Isabelle Racoffier est professeure des écoles et présidente de l’AGEEM (Association générale des enseignants des écoles et classes maternelles publiques). En 2016, elle a organisé un congrès sur le thème de l’estime de soi dès la petite section.
Pouvez-vous nous présenter votre association ?
L’AGEEM est une association qui date de 1921. Elle a d’abord lutté pour l’égalité de traitement entre les enseignants de maternelle et d’élémentaire, puis s’est donnée comme mission d’étudier tous les moyens pédagogiques permettant d’améliorer la situation des écoles maternelles, en lien avec la recherche et avec les expériences innovantes qui favorisent l’épanouissement des jeunes enfants.
Nous organisons tous les ans un congrès national, avec des universitaires, et des journées de formation pour nos adhérents enseignants, dans toute la France.
En 2016, votre congrès avait pour thème l’estime de soi… Pourquoi travailler dessus en maternelle est-il important ?
C’est un sujet qui a été abordé lors des dernières Assises de la Maternelle, via les travaux de Boris Cyrulnik sur la réassurance de l’enfant qui lui permet d’être à l’aise dans ses apprentissages, et que l’AGEEM explore aussi.
Si l’enfant n’est pas rassuré dans son être, il va avoir de la peine à prendre la parole devant d’autres enfants, et même à prendre des initiatives. Il aura des difficultés à écrire, à considérer que sa pensée peut s’exprimer. Les neurosciences nous apprennent qu’un enfant maltraité, qui ne s’est pas senti en sécurité durant les premières années de sa vie, ne mettra pas toutes ses capacités cognitives en action, car il gèrera d’abord sa peur… Une faible estime de soi peut en mener certains jusqu’à l’échec scolaire. Aider les enfants qui n’ont pas confiance en eux à reconnaître leur propre valeur est un enjeu fondamental pour l’école maternelle.

Rawpixel.com – Shutterstock
Ce travail sur l’estime de soi permet d’apprendre mieux le plus tôt possible. Un enfant qui aura confiance en lui dès le plus jeune âge, et qui saura que sa parole peut être entendue, aura moins peur de l’échec et osera s’exprimer… notamment en cas de relations conflictuelles ou de harcèlement scolaire.
Comment l’enseignant de maternelle peut-il agir pour contribuer au développement de l’estime de soi de ses élèves ?
Tout commence lors de l’inscription à l’école : il faut rassurer les parents, afin que l’enfant le soi aussi. Le temps passé par ce dernier à visiter l’école, et la manière dont on présente l’école aux familles sont très importants. Il est aussi possible de mettre en place des temps d’accueil, avant que l’enfant soit scolarisé, durant lesquels il pourra jouer dans l’école, avec ses parents – afin que dès le début, il l’associe avec un moment agréable.
Il faut en outre essayer de créer un milieu de vie, en classe, qui soit proche de celui de la maison, avec des jeux et un espace ouvert, dans lequel l’enfant peut déambuler librement. Dès le début, un tel travail de sécurisation est important, car l’on sait qu’un enfant qui aura une mauvaise scolarisation en petite section risque d’avoir aussi une mauvaise scolarisation à l’école élémentaire, puis au collège.
Ensuite, la pratique d’activités physiques, théâtrales, musicales et artistiques va contribuer au développement moteur, sensoriel, affectif et relationnel de l’enfant, et l’aider à se réassurer – elles vont le conduire à s’exprimer, à mieux connaître son corps et à éprouver du plaisir en dehors du milieu familial. Des pratiques corporelles de bien-être (concentration, relaxation, respiration, massage, méditation) peuvent aussi participer à une meilleure estime de soi, en permettant à l’enfant de se reconnecter avec ses sensations.
Il y a surtout tout un travail sur les émotions à réaliser, à commencer par la “météo des émotions” : de petites cartes qui permettent à l’enfant en début de journée, d’exprimer ses émotions. Il existe aussi de nombreux jeux symboliques qui permettent aux élèves de découvrir et de reconnaître leurs émotions : par exemple, à travers le conte, jouer à avoir peur comme le petit chaperon rouge, ou être triste comme la chèvre qui a perdu ses petits chevreaux… Un tel travail est essentiel, car les enfants vivent les émotions, se construisent autour d’elles, mais ne savent pas les identifier.

Classe maternelle © Dmitry Vereshchagin – Fotolia.com
Dans son attitude, l’enseignant peut enfin valoriser l’enfant qui n’a pas confiance en lui, en le montrant en exemple lors d’activités, en reconnaissant ses créations… Si la situation est vraiment très difficile et que l’enfant est trop inhibé, il peut faire appel à des rééducateurs de l’Education nationale, qui peuvent mettre en place des situations de jeux en petits groupes, dans lesquelles l’enfant va être amené à jouer autour de ses peurs, à échanger avec les autres et à se structurer. Les mots sont enfin importants : le professeur doit adopter un vocabulaire positif, être à l’écoute, bienveillant.
La place de l’évaluation doit-elle aussi être revue ?
Depuis les programmes de 2015, il existe un carnet de suivi des apprentissages, ou “cahier de réussite”, qui permet de pointer de façon positive ce que l’enfant sait faire, plutôt que ses limites. Mais il faut faire très attention avec l’évaluation, car le risque est que cela devienne un enjeu, et que l’apprentissage devienne mécanique, alors qu’il doit toujours rimer avec plaisir. L’évaluation doit être réalisée de manière vigilante, sans en demander trop à l’enfant.
Selon vous, les enseignants sont-ils assez formés à l’estime de soi en maternelle ?
La formation reste assez réduite – et les enseignants sont parfois démunis face à des élèves introvertis ou au contraire extravertis et violents (à cause de leur manque de confiance en eux). La plupart des profs de maternelle qui sont formés l’ont fait de leur côté, auprès de l’AGEEM notamment. Les enseignants ont besoin d’être formés à l’intelligence émotionnelle, et à la façon de s’adresser aux enfants, via des mises en situation, des jeux de rôle. Il faut aussi les sensibiliser à l’importance du développement de la confiance en soi, et à leur rôle, primordial, dans ce sens.
Que pensez-vous du programme de maternelle actuel ? Devrait-on le changer ?
Plutôt que de le changer, il faut déjà former les enseignants à l’appliquer ! Ce programme, qui a été conçu en 2015 par un groupe d’experts dont faisait partie l’AGEEM, s’appuie bien plus sur le développement de l’enfant qu’autrefois. Il réhabilite le jeu, les arts, le vivre ensemble… Pour toutes ces raisons, il doit être mis en action.
Continuons ce qui a été mis en place, tout en développant des recherches-action sur les bienfaits de l’art, des activités physiques et corporelles pour l’apprentissage en maternelle… plutôt que de changer les choses tous les 5 ans.
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