c-philipEx-prof de philo en lycée, Christine Philip est formatrice dans le champ du handicap et maître de conférences honoraire à l’Institut national supérieur de formation et de recherche pour l’éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés (INSHEA). Elle est l’auteure de “Scolariser des élèves avec autisme” (Dunod, 2012).

Qu’est-ce que l’autisme ? En quoi est-ce un handicap à l’école ?

Selon l’Inserm, l’autisme est un trouble du neurodéveloppement, qui se caractérise par des difficultés de l’apprentissage social et de la communication. Mais j’adhère de plus en plus au discours de la “neurodiversité”, qui consiste à présenter l’autisme autrement, pas juste comme un trouble, mais aussi comme une différence de fonctionnement, une autre intelligence. En France, nous sommes beaucoup trop dans une approche médicale. Bien sûr, il ne faut pas nier les troubles et les difficultés, mais il faudrait aussi, afin d’avancer dans un processus d’inclusion, mettre l’accent sur le fonctionnement différent des autistes, et présenter leurs aspects positifs.

Les enfants autistes fonctionnent différemment. Ils privilégient les sens et la perception, et fixent leur attention sur les détails plutôt que sur une vue d’ensemble. Ils sont, du coup, beaucoup moins investis dans le registre de la communication. En classe, cela engendre des difficultés pour eux, car leur concentration est perturbée par les nombreuses choses qui se passent autour d’eux. Leur comportement, différent, les empêche alors d’étudier sereinement… et peut aussi déranger les autres.

Enfant autiste / Pixabay / nickelbabe / Licence CC

Enfant autiste / Pixabay / nickelbabe / Licence CC

Que pensez-vous de la formation des enseignants à l’autisme ?

La formation des enseignants spécialisée est excellente, mais celle des profs de classes “ordinaires” est insuffisante. Nous n’avons pas de recul sur les ESPE, trop récentes, mais selon la région dans laquelle on se trouve, il ne se passe pas la même chose… Résultat, un prof mal formé peut être amené à ne pas assez s’impliquer, et à ne pas suffisamment inclure un élève handicapé, même si ce dernier se trouve dans sa classe et est accompagné d’un AVS.

Les professionnels de l’éducation voient bien souvent l’autisme comme un simple déficit intellectuel, ce qu’il n’est pas. Il est important de les sensibiliser au fait que la perception différente des enfants autistes peut aussi représenter un point fort pour l’élève. Si les enseignants ne sont pas formés, ils n’y penseront pas et ne sauront pas non plus quoi faire pour améliorer la situation.

Où en est l’inclusion scolaire des enfants autistes, aujourd’hui ?

Le processus inclusif avance en France, mais à très petits pas. Par rapport à ce qui se passait dans les années 1990, les élèves autistes sont bien plus accueillis en classe ordinaire, mais pas encore assez. Ils y sont presque tous accueillis en maternelle, à hauteur de 80 %… Mais arrivés à l’école élémentaire, beaucoup sont orientés vers une classe adaptée (des ULIS, qui signifient “unités locales pour l’inclusion scolaire”, mais qui vous éloignent de l’inclusion, en vous faisant sortir de la classe ordinaire), ou vers une institution spécialisée (IME, Institut Médico-Éducatif).

La loi de 2013 de “Refondation de l’École” est la première à parler d’inclusion. Mais en la regardant bien, on constate qu’elle ne parle pas d’une réelle “école inclusive”. Il y a un problème avec la conception de l’inclusion en France : on essaie avant tout de “compenser” le handicap en apportant des aides humaines ou matérielles, en se focalisant sur les élèves, plutôt que sur le système lui-même… C’est en développant la pédagogie, les programmes, l’évaluation, que l’on pourra le rendre réellement inclusif. Mais force est de constater que personne ne veut y toucher.

Une classe d'autorégulation / Stéphane Beaulne

Une classe d’autorégulation / Stéphane Beaulne

Pourquoi l’inclusion est-elle si importante pour les élèves autistes ?

Maintes études montrent que suivre une scolarité dans une institution spécialisée, entouré d’enfants présentant des handicaps, ne permet pas d’aller très loin dans les apprentissages… En 2014, un rapport des inspections générales sur les unités d’enseignement dans les IME, très alarmant, à d’ailleurs conduit l’Éducation nationale à les externaliser dans les écoles et les collèges.

En milieu ordinaire, l’environnement est davantage stimulant, mais à condition de l’avoir adapté au handicap de l’enfant – raison pour laquelle il faut former les personnels, au handicap… et à l’inclusion, afin de les impliquer et de leur faire comprendre qu’accueillir un enfant différent sera bénéfique, mais aussi enrichissant pour les élèves ordinaires. A noter le rôle clé des parents dans l’inclusion scolaire, “experts” de leurs enfants, et dont les enseignants ont beaucoup à apprendre.

Quel modèle inclusif serait finalement pour vous le plus efficace ?

Je m’intéresse énormément au dispositif ARAMIS, expérimenté en Corrèze, qui fait le pari de l’autorégulation comportementale en milieu scolaire ordinaire. Cela consiste à accueillir l’enfant autiste en alternant la présence de l’élève entre une classe “normale” et un “sas émotionnel” – un créneau durant lequel il est coaché par un éducateur spécialisé, pour apprendre à gérer ses troubles émotionnels et retourner ensuite travailler, seul, avec les autres.

Ce système rend les enfants autistes autonomes (ils ne dépendent pas d’un AVS, mais se débrouillent seuls en classe). Il permet aussi d’impliquer les enseignants (en les formant à gérer leur classe différemment), ainsi que les autres élèves, car l’autorégulation est mise en place avec leur concours. C’est ainsi que toute l’atmosphère de l’école s’en trouve transformée.