"Maus", d’Art Spiegelman (1986) / Planche originale

« Maus », d’Art Spiegelman (1986) / Planche originale

Après 20 mois de recherches, une équipe internationale de 64 chercheurs et professeurs a remis le 15 février 2018 un rapport sur la recherche et l’enseignement des génocides et des crimes de masse aux ministres de la Recherche Frédérique Vidal et de l’Education nationale Jean-Marie Blanquer.

Selon la Mission d’étude à l’origine de ce document, qui a publié un résumé sur le site du Centre de recherches sociologiques et politiques Raymond Aron, ce rapport est “une première en France”, car il “présente des caractères inédits en raison des savoirs originaux que l’équipe a su produire.” À l’origine de ce rapport, la demande de l’ex-ministre Najat Vallaud-Belkacem en octobre 2016 de réaliser « une enquête globale sur la connaissance des génocides, crimes de masse et violences extrêmes, auxquels se sont ajoutés les esclavages ».

Des profs « armés pour intervenir » sur le sujet des génocides

Parmi les questions que se posaient les chercheurs en 2016 : “confrontée à des objets qui mettent au défi la connaissance humaine, requérant alors l’autorité de la morale, de la mémoire, du droit, la recherche (et ses usages notamment pédagogiques, éducatifs ou muséographiques) peut-elle aboutir à des savoirs stables et transmissibles ? Doit-on attendre de la connaissance l’émergence d’une conscience et d’une responsabilité individuelle aussi bien que collective face à l’inhumanité ?”

Concernant la France, l’étude des génocides, crimes de masse et violences extrêmes, ainsi que de l’esclavagisme, a fait l’objet d’une “activité croissante, depuis le tournant des années 1990 des chercheurs et des enseignants”. Selon le rapport, les profs “sont aujourd’hui armés pour intervenir sur l’essentiel de ces sujets, à commencer par la Shoah.” L’apprentissage d’autres génocides, tels que celui des Tutsis au Rwanda ou des Arméniens dans l’empire Ottoman, à en outre “réaffirmé l’importance de cet événement matriciel”.

Maus d’Art Spiegelman : la BD pour “enseigner l’indicible" / Journées de l'Histoire et de la Géographie, Amiens, octobre 2016

Maus d’Art Spiegelman : la BD pour “enseigner l’indicible » / Journées de l’Histoire et de la Géographie, Amiens, octobre 2016

Toutefois, selon la mission, les apports de la recherche et de l’enseignement en France souffrent d’une “trop faible interrelation, et parfois d’une insuffisante visibilité tant nationale qu’internationale, même s’ils couvrent des champs de plus en plus vastes”, et cela malgré les engagements des documentalistes, muséographes, responsables mémoriels, artistes, écrivains et créateurs, pour “aborder des objets difficiles et, ensuite pour assumer le pari de la transmission des savoirs.”

Vers la création d’un « Centre international » de ressources ?

Pour les chercheurs et enseignants, de 15 nationalités différentes, “la richesse comme le dynamisme des domaines de connaissance en France justifient une mise en commun des savoirs tant fondamentaux que pédagogiques, impliquant de dépasser certains clivages hérités”, comme la “coupure maintenue” entre l’enseignement scolaire et l’enseignement universitaire, entre la recherche et la pédagogie, ou encore entre les missions scientifiques et les fonctions documentaires”.

La Mission d’études préconise la création d’un “Centre international de ressources pour les génocides, les crimes de masse, les violences extrêmes et les esclavages”, afin d’approfondir les recherches et de confronter les savoirs, notamment entre historiens sur le plan international.

« Une responsabilité majeure pour humaniser la société »

“Rwanda 1994”, de Pat Masioni

“Rwanda 1994”, de Pat Masioni

En conclusion, le rapport “encourage » une politique de soutien aux chercheurs, avec “une reconnaissance de l’impératif de recherche.”

Selon l’étude, cette priorité “accorderait aux historiens des forces supplémentaires devant les négationnismes”, donnerait aux enseignants “une responsabilité majeure pour humaniser la société”, et fournirait aux documentalistes des “possibilités nouvelles de contribuer aux savoirs” sur les génocides, crimes de masse, violences extrêmes et esclavages. Enfin, cela permettrait « qu’une politique nationale se transforme en une force d’impulsion internationale » pour « l’approche des questions fondamentales d’humanité et de déshumanisation ».

Parmi les 14 historiens membres du directoire de la Mission d’étude, Henry Rousso, directeur de recherche à l’Institut d’Histoire du Temps Présent (IHTP) du CNRS, indique à La Croix qu’en matière d’études comparées des génocides, « nous n’avons pas à rougir en France », mais qu’il est possible d’accroître leur visibilité, et de « favoriser l’enseignement et la transmission de ces connaissances comparées dans nos lycées, voire nos collèges« .

Finalement, « l’histoire comparée » permet selon lui d’aborder « d’importantes questions d’histoire contemporaine, comme les idéologies, les régimes politiques ou encore les enjeux stratégiques… Et ainsi de former des citoyens armés pour lutter contre le négationnisme, qui fait un inquiétant retour. »