14054443_10154332799817976_953336634232886575_oLa psychopraticienne Emmanuelle Piquet est la fondatrice de Chagrin Scolaire, un centre de consultation et de formation dédié aux souffrances scolaires. Représentante en France de la thérapie brève et stratégique issue du Mental Research Institute (MRI) de l’École de Palo Alto, elle forme les enseignants à une méthode “d’outillage” des élèves harcelés : le “boomerang verbal”. Dans “Je me défends du sexisme” (Albin Michel, 2018), elle se penche sur le sexisme à l’école, et propose des tactiques pour permettre aux filles de réagir face à cet autre phénomène, qui peut être à l’origine de souffrances.

Pourquoi, après le harcèlement, vous être intéressée spécifiquement au sexisme à l’école ?

Les choses commencent à bouger en matière de lutte contre le sexisme, mais ce phénomène reste hélas bien vivace – il est juste moins visible, plus insidieux. Le sexisme perdure. Et je dirais même qu’il prospère. Dès l’école primaire.

Prenez par exemple la cour de l’école : selon les géographes sociaux, elle est investie à 80% par les garçons, et cette situation n’a pas changé, elle existe depuis que l’école existe. Quand on demande à une petite fille comment elle fait quand elle traverse la cour, elle explique qu’elle fait le tour, car elle risque de se faire bousculer par les garçons, qui eux passent en diagonale et font, souvent sans le vouloir, comme si elle n’était pas là.

Il existe donc déjà un certain nombre de stéréotypes et de préjugés chez les garçons dès le plus jeune âge ?

Chez les garçons, et chez les filles ! Certaines ont intériorisé le sexisme et le perçoivent comme “normal”. Il existe par exemple quantité de jeux sexistes, pendant la récréation, comme celui qui consiste en primaire à courir après les filles pour les forcer à les embrasser sur la bouche. À Chagrin Scolaire, j’ai reçu une petite fille de CE2 qui vit cela vraiment très mal. Pour l’aider à désarmer ses agresseurs, je lui ai conseillé de se mettre deux carreaux de chocolats sur les dents, afin que celles-ci soient marrons : résultat immédiat, plus personne n’a essayé de l’embrasser de force. Mais ensuite, elle a tenté de convaincre deux copines de faire la même chose qu’elle… et celles-ci ont refusé de le faire, car elle ne voulaient pas “être moches” devant les garçons. Elles préfèrent ainsi subir un jeu sexiste, un peu violent et dégradant, plutôt que d’être “moches” devant les garçons. Il s’agit ici d’une misogynie intériorisée, un sexisme ordinaire : il est logique pour elles qu’une fille doive être jolie, douce, souriante et discrète.

Des années plus tard, quand elles sont victimes de harcèlement dans la rue, ces filles baissent les yeux, ou sourient, car elles craignent qu’en étant indifférentes, les choses soient pires. Elles laissent ainsi prospérer le sexisme, parce qu’elles ne savent pas quoi faire, et entretiennent le phénomène du harcèlement de rue. Mon objectif, avec mon dernier livre, est justement de les aider à réagir face au sexisme – dès l’école primaire.

“Je me défends du sexisme”, Emmanuelle Piquet, Albin Michel, 2018.

“Je me défends du sexisme”, Emmanuelle Piquet, Albin Michel, 2018.

Les enseignants sont-ils concernés par ce sexisme intériorisé ?

Ils ne sont en effet pas exempts d’un certain nombre de stéréotypes de genre. On va par exemple pousser davantage les garçons dans certaines matières (maths, sciences) et les filles dans d’autres (français, lettres) ; sans que cela soit intentionnel. Mais la souffrance liée au sexisme est rarement provoquée par les enseignants, tout se passe essentiellement entre enfants ou adolescents.

Le sexisme est-il lié au harcèlement scolaire ? Vous proposez en effet le même genre de stratégies pour y résister…

Pas toujours, mais le harcèlement scolaire peut prendre une forme sexiste. Les filles qui se font embrasser de force en primaire, ou insulter en raison de leur physique ou de leur look au collège (pas forcément par des garçons), sont victimes à la fois de sexisme et de harcèlement.

Face au sexisme, je propose les mêmes “flèches de résistance”, qui consistent à faire perdre son pouvoir à l’agresseur sexiste, en lui faisant perdre sa popularité, en le ridiculisant grâce à une riposte bien pensée – une réaction totalement imprévue, qui vient heurter la misogynie intériorisée.

“Je me défends du sexisme”, Emmanuelle Piquet, Albin Michel, 2018.

“Je me défends du sexisme”, Emmanuelle Piquet, Albin Michel, 2018.

Au collège, Léa, 14 ans, se faisait tripoter dans les escaliers à chaque interclasse par une bande de camarades. Sa seule parade était de se réfugier à l’infirmerie, et elle n’osait pas en parler. Cette adolescente était terrifiée. Ensemble, nous nous sommes servies des réseaux sociaux, afin que l’inconfort change de camp : nous avons créé une “story” sur Snapchat, montrant les escaliers, avec le texte “Adrien et ses esclaves se produisent ici chaque midi, venez les admirer”, avec le hashtag “#balancetonporcelet”. Les harceleurs ont immédiatement tout arrêté. C’est là l’idée de la stratégie du 180 degrés : si les filles font en sorte que les choses s’inversent et que le sexisme devienne désagréable à ceux qui le pratiquent, alors ils n’auront plus envie de le faire.

Que peuvent faire les profs, à leur niveau, pour changer les choses ?

Rien ne changera si les mentalités n’évoluent pas. Le simple fait de faire observer aux enfants (et à leurs parents) où se niche le sexisme afin de leur permettre de regarder les choses différemment, est la première des choses à faire.

En attendant que les mentalités évoluent, les profs peuvent outiller les enfants (filles et garçons) face au sexisme. Ils peuvent leur proposer des flèches de résistance, individuelles ou collectives. Pour éviter que la cour ne soit investie par les garçons, une enseignante a ainsi proposé à tout un groupe de filles de se poster bien au milieu, et de former une haie vivante : cela leur a permis de réinvestir la cour.

D’une façon plus globale, l’Education nationale peut former les enseignants, afin qu’ils puissent en parler, avec des exemples concrets – que l’on peut d’ailleurs retrouver dans mon livre, mais que l’on devrait aussi pouvoir retrouver dans des supports conçus par le ministère. L’idée n’est pas de culpabiliser les professeurs, qui sont très ouverts dans la majorité des cas, mais il faudrait les sensibiliser, avec finesse, à leurs propres préjugés.