Nicolas Franck, président de l' Association des professeurs de philosophie de l'enseignement public/ Crédit : D.R

Nicolas Franck, président de l’
Association des professeurs
de philosophie
de l’enseignement public/ Crédit : D.R

La place de la philosophie dans la réforme du baccalauréat 2021 inquiète l’Association des Professeurs de Philosophie de l’Enseignement Public. Nicolas Franck, président de l’association qui rassemble 15% des enseignants de philosophie, revient avec nous sur ses conséquences.

Jean-Michel Blanquer veut faire de la philosophie une épreuve universelle, la seule commune à toutes les options. On pourrait penser que vous bénéficiez d’un traitement de faveur ?

C’est un leurre, on nous demande de nous réjouir d’acquis que nous avons déjà : la philosophie est actuellement une matière obligatoire du baccalauréat dans toutes les séries générales. Nous pensons au contraire qu’avec la réforme qui s’annonce, notre discipline est fortement menacée.

Tout d’abord parce que l’épreuve de philosophie aura lieu en juin, à la différence des épreuves de spécialité qui seront passées au printemps, et représentent 92% des coefficients du bac. Ce qui veut dire qu’en juin, les élèves ne viendront au lycée que pour réviser la philosophie et leur grand oral… Cerise sur le gâteau, leurs notes à ces épreuves ne compteront pas dans leur orientation post-bac, puisqu’elles sont obtenues trop tardivement, de quoi démotiver fortement les élèves. Le risque c’est donc qu’en juin, au lieu de réviser la philo, les élèves se considéreront déjà en semi-vacances et le lycée sera désert…

Une dégradation qui touche aussi les séries technologiques ?

Dans ces séries, la seule réforme qui s’applique à la philosophie consiste en la diminution de son coefficient et en la perte définitive de la possibilité de travailler en demi-groupe avec les élèves.  Depuis la loi Chatel de 2012, les terminales technologiques n’ont plus d’heure de philosophie en demi-groupe. Or c’était la seule manière de travailler avec eux de manière pertinente.

Vous alertez sur la spécialité “Humanités, lettres, philosophie”, seule spécialité dans laquelle la philosophie serait présente en terminale…

En effet, le problème de cette nouvelle matière, c’est qu’elle n’est ni de la littérature, ni de la philosophie. Il y a quelque chose d’étrange dans cette alliance. Regrouper les deux c’est nier la dimension plus scientifique de la philosophie, sa valeur critique, et la cantonner à une être une discipline strictement littéraire. Un élève qui voudra réellement se spécialiser en philosophie n’aura plus les moyens de le faire, c’est assez dramatique.

Or, si étudier la littérature c’est comprendre ce qui fait la valeur esthétique d’une oeuvre, sa puissance évocatrice, la philosophie quant à elle, analyse la nature des raisonnements, leur construction conceptuelle, ce n’est pas une discipline à proprement parler « littéraire ».

Pourtant elle était déjà considérée comme littéraire, puisque c’était la discipline phare de la filière L ?

Certes, mais cela n’atteignait pas en soi l’enseignement de cette matière. La réforme du lycée aurait pu être l’occasion d’introduire un rapport plus riche aux autres disciplines, là au contraire on l’appauvrit. Le modèle de cette idée, c’est ce qu’on fait en classe préparatoires scientifiques ou commerciales, avec des enseignements transversaux de « culture générale », qui croisent philosophie et littérature. Mais on ne fait pas la même chose avec des élèves à bac +2 qu’avec des élèves de terminale. Pour commencer il faut d’abord comprendre en quoi consiste l’étude de la philosophie seule.

Enfin, cette spécialité est un non sens total puisque l’épreuve du bac sera corrigée indistinctement par des enseignants de français et de philosophie, or nous n’avons pas les mêmes compétences que nos collègues de français. On comprend bien l’économie organisationnelle que cela représente, on voit moins bien où se trouve l’intérêt de l’élève.