«Depuis que j’enseigne en REP, j’ai perdu de l’audition ! »

© Minerva Studio – Fotolia.com
Audrey, enseignante de lettres classiques en collège dans l’académie d’Aix-Marseille :
« Depuis mon entrée dans l’Éducation Nationale en 2005, je n’ai eu aucune visite médicale. Seule une radiographie des poumons m’a été demandée à mon entrée dans le métier. Je pense que cette visite serait pourtant bien utile. Nous exerçons un métier « qui use » malgré certains stéréotypes et certaines caricatures. Pour ma part, je suis persuadée que depuis que j’enseigne en REP, voilà déjà cinq ans, j’ai perdu de l’audition. Les temps entre les cours sont très bruyants. Je compte consulter un spécialiste cet été. De plus, nerveusement beaucoup de collègues accumulent des incidents stressants voire déstabilisants. Leur santé est parfois mise en cause. Aucun contrôle non plus sur ce plan-là. Je trouve cela regrettable, d’autant plus que ça engendre chez certains un sentiment d’indifférence totale alors que la pénibilité de notre métier est accrue selon les établissements dans lesquels nous enseignons. »
« Le médecin m’a fait un certificat sans même m’ausculter »
Pierrette, enseignante de mathématiques en collège dans l’académie de La Réunion :
« J’ai dû me rendre une seule fois chez un médecin agréé « Education nationale ». Il m’a demandé si je n’avais pas de problème de santé particulier et m’a fait un certificat sans même m’ausculter. Puis, il y a deux ans, suite à une maladie d’un élève, un bus était venu au collège nous faire une radio pour voir si nous n’avions rien. Personnellement, je suis jeune, en bonne santé et je n’ai pas de difficultés personnelles au travail. Mais je connais des collègues, qui sont à bout, qui ont besoin d’être soutenus et qui n’arrivent pas à faire reconnaître leur problème de santé. Une visite médicale régulière me semble ainsi nécessaire pour le bien de tous, professeur comme élève… ».
«La fonction publique a toujours été le parent pauvre en termes de santé »
Jérémy, enseignant de SVT en lycée dans l’académie de Bordeaux :
« Je n’ai eu qu’une seule visite médicale obligatoire au cours de ma carrière, lorsque j’étais fonctionnaire stagiaire. Elle a duré une dizaine de minutes (cœur, tension, audition, vérification vaccination, interrogatoire). Depuis, rien, après 12 ans d’ancienneté. Je trouve normal que celle-ci existe et estime, comme beaucoup de collègues autour de moi, que nous devrions être davantage suivis. Cela m’aurait notamment servi lors de mes 5 années de ZEP où mes conditions de travail étaient très compliquées (violences verbales et physiques). Il se trouve que je fais désormais partie, en tant que représentant des personnels, des différentes commissions touchant à la santé des collègues. Les besoins sont criants : bien que nous ayons un taux d’arrêt maladie inférieur à la moyenne, nous sommes en effet davantage exposés aux risques psycho-sociaux (suicides, dépressions, burn-out, etc.). La fonction publique a toujours été le parent pauvre en termes de santé et actuellement le manque de médecins y est encore plus patent que dans la société civile. »
«Il serait fort utile de communiquer sur les risques psychologiques »
Julie, professeure des écoles en maternelle dans l’académie de Bordeaux :
« Je n’ai eu qu’une seule visite médicale dans ma carrière, l’année où j’ai été recrutée en 1996. Depuis, je n’en ai jamais eu… J’ai donc décidé de m’inscrire aux centres de visite médicale de la CPAM. Du coup, je bénéficie d’examens tous les 5 ans. À ma connaissance, il n’y a pas de visite médicale pour les enseignants en Lot et Garonne, organisée par l’Education nationale. Ni en Gironde d’ailleurs, où j’ai exercé les 8 premières années de ma carrière. Je ne suis pas sûre d’avoir trouvé cette visite médicale réellement importante. À l’époque on m’avait demandé si j’avais eu des maladies graves comme un cancer, sous-entendant que le recrutement était impossible si ça avait été le cas. Je me souviens que ma belle-sœur était dans cette situation. Elle avait eu un cancer étant enfant. Elle ne pouvait donc prétendre à aucun concours de la fonction publique. Je suppose que cette discrimination a disparu de nos jours, du moins j’espère.
Néanmoins, je pense qu’il est primordial d’avoir un suivi régulier tout au long de sa carrière car actuellement il n’y a aucune prévention des risques du métier. Il serait fort utile de communiquer sur les risques psychologiques. De nombreux collègues s’épuisent, notamment par manque de formation sur la gestion des élèves. »
« Je n’ai aucun souvenir de ma visite médicale »
Renaud, maître de conférences en sciences politiques à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye :
« J’ai dû faire cette visite médicale il y a 10 ans lorsque je suis entré à l’université. Rien depuis. Et aucun souvenir de cet épisode ! Il y a bien des secteurs dans lesquels la médecine du travail me paraît essentielle. A mes yeux, l’ESR (l’enseignement supérieur et la recherche) n’en fait pas partie en tout cas pour les enseignants mais l’enjeu doit demeurer plus important pour d’autres catégories de personnels. Et si je n’ai rencontré qu’un médecin du travail depuis mon entrée à l’université, c’est dans doute que j’ai dû sécher des convocations ! »
«J’enseigne depuis 25 ans et seule une radio des poumons m’a été proposée »
Sandrine, enseignante de français en collège dans l’académie de Rennes :
« Je pense qu’il faudrait que la visite médicale soit obligatoire et régulière pour tous les professeurs. J’enseigne depuis 25 ans et, au cours de ma carrière, une radio des poumons m’a été proposée une seule fois : un camion se trouvait dans la cour de l’établissement et cela n’était même pas obligatoire…
La visite médicale reste pour moi fondamentale : nous sommes en contact avec les enfants toute la journée et des « microbes » circulent constamment dans nos classes. Donc, oui, il faut que les enseignants soient suivis et, de la même façon, ils devraient tous être formés au PSC1 (Prévention et secours civiques de niveau 1). Cela permettrait à tous les individus d’acquérir les compétences nécessaires à l’exécution d’une action citoyenne d’assistance à personne en réalisant les gestes élémentaires de secours. »
«Il me paraît important de considérer l’humain avant toute chose »
Rémi, enseignant d’éducation musicale en collège dans l’académie de Bordeaux :
« Je suis enseignant depuis 17 ans et je n’ai jamais eu de visite médicale hors celle obligatoire après la fac. Je ne sais pas si c’est normal mais en tant que fonctionnaire j’apprécierais que l’Etat se soucie de ma santé physique et psychologique. Cela me parait important de considérer l’humain avant toute chose surtout dans un métier où nous fondons une culture et une approche sensible du monde. »
« Il faut augmenter le nombre de médecins par enseignant ! »
Eric, professeur des écoles en REP dans l’académie de Créteil :
« Je suis professeur des écoles depuis 15 ans en REP et je n’ai jamais eu de visite médicale pendant toutes ces années d’enseignement. Et pourtant, cette visite me paraît très importante et devrait bénéficier de moyens plus conséquents. Il faudrait, par exemple, augmenter le nombre de médecins par enseignant pour diagnostiquer plus rapidement les maladies contagieuses et les troubles liés au métier. Tous les enseignants déplorent ce manque de suivi médical mais hélas rien n’est fait. »
Qu ‘attendez vous d’une visité médicale dans le cadre du travail fait par un médecin du travail imposé par l’administration que vous ne trouveriez pas avec votre médecin traitant ?
Ce médecin traitant qui vous connait mieux que quel qu’autre médecin est plus à même de constater l’évolution de votre état de santé ou des troubles générés par votre activité professionnelle. Attendez-vous que le fonctionnaire médecin du travail embauché par l’administration fasse mieux que le médecin qui vous suit ? Tout ceci n’a aucun sens et n’ajouterait à nos contraintes d’enseignant qu’une contrainte supplémentaire, un dossier supplémentaire, des obligations supplémentaires…
Ceux qui ont peur des vilains microbes des enfants, d’un stress lié à la chance d’avoir un métier diversifié et motivant ou tout autre espoir de se voir reconnaitre une pathologie liée à l’exercice de leur profession par un médecin du travail qu’ils jugent plus compétent que le leur devraient réfléchir à une reconversion…
S’ils attendent de la reconnaissance et une valorisation, ils devraient alors prendre conscience de l’existence des syndicats et s’engager dans ceux-ci (s’engager, pas juste attendre que les syndiqués fassent à leur place…) !