francine-lussier-en-conferenceAncienne neuropsychologue à l’hôpital Sainte-Justine à Montréal, Francine Lussier est l’une des fondatrices du Centre d’Evaluation Neuropsychologique et d’Orientation Pédagogique (CENOP) à Montréal. En 2011, elle a publié un livre destiné aux enseignants, aux parents et aux enfants confrontés au TDAH (Trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité) : “100 idées pour mieux gérer les troubles de l’attention” (Éditions Tom Pousse).

Comment en êtes-vous venue à écrire sur le TDAH ?

Avant de devenir neuropsychologue, j’ai été enseignante pendant une douzaine d’années, dans le secondaire puis dans le primaire. C’est en me retrouvant face à des enfants en grande difficulté d’apprentissage que je me suis réorientée vers la neuropsychologie infantile. Aujourd’hui, au CENOP, je reçois des enfants en difficulté d’apprentissage – et parmi eux, beaucoup qui ont aussi un trouble de l’attention.

Souvent (au Québec, plus qu’en France), nous proposons une médication aux enfants, mais tous les parents ne sont pas d’accord avec cela. C’est pourquoi j’ai conçu un programme d’intervention pour les enfants TDAH qui ne suivent pas de traitement médical, le PIFAM (programme d’intervention pour les fonctions attentionnelles et métacognitives), présenté sous forme d’ateliers de jeux. Ce programme, je l’utilise beaucoup au Québec, mais aussi en France.

Le PIFAM, ce sont aussi des conseils, donnés aux familles et aux enseignants, qui sont invités à comprendre autrement les enfants qui souffrent d’un trouble de l’attention. Cela permet à ces derniers de ne plus être constamment la cible de leurs profs ou de leurs parents, qui ne les perçoivent plus comme des élèves paresseux ou réticents à travailler. Mal accompagnés et mal orientés, 30% des enfants TDAH risquent de décrocher, de tomber dans la délinquance, ou de développer des problèmes d’anxiété : il est donc important d’aider les adultes à comprendre ce trouble.

Il faut aussi savoir que j’ai moi-même un TDAH (diagnostiqué tardivement). Ce trouble ne m’a pas empêché d’aller loin dans la vie, au contraire cela m’a même poussé à avancer – toute ma vie, je me suis faite traiter de “tête de linote”, “d’étourdie”, “d’écervelée”… Mon parcours scolaire a été chaotique, mais malgré tout, j’ai réussi à suivre des études supérieures et à diriger une clinique. J’ai aussi trois filles, qui sont TDAH, et qui ont pleinement réalisé leurs vies.

Mon livre est donc la traduction concrète de mon programme d’intervention (avec des conseils pour les parents et les profs), mais aussi un message d’espoir pour les enfants qui souffrent d’un trouble de l’attention.

Pourquoi avez-vous consacré un tiers de votre guide aux enseignants ?

Lalie, élève de CE1 / "Plongez en nos troubles"

Lalie, élève de CE1 / « Plongez en nos troubles »

Le but du PIFAM et de mon livre n’est pas d’améliorer l’attention – le TDAH ne se “guérit” pas -, mais d’apprendre à l’enfant comment il est possible de contourner ce trouble au quotidien, et aux adultes qui s’occupent de lui (parents ou profs) comment lui faciliter la vie et l’apprentissage.

Tout comme les parents, les professeurs vont traiter les enfants d’étourdis, de paresseux… et contribuer à rendre les enfants TDAH très anxieux. Les enseignants doivent donc comprendre qu’il s’agit d’un trouble neurologique, et que l’élève qui en souffre ne peut pas changer – on peut par contre encadrer, organiser sa classe différemment, et tout faire pour lui faciliter la tâche, en rendant son TDAH le moins pénalisant possible.

Quels sont les principaux conseils que vous donneriez aux profs ?

Le premier conseil, c’est avant tout de reconnaître que les élèves TDAH ne font pas exprès d’être dans la lune, de perdre leurs affaires, ou d’être impulsifs, mais qu’ils ont bien un déficit d’attention. Plutôt que de les réprimander, l’idée est de les encourager, d’être plus tolérant, de les accepter malgré leur handicap, et finalement de les regarder autrement. Il doit y avoir une sorte de connivence entre l’enfant et le prof, qui doit l’accompagner et le valoriser, plutôt que de le réprimander devant ses camarades. En établissant une bonne relation avec son élèves TDAH, l’enseignant le poussera plus facilement à faire des efforts pour être plus attentif.

Le second conseil serait de donner des modèles à suivre à l’enfant, souvent plus immature que les autres : mettre par exemple à côté de lui un camarade sérieux, qui pourra prendre les leçons en note pour lui ; ou encore organiser les révisions et les devoirs à faire à la maison avec les parents (avec qui il faudrait être davantage en contact qu’avec ceux des autres élèves).

Le troisième conseil, c’est d’aménager sa classe pour diminuer les sources de distraction – placer l’enfant TDAH loin des fenêtres et des portes, éviter de surcharger les murs d’affiches pouvant le distraire -, mais aussi d’aménager sa pédagogie pour favoriser l’attention.

L’idée est de vérifier si l’élève a bien compris les consignes, de réduire le nombre d’exercices à réaliser, de morceler le travail en plusieurs étapes afin de le rendre plus motivant et de lui permettre de faire de petites pauses, de l’aider à s’organiser (notamment au moyen d’un agenda et de rappels fréquents), de lui permettre de bouger et de sortir régulièrement de la salle de classe, et enfin de lui accorder plus de temps pour les contrôles.

Trouvez-vous que les enseignants connaissent bien le TDAH ?

Mon livre s’adresse, en réalité, principalement aux Français : au Québec, les enseignants sont déjà très au fait des problèmes liés au TDAH. Les enseignants sont formés au TDAH ; des éducateurs spécialisés s’occupent des enfants souffrant de ce trouble ; et d’une façon générale, les élèves sont très encadrés et accompagnés. Ce n’est pas le cas en France – où mon guide est d’ailleurs beaucoup plus vendu. Des progrès ont été réalisés, mais beaucoup de professeurs français méconnaissent encore ce trouble et ont donc besoin de conseils…