avec l’article L511-5 du Code de l’éducation. Edwige Llonaci, principale du collège Laurent Eynac à Le Monastier-sur-Gazeille, en Haute-Loire (43) explique que l’établissement a inclus l’interdiction suite à cette loi : «Le téléphone portable est uniquement autorisé à la vie scolaire en présence d’un assistant d’éducation» explique-t-elle. «La loi qui a été votée cet été ne nous oblige pas à modifier le règlement intérieur car il est déjà interdit partout, à l’exception de la vie scolaire.»
Le collège, qui dépend de l’académie de Clermont-Ferrand, se trouve dans un milieu rural assez isolé où le respect et la discipline sont de rigueur. Ainsi, les responsables pédagogiques et les élèves ont voté ensemble et l’interdiction du téléphone portable a été unanime. «Tout le monde a trouvé que c’était une bonne chose y compris les élèves» confie la principale. « Depuis, il y a eu beaucoup de discussions entre les élèves, les maigres incidents -notamment des disputes sur les réseaux sociaux- ont été réglés rapidement». Concernant les téléphones confisqués, ils sont remis aux parents de l’élève et ces derniers doivent venir le chercher à l’établissement.
A l’opposé, Stéphanie de Vannsay, enseignante et conseillère nationale au Syndicat des enseignants de l’UNSA, chargée des questions du numérique à l’école, défend l’idée que ce texte de loi est strictement démagogique et que la décision doit dépendre uniquement des établissements et non du gouvernement. « Il n’y a absolument aucune nécessité à légiférer là-dessus» défend-elle. «Il suffisait de supprimer l’article de loi précédent, et de laisser la main aux établissements qui sont tout à fait capables de régler ça dans le cadre de leur règlement intérieur, sans que la loi s’en mêle». Suite à cette interdiction, certains collèges ont été obligés de changer le règlement intérieur en urgence, juste avant la rentrée scolaire.
Le numérique à des fins pédagogiques
Le nouveau texte de loi interdit non seulement les téléphones portables, mais également les appareils numériques à savoir les tablettes et montres connectées ainsi que tout ordinateur connecté à internet. Un détail qui pose problème, selon la syndicaliste, car le gouvernement aurait omis d’ajouter le terme « personnel » aux appareils numériques. «La tablette achetée par le Conseil Général ou Départemental est interdite à défaut d’usage» insiste-elle, avant de poursuivre : «La plupart des collèges ne se sont pas rendus compte que ces outils sont officiellement interdits. Résultat, les collectivités locales dépensent de l’argent pour équiper les collèges et tant que ces derniers ne mettent pas à jour leur règlement intérieur, ils ne pourront pas profiter de ces outils connectés.» En tout état de cause, le syndicat souhaite autoriser les usages pédagogiques avec l’accord de l’enseignant pour ceux qui désirent s’en servir. Les téléphones et tablettes peuvent aussi servir à l’apprentissage. Ils peuvent être intégrés à l’organisation personnelle de l’élève avec par exemple un agenda en ligne où ses devoirs et exercices seront répertoriés.
Le numérique est un moyen d’apprentissage qui s’est développé ces dernières années grâce aux outils comme le BYOD («Bring Your Own Device», en français «Apportez votre appareil numérique). Pascal Nogaro, professeur d’EPS au lycée professionnel Turquetil à Paris, se sert de ce dispositif avec ses élèves. «J’utilise la pédagogie différenciée, cela ouvre la voie à d’autres moyens de réussir » raconte-t-il. «Dans ma discipline, j’utilise la vidéo pour que mes élèves puissent se corriger et progresser. En effet, ils filment mutuellement leurs performances en cours. C’est une façon efficace, selon moi, de s’améliorer.»
« Des aménagements possibles du fait des spécificités de chacun »
L’enseignant, qui est chargé de mission du numérique au ministère de l’Education nationale, considère que le texte de loi interdisant les téléphones est un recadrage au niveau de la vie scolaire. Certains collèges n’arrivaient pas à gérer seuls l’interdiction. «Avant la loi, nous n’avions pas la liberté de sanctionner, l’élève pouvait refuser de donner son téléphone, maintenant que c’est inscrit dans la loi, cela donne plus de pouvoir aux établissements» explique-t-il. « J’ai moi-même dû faire une dérogation au conseil d’administration pour que mes élèves puissent l’utiliser dans mon cours, il est donc autorisé pour certaines activités.»
L’Espace Numérique de Travail (ENT) est un outil pédagogique en ligne qui se développe considérablement, en particulier à Paris. Les connexions sur la plateforme se font de plus en plus via un téléphone portable et cela crée un décalage entre la consultation à la maison (devoirs et messagerie de l’ENT utilisée) et dans l’établissement (les ressources disponibles sur la plateforme utilisées pendant les cours). «Ce n’était pas facile de tenir une position contre les portables uniquement en collège, car la ville de Paris soutient et conduit le déploiement de ces espaces de travail numériques» souligne Pascal Nogaro. «Le texte de loi sur l’interdiction a été adapté pour l’ensemble du territoire français avec des aménagements possibles du fait des spécificités de chacun.» Les établissements doivent donc trouver un équilibre entre l’interdiction mise en vigueur et l’utilisation des appareils connectés à des fins pédagogiques, qui peuvent être bénéfiques pour les élèves.
« L’Espace Numérique de Travail (ENT) est un outil pédagogique en ligne qui se développe considérablement, en particulier à Paris. »
Pourquoi en particulier à Paris ?