photo371Alain Doressoundiram est planétologue et astrophysicien au Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique (LESIA) de l’Observatoire de Paris. Spécialiste des petits corps du système solaire (astéroïdes, comètes, objets transneptuniens), il est responsable d’un instrument d’imagerie spectrale sur la future mission spatiale vers Mercure, Bepi Colombo.

Depuis quand les astronomes sont-il à la recherche de la neuvième planète du Système solaire ?

La recherche de planètes a toujours existé et motivé les scientifiques –  les six premières (jusqu’à Saturne) sont connues depuis l’Antiquité, mais Uranus a été découverte par William Herschel en 1781. La huitième planète, la dernière, Neptune, a été découverte 75 ans plus tard, en 1846, à partir des travaux du français Urbain Le Verrier. En notant quelques petites irrégularités sur l’orbite d’Uranus, ce dernier a imaginé qu’il existait une autre planète, qui en serait responsable. Par l’étude de ces irrégularités, il a ainsi calculé la masse de l’objet perturbateur, et sa localisation.

Mais même avec la découverte de Neptune, les astronomes ont continué à observer des irrégularités sur l’orbite d’Uranus. Ils ont alors pensé que par la même méthode, il serait possible de trouver une neuvième planète. Il s’agissait toutefois d’une erreur : ces irrégularités n’étaient en fait dues qu’aux mesures de l’époque, insuffisamment précises. Et c’est ainsi qu’à tort, on a longtemps considéré Pluton comme la “Planète IX” du Système solaire.

Vue d’artiste de la “Planète IX” /Caltech/R. Hurt (IPAC)

Vue d’artiste de la “Planète IX” /Caltech/R. Hurt (IPAC)

Finalement, en 2005, il s’est avéré que Pluton de par sa petite masse, n’était pas une planète, mais l’un des milliers d’objets transneptuniens (OTN) de la Ceinture de Kuiper, aux confins du Système solaire. Depuis la redéfinition par l’Union astronomique internationale de la notion de planète, Pluton est considéré comme une “planète naine” – un corps sphérique en orbite autour du Soleil, mais qui n’a pas “nettoyé” (avec sa gravité) son voisinage de tout objet susceptible de s’y trouver, car trop petit.

Aujourd’hui, à partir de modèles mathématiques, on continue quand même à chercher une neuvième planète…

C’est par la même approche – par des calculs, en analysant les propriétés des orbites d’autres objets célestes -, mais plus pour les mêmes raisons, que les chercheurs prédisent aujourd’hui l’existence d’une neuvième planète. En 2016, Michael E. Brown et Konstantin Batyguine, astronomes au California Institute of Technology (CalTech), ont exploré les orbites des OTN. Ceux-ci sont anti-alignés, “chassés” vers l’arrière, comme si un autre objet les y poussait.

Selon leurs calculs, il existerait finalement bien une neuvième planète, tapie dans les profondeurs du Système solaire, qui expliquerait cet alignement anormal des OTN, mais aussi du plan de rotation des planètes par rapport à l’équateur du Soleil. La Planète IX étant très inclinée, toutes les autres planètes seraient en fait “tirées” vers elle. Suite à leurs simulations, Brown et Batyguine ont estimé la taille et la localisation de cette “Planète IX” : elle aurait entre 5 et 20 fois la masse de la Terre et serait située à environ 105 milliards de kilomètres du Soleil.

Quelques mois après cette théorie de l’existence d’une neuvième planète, Jacques Laskar, directeur de recherche CNRS à l’Institut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides (IMCCE), a publié une estimation de ses positions possibles. Pour ce faire, il a étudié la position de Saturne au mètre près, en se basant sur les données de la sonde Cassini. Ce qui lui a permis d’affiner les résultats de Batyguine et Brown, et de resserrer la zone de recherches.

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En 2017, un doute s’est cependant installé sur l’existence de la Planète IX…

Des relevés très profonds du ciel ont été menés par les chercheurs du projet OSSOS (Outer Solar System Origins Survey) avec le téléscope CFHT d’Hawaï. L’année dernière, ils en sont arrivé à la conclusion que les objets très lointains que l’on voit anti-alignés le sont suite à des biais de mesure. J’aurais tendance à croire ces observations, très sérieuses… mais cela ne veut pas dire pour autant que la planète IX n’existe pas. Simplement, l’argument des orbites anti-alignées des OTN tomberait à l’eau, et l’on ne pourrait plus expliquer l’existence d’une neuvième planète ainsi.

Quelques astronomes sont donc sceptiques. Et en 2018, la planète IX n’a toujours pas été découverte. Il semble toutefois que les soupçons qui pèsent sur sa présence soient solides. Dans les profondeurs du système solaire, on peut même, selon moi, s’attendre à trouver bien d’autres gros objets, de la taille de Mars ou de la Terre. Ce n’est pas la première fois qu’une neuvième planète est prédite, mais cette fois, des prédictions d’orbite sérieuses existent. En mai dernier, une équipe de chercheurs internationaux a par exemple annoncé avoir étudié un objet céleste, “2015 BP519”, dont l’orbite anormalement inclinée et la trajectoire pourraient être dues à la gravité de la Planète IX.

planet_nine-etnos_now-new3Quelles conséquences pourrait avoir la découverte de la Planète IX pour l’astronomie et la science ?

Si elle existe, la planète IX serait un nouveau type d’objet dans le Système solaire, un troisième type de planète, autre que celles que nous connaissons actuellement – à savoir les petites rocheuses proches du Soleil (comme la Terre) et les géantes gazeuses qui en sont éloignées (comme Jupiter et Saturne). Il s’agirait ainsi d’une “super-Terre”, dix fois plus grosse que la Terre, rocheuse, et très éloignée du Soleil. Les super-Terres n’existent pas dans notre système planétaire, mais sont courantes dans les autres. Le Système solaire ne paraîtrait donc plus aussi atypique qu’actuellement…

Aujourd’hui, on continue à chercher la Planète IX. Les plus grands télescopes du monde parviennent à atteindre la magnitude apparente (l’éclat d’un objet) supposée de cette planète, qui serait entre 22 et 25. On est donc capable de la voir, de l’observer et d’en déterminer la composition. L’espace dans lequel la chercher étant très vaste, il est toutefois très difficile de la trouver, et c’est pourquoi personne ne l’a encore découverte.

Vue d’artiste de la “Planète IX” /Caltech/R. Hurt (IPAC)

Vue d’artiste de la “Planète IX” /Caltech/R. Hurt (IPAC)

De grands relevés du ciel vont bientôt arriver, grâce à une nouvelle génération de télescopes géants, comme le LSST (Large Synoptic Survey Telescope), qui devrait être opérationnel au Chili en 2023, et qui sera dédié à la recherche de nouveaux objets dans le Système solaire. On espère beaucoup du LSST, qui fera un scan de tout le ciel en quelques jours à peine. Si la Planète IX existe, on le saura donc bien assez tôt.

Resterait l’énigme des origines de cette planète…

Bien qu’il n’y ait plus de consensus, nous avons aujourd’hui des preuves suffisantes pour dire qu’elle pourrait exister. Nous en aurons le coeur net dans les prochaines années. Mais la question subsidiaire qui se pose, finalement, si c’est le cas, c’est : pourquoi ? Comment une si grosse planète peut-elle exister aussi loin du Soleil ? Normalement, elle devrait se former près de cet astre, car plus une planète rocheuse s’en éloigne, moins elle dispose de matière pour grossir, et plus elle s’effiloche – ce qui explique la myriade de petits objets dans la ceinture de Kuiper, qui ne peuvent pas se regrouper et fusionner.

Le fait que la Planète IX se trouve aussi loin du Soleil pourrait s’expliquer soit par son éjection dans les profondeurs du système solaire – par des processus restant encore à expliquer, mais peut- être suite à une collision avec Jupiter ou Saturne -, soit par sa “capture” par un autre système stellaire. In fine, comprendre l’origine de la Planète IX pourrait nous permettre de mieux comprendre comment notre système solaire s’est formé.

Conférence d’Alain Doressoundiram pour la Société Astronomique de France, 16 mars 2018, Télécom Paris Tech.