Offrandes de céramique, 650-850 ap JC, Cajamarca / exposition "Le Pérou avant les Incas", musée du Quai Branly

Offrandes de céramique, 650-850 ap JC, Cajamarca / exposition « Le Pérou avant les Incas », musée du Quai Branly

L’histoire du Pérou pré-colombien ne se limite pas aux Incas, dont la civilisation ne couvre que 134 ans (1438-1572). Cupisniques, Moches, Lambayeques, Chimús : d’autres peuples et royaumes ont dominé le désert qui borde la cordillère des Andes bien avant l’empire de Cuzco, et l’ont même inspiré.

S’appuyant sur les récentes découvertes des premières cités andines de la côte nord du pays des Quechuas (Huaca Cao Viejo ; Chan Chan, Moche) et des recherches menées depuis 30 ans, l’exposition “Le Pérou avant les Incas”, au musée du Quai Branly jusqu’au 1er avril, donne à voir au visiteur 300 objets (en provenance du musée Huacas del Valle de Moche, à Trujillo, et de différents sites archéologiques), qui permettent de découvrir ces civilisations disparues, bien connues des historiens, mais peu du grand public.

L’expo, qui peut se visiter seul, avec un guide ou un audioguide, permet de découvrir comment ces sociétés pré-Incas étaient organisées : qui détenait le pouvoir et comment s’exprimait la religion ainsi que la puissance des seigneurs, des prêtres et des guerriers.

Paysages, dieux et architecture

“Il y a une poignée d’années encore, cette exposition n’aurait pas vu le jour. Les cultures Cupisniques, Mochicas, Lambayeques, Chimùs subissaient depuis longtemps l’outrage du temps, le fléau des destructions et des pillages. Leur souvenir s’évanouissait dans l’ombre d’une histoire éclatante, celle des Incas”, raconte Stéphane Martin, président du Musée du quai Branly-Jacques Chirac. “Les archéologues ont depuis 30 ans rétabli l’histoire péruvienne dans ses droits. L’exposition témoigne avec science et clarté de ce cheminement des savoirs, inespéré voire miraculeux si l’on considère les trésors mis au jour : remarquables céramiques, modelées et peintes pour la plupart, admirables ornements, ouvragés en or, en cuivre, en argent”, ajoute-t-il.

Les cultures des Andes n’utilisant pas d’écriture, les centaines d’objets en céramiques racontent à eux seuls différents pans de ces sociétés préhispaniques : leurs dieux, leurs rituels, leur vie quotidienne et leur organisation. Dans les vitrines de l’exposition, le visiteur peut d’abord admirer des dizaines de poteries, de vases et de cruches en céramique, qui permettent de découvrir la côte nord-ouest du Pérou, berceau des cités Cupisniques (1200-500 av JC), Moches (100-700 ap JC),  Lambayeques (700-1300 ap JC) et Chimús (1000-1470 ap JC), partagée entre désert, jungle, montagnes et mer. Dans un désert hostile, les civilisations pré-Incas ont réussi à créer une zone arable et fertile, grâce à des techniques révolutionnaires d’irrigation. Les récipients exposés permettent ainsi de retrouver l’incroyable diversité d’aliments, ainsi que la faune et la flore de la côte péruvienne. Des bouteilles à anse-goulot en céramique, modelées et peintes, représentent par exemple la divinité de la montagne, qui symbolise la fertilité et l’eau, ou encore des racines de manioc, des condors, des chouettes, des poissons et des félins divinisés.

Timbale, "huaco" avec turban et cache-cou, Moche, 300-400 ap JC, céramique / expo "Le Pérou avant les Incas", musée du Quai Branly

Timbale, « huaco » avec turban et cache-cou, Moche, 300-400 ap JC, céramique / expo « Le Pérou avant les Incas », musée du Quai Branly

Une autre section de l’exposition concerne l’architecture, comme symbole de pouvoir. Une plongée dans l’univers des Moches, grâce à la reconstitution du temple de Huaca de la Luna, ainsi que des maquettes (d’époque) de palais et de cités issues de tombeaux. A travers ces maquettes en bois ou en céramique, le visiteur apprend que les temples étaient des lieux de prière, d’offrande aux dieux, mais aussi de sacrifices.

Il découvre ensuite, toujours représentées sous formes de récipients en céramiques, différentes divinités Cupisniques, Moches et Lambayeques – un Dieu de la montagne représenté sur des timbales et des cruches, la divinité hibou, ou encore Naylamp, un dieu fondateur qui serait venu sur la côte nord du Pérou par la mer autour de 700 ap JC, en même temps que les pluies torrentielles de El Niño, et qui aurait apporté aux Lambayeques, peu après la chute de la civilisation Moche, des techniques d’agriculture et des armes nouvelles.

Pouvoir, seigneurs et religions

Le visiteur peut ensuite admirer des armes, des cruches et des vases représentant des guerriers, des combats rituels, ou encore des prisonniers, destinés à être sacrifiés. Les objets les plus marquants sont sans nul doute les “huacos”, des poteries sacrées en céramique qui représentent de grands dignitaires Mochicas et des seigneurs, que l’on reconnaissait à leurs coiffes, et à leur tenus d’apparat. Selon les archéologues, les personnes représentées étaient réelles, les huacos permettant de diffuser le visage d’un gouverneur à travers son domaine, dans chaque village.

Une vitrine présente ensuite les ornements en or, en argent et en cuivre (couronnes, diadèmes, colliers, boucles d’oreille, pectoraux) du Seigneur de Sipán, dont la tombe a été découverte en 1987 à quelques centaines de kilomètres de Moche, peu après l’arrestation d’un pilleur de tombes par la police péruvienne. Pour le Pérou, qui essayait alors de retrouver son passé préhispanique, la découverte de ce tombeau d’un seigneur de guerre contenant de nombreux objets fut toute aussi importante que celle de Toutankhamon en Egypte.

Reconstitution en taille réelle de la "Dame de Cao", avec ses ornements en or / exposition "Le Pérou avant les Incas", musée du Quai Branly

Reconstitution en taille réelle de la « Dame de Cao », avec ses ornements en or / exposition « Le Pérou avant les Incas », musée du Quai Branly

D’autres cruches représentant des prêtres (ou plutôt des chamanes, selon les spécialistes) de Huaca de la Luna, un temple qui fut un important lieu de culte pour les Moches, permettent de se plonger dans les cérémonies rituelles de l’époque, durant lesquelles des plantes hallucinogènes (peyotl, coca) étaient souvent utilisées.

Le clou de la visite s’effectue avec les dernières vitrines de l’exposition, qui abordent le pouvoir exercé par les femmes à la fin de la civilisation Moche. Lors de fouilles menées à El Brujo et Chornancap, les archéologues ont ainsi découvert, dans des tombeaux recelant d’objets en or, en argent et en cuivre, que certaines femmes jouissaient d’un grand pouvoir, à la fois religieux et politique, entre 450 et 750 ap JC.

Le visiteur peut admirer une impressionnante reconstitution de la dame de Cao Viejo, une momie découverte sur le site d’El Brujo, près de Trujillo en 2004, dans un paquet funéraire, ainsi que les objets, tous en or, qui lui appartenaient : des couronnes, des diadèmes, des bijoux, des sceptres et des massues, qui permettent d’illustrer son pouvoir, en tant que prêtresse, guérisseuse, guerrière et reine. Selon les archéologues, il ne s’agirait aucunement d’une sorte de promotion des femmes chez les Moche, mais plutôt d’une transformation des structures sociales, politiques et religieuses, accompagnant un nouveau culte introduit au Pérou : celui de la Lune, reliée aux femmes.

L’exposition “Le Pérou avant les Incas” sera clôturée, les 29 et 30 mars, par un colloque international, “Archéologie et matérialités du pouvoir avant l’Empire”, au Théâtre Claude Lévi-Strauss du musée du Quai Branly, qui abordera la façon dont le pouvoir se manifestait et était organisé dans les cultures pré-Incas.
Bouteille à anse-goulot en étrier, représentant un prêtre / chamane aveugle en prière, au visage scarifié ; Moche III, 300-400 ap JC, céramique / musée du Quai Branly, exposition "Le Pérou avant les Incas"

Bouteille à anse-goulot en étrier, représentant un prêtre / chamane aveugle en prière, au visage scarifié ; Moche III, 300-400 ap JC, céramique / musée du Quai Branly, exposition « Le Pérou avant les Incas ».

Le seigneur de Sipan, cuivre doré, Moche III, 250-500 ap JC / "Le Pérou avant les Incas" / © musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Eduardo Hirose Mio © Lambayeque, Museo Tumbas Reales de Sipán – archivo, Ministère de la Culture du Pérou

Le seigneur de Sipan, cuivre doré, Moche III, 250-500 ap JC / « Le Pérou avant les Incas » / © musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Eduardo Hirose Mio
© Lambayeque, Museo Tumbas Reales de Sipán – archivo, Ministère de la Culture du Pérou.

Musée du quai Branly - Jacques Chirac / Vue de l'exposition "Le Pérou avant les Incas" / Reconstitution en taille réelle de la "Dame de Cao"

Musée du quai Branly – Jacques Chirac / Vue de l’exposition « Le Pérou avant les Incas » / Reconstitution en taille réelle de la « Dame de Cao ».

Musée du quai Branly - Jacques Chirac. Vue de l'exposition "Le Pérou avant les Incas"

Musée du quai Branly – Jacques Chirac. Vue de l’exposition « Le Pérou avant les Incas »