Chercheur au CNRS et au laboratoire APC (astroparticules et cosmologie) de l’université Paris-VII Diderot, Marc Lachièze-Rey est un spécialiste de l’espace-temps et des trous noirs.
Pour commencer le plus simplement possible… Qu’est-ce qu’un trou noir ?
Le concept de trou noir est lié à l’idée de gravitation et date du 18e siècle – quand certains physiciens avaient émis l’idée qu’il pourrait exister des objets cosmiques si massifs que leur gravitation attirerait tout ce qu’il y a autour, et que rien ne pourrait s’en échapper, pas même la lumière. Cette idée était spéculative, jusqu’à la relativité générale d’Einstein en 1915, qui décrit la gravitation comme une déformation de l’espace-temps. Assez vite, les physiciens se sont aperçu que selon cette théorie, il existait des solutions permettant de décrire ce que l’on appelait alors “trous noirs” : des configurations de l’espace-temps dans lesquelles celui-ci est si recourbé, que rien ne peut s’en échapper.

L’espace-temps / Licence CC / Wikimedia
Tout ceci restait encore théorique. Mais dans les années 1970, on s’est aperçu, en faisant de l’astronomie, qu’existait dans le ciel des sources cosmiques émettant énormément d’énergie, sous forme de rayons X et gamma. Les astronomes sont arrivés à la conclusion qu’il s’agissait probablement de trous noirs, et l’idée qu’ils existent réellement a commencé à s’imposer. D’autant plus que dans le même temps, des travaux théoriques ont montré que quand certaines étoiles arrivent à la fin de leur vie et n’ont plus d’énergie, elles peuvent s’effondrer sur elles-mêmes, jusqu’à créer ce qui ressemble à des trous noirs.
Un trou noir stellaire, c’est le résidu de l’implosion d’une étoile. Il s’agit d’un objet céleste très compact et massif, mais invisible, parce qu’entouré d’une sorte de membrane, un “horizon”, qui empêche tout ce qui s’y trouve (matière, lumière) d’en sortir. Si vous en regardez un de l’extérieur, vous ne verrez rien. Il n’est possible de le détecter qu’en repérant son attraction gravitationnelle – qui est énorme, et qui se manifeste donc par des rayons X et gamma. Il existe aussi des trous noirs supermassifs, que l’on observe au centre de chaque galaxie, et dont les masses sont des milliers de milliards de fois celle du Soleil. On pense qu’il s’agissait à l’origine d’un trou noir stellaire, qui a absorbé d’autres étoiles, ce qui a augmenté considérablement sa masse.
Que trouve-t-on à l’intérieur d’un trou noir ?

Un trou noir attire toute la matière alentour / vision d’artiste / M. Weiss / CXC/ NASA
En fait, on ne sait pas vraiment. Le trou noir a été formé par l’effondrement d’une étoile massive sur elle-même – dans cette étoile, il y avait des atomes d’hydrogène, de carbone… mais une fois que la matière tombe dans le trou noir, tout cela disparaît, et devient une nouvelle forme de matière, sans caractéristiques. Cette question obsède beaucoup de physiciens, car c’est le seul processus dans la nature où de l’information serait vraiment perdue. On sait qu’une information, selon les lois de la physique, ne se perd jamais, et qu’on peut toujours la récupérer… mais pas dans le cas des trous noirs.
Selon certains scientifiques, comme feu Stephen Hawking, ce problème, que l’on appelle “problème de l’entropie des trous noirs”, pourrait être résolu par la physique quantique. Mais aujourd’hui, il n’existe pas de théorie nous permettant de traiter de telles situations, avec à la fois une gravité très forte et des effets de physique quantique. Autrement dit, il nous manque une théorie de la gravitation quantique – que tous les physiciens cherchent depuis Einstein. Le trou noir est dans ce cadre un champ de recherche très important, car il s’agit d’un objet ayant à la fois des effets de gravitation forte et des effets quantiques, que l’on ne retrouve nulle part ailleurs, sauf en remontant au Big Bang.
Les trous noirs pourraient-ils nous permettre de connaître l’histoire de l’univers ?
Un trou noir, c’est un objet très massif. Quand deux trous noirs tournent l’un autour de l’autre, ils créent dans l’espace temps des sortes de vagues – des ondes gravitationnelles. Elles ont été détectées pour la première fois en 2016. En analysant le signal, les chercheurs ont conclu que ces ondes avaient été émises par deux trous noirs en orbite l’un autour de l’autre, et qui avaient fusionné, à 1,3 milliards d’années-lumière de la Terre. Si l’on observe un trou noir situé à une telle distance, cela signifie qu’on l’observe tel qu’il était il y a 1,3 milliard d’années, et que cela peut donc nous donner des renseignements sur l’enfance de notre univers.

Vue d’artiste du trou noir supermassif le plus lointain jamais observé / Robin Dienel /Carnegie Institution for Science
Les trous noirs pourraient-ils être un danger pour la Terre ?
Les trous noirs stellaires sont des étoiles – mais qui ne brillent plus. Elles se baladent dans notre galaxie, on en connaît quelques dizaines, mais elles sont loin. Si notre planète passait à côté d’un trou noir, elle serait certainement engloutie. Mais les chances pour que cela se produise sont infimes – une sur un trillion.
Serait-il possible, théoriquement, de voyager dans le temps ou de se téléporter vers d’autres univers via un trou noir, comme on peut le voir dans Interstellar ou Sliders ?

Schéma d’un trou de ver / Licence CC / Wikimedia
Cette question n’est pas liée aux trous noirs, mais aux trous de ver. La théorie formulée en 1935 par Albert Einstein et Nathan Rosen, veut que chaque trou noir débouche symétriquement sur un autre puits gravitationnel, ailleurs dans l’espace-temps, le “ trou blanc”, qui expulse de la matière au lieu de l’attirer ; et que l’on pourrait entrer dans l’un et ressortir dans l’autre. Cet ensemble trou noir-trou blanc formerait un “trou de ver”, ou “pont Einstein-Rosen”.
Le voyage dans le temps est tout à fait envisageable, à partir du moment où le temps n’existe pas – c’est ce que nous enseigne la théorie de la relativité. Dans ce contexte, plusieurs théories, peu probables mais pas impossibles, rendent possible le voyage vers le futur : par exemple, se déplacer à la vitesse de la lumière. En revanche, le voyage vers le passé n’est pas possible, car pour cela, l’espace-temps devrait avoir une forme bizarre, qui nécessiterait des objets bizarres, qui n’existent pas… comme les trous de ver.

Vision d’artiste du trou noir Cygnus X-1/ NASA/CXC/M.Weiss
Si des trous de ver existaient réellement, le voyage dans le temps ou la téléportation seraient possibles. Mais nous n’en avons encore jamais vu, et il y a de bonnes raisons de penser que cela n’arrivera jamais. Car pour qu’ils se forment, il faudrait des circonstances improbables : une gravitation répulsive, et des objets de masse ou de pression négative… Il faut donc oublier la possibilité de voyager dans le temps ou dans l’espace via ces “ponts” hypothétiques.
De toute façon, traverser un trou noir serait hautement improbable – car l’espace-temps est si tordu à ses abords… que vous seriez complètement déchiqueté.
Pourquoi les trous noirs vous passionnent-ils, au point d’en avoir fait votre spécialité ?
Je m’intéresse aux grandes questions qui entourent l’univers : qu’est-ce que l’espace, le temps, la matière ? La physique est liée aux maths et à la philosophie, et ce qui me plaît, c’est la convergence entre ces trois disciplines. La physique, c’est une manière de réfléchir sur l’univers, et les trous noirs sont un espoir pour unifier deux grandes théories fondamentales, très différentes et incompatibles – la relativité générale et la physique quantique -, à travers une théorie de gravité quantique, une “théorie du tout”. C’est dans cette direction que je travaille. Or, les trous noirs sont justement les seuls objets observables où les aspects de la relativité et quantiques se mélangent.
Cela est très intéressant ces trou noir il on une grande puissance