Marion Hirsinger

Marion Hirsinger

Comment l’envie d’écrire un livre sur votre vie quotidienne en maternelle est-elle née ?

Quand je dis quel métier j’exerce, j’entends souvent « c’est des petits, c’est sympa, c’est mignon ». C’est le genre d’image d’Épinal qui ne tient pas compte de la réalité du métier. Il faut dire qu’on entend peu parler des conditions dans lesquelles on l’exerce. Les média généralistes trouvent sans doute plus glamour de parler des grandes théories sur l’éducation que de ce qui se passe en classe. Même quand j’ai été formée à l’IUFM (ex-Espé), la gestion de classe n’était pas au programme. Savoir gérer une classe est pourtant le nœud du métier !

Poux, virus, influence de la météo sur l’énergie des élèves, piscine, paperasse, gestion des parents et des élèves : l’essentiel de votre livre est consacré à des situations très concrètes…

Les instits ne sont pas dans la théorie. Elles ont les mains dans le cambouis, accaparées par la gestion du quotidien. Il y a énormément de choses matérielles à gérer, à préparer, quand on fait ce métier. Cette différence entre l’image du métier et sa réalité explique sans doute aussi les déconvenues de jeunes gens qui, après bac+4 ou 5, découvrent la classe et les enfants lors de leur premier stage et se rendent compte que ce n’est pas du tout leur truc. Il y a des gens qui ont fait de longues études et ne sont pas bons en classe. Et il y a de bons instits qui ne sont pas des intellos.

Pourquoi le plaisir d’enseigner n’est-il pas évoqué ?

C’est vrai qu’il n’est pas très présent dans le livre. Pourtant, j’ai beaucoup de plaisir à enseigner. Surtout en maternelle, où je suis depuis 10 ans, après 7 ans en élémentaire. Le programme y est moins contraignant. Je suis très libre dans mon travail.

Au départ, nous avions imaginé des parenthèses plus poétiques, mais les bons moments que l’on peut passer avec les enfants sont de l’ordre de l’émotion. Le risque, en les racontant, aurait été de tomber dans la mièvrerie. Nous avons choisi un ton léger et les thématiques qui s’y prêtaient. C’est un mélange de moments vécus avec les élèves et les parents, de rappels historiques et de données sur l’école. [L’auteure rappelle, par exemple, que l’uniforme n’a jamais été en vigueur à l’école et qu’un professeur des écoles travaille en moyenne 44 heures par semaine, selon les données de l’INSEE.]

Ce livre n’est pas une étude qui permettrait de connaître entièrement ce métier ! J’espère juste qu’on s’en fait une image un peu plus proche de la réalité quand on l’a terminé.

Autre absente de votre ouvrage : la formation continue…

Je n’ai effectivement pas eu l’idée de traiter cette question. Sans doute parce que cela reste un sujet marginal, surtout en maternelle. Nous sommes rarement remplacées lorsque nous partons en stage de formation comme lorsque nous sommes malades. Il y a un vrai déficit de remplaçants et le cycle 3 est prioritaire. Du coup, on fait peu de stages et on vient faire classe avec 39 de fièvre, afin de ne pas faire porter aux collègues la répartition de nos élèves dans leurs classes.

Lorsque j’ai débuté il y a 17 ans, il y avait des stages de trois semaines. Maintenant, c’est plutôt quatre jours. Pourtant, la formation continue me semble essentielle psychologiquement. Se former est vivifiant et permet de voir autre chose. Quand on est dans une école depuis des années, on vit dans un petit monde, fermé. Cela peut être sclérosant.

De quoi aimeriez-vous parler en priorité si vous aviez l’occasion d’échanger avec le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Banquer ?

L'instant Maternelle couv livre

L’instant Maternelle couv livre

Des effectifs des classes. Cette année, j’aurai un double niveau avec 28 élèves. J’estime qu’il faut avoir 18 élèves pour faire correctement son travail. Chaque fois qu’arrive une épidémie de grippe, on s’en rend compte. En dessous de 18 par classe, ce n’est pas assez pour qu’il y ait une synergie. Autour de 18-20, c’est bien. Au-dessus de 20 par classe, chaque enfant compte double !

J’aimerais également que la question de la scolarisation des enfants de deux ans soit traitée en mettant vraiment des moyens dans les zones sensibles. On sait que, dans les zones prioritaires, plus tôt les enfants vont à l’école, sont en contact avec le livre, la langue, mieux c’est. C’est là qu’il faut créer des classes pour les enfants de deux ans. En revanche, je ne vois pas l’intérêt de scolariser tous les enfants de deux ans, partout, juste pour éviter les frais de crèche aux parents.

Quant à l’annonce de la scolarisation obligatoire à trois ans, c’est de la communication ! C’est déjà le cas pour plus de 97% des enfants.

Qu’avez-vous envie de dire aux enseignants qui vivent leur première rentrée en maternelle ?

De garder les bons moments en tête pour les instants plus difficiles. De prendre le temps avec les enfants. C’est très important. Certains en font trop faire aux élèves. Le danger est de se dire que comme leur attention est courte, il faut zapper d’une activité à l’autre. Il faut résister à ce rythme, de plus en plus rapide, que la société impose. Si on ne le fait pas, on peut épuiser les enfants et s’épuiser soi-même. Depuis cinq ans, je fais beaucoup de yoga avec les enfants. Ils sont tous à fond dedans. Ils se posent. C’est magique.

 

« L’Instant maternelle« , Marion Hirsinger, éditions Marie B – Août 2018
Illustrations : Laurence Houot