Le mathématicien Cédric Villani, député LREM et médaille Fields, a été chargé avec l’IEN Charles Torossian, de réfléchir à la façon de redonner le goût des maths à tous les élèves. Leur rapport devrait être remis à Jean-Michel Blanquer courant février, mais le JDD, qui se l’est procuré, dévoile déjà quelques pistes parmi les 21 proposées au ministère de l’Education nationale.
L’objectif étant également de rattraper notre retard dans l’enseignement des mathématiques, “la France étant le dernier des pays européens au classement Timss, qui évalue les performances des enfants de CM1 en maths, alors qu’un septième de la scolarité de nos élèves est consacré à cette discipline”, selon Charles Torossian.
Méthodes de Singapour et du SLECC
Selon Cédric Villani, l’apprentissage des mathématiques devrait être “explicite et progressif”, suivant les trois étapes de la méthode de Singapour, dont Jean-Michel Blanquer, passionné par les neurosciences, semble friand : “manipuler, verbaliser, penser en termes abstraits”. Concrètement, il s’agit d’étudier des notions de plus en plus profondément, jusqu’à ce que les élèves les maîtrisent – par exemple, en abordant simultanément addition et soustraction, ou en abordant d’abord les intégrales ou les dérivées par la manipulation.

plaisir des mathématiques © Eléonore H
Le rapport Villani-Torossian prône aussi l’expérimentation (à grande échelle) en primaire d’une autre méthode explicite : celle du programme SLECC (savoir lire, écrire, compter, calculer), déjà testée depuis 10 ans dans 200 écoles primaires volontaires.
Comme l’expliquait Le Figaro Magazine en 2007, il s’agit pour les professeurs des écoles de “livrer aux élèves les codes qui leur permettront de déchiffrer, puis de maîtriser vraiment le sens : l’alphabet et les syllabes pour la lecture et l’écriture, dont l’apprentissage se fait simultanément ; les tables et les quatre opérations pour le calcul”.
Les 4 opérations dès le CP ?
Le rapport ne préconise pas de poser les quatre opérations dès le CP, comme semble le souhaiter Jean-Michel Blanquer, mais conseille plutôt de “cultiver le sens des quatre opérations dès le CP”, en travaillant sur de petits nombres et en apprenant en même temps les additions, les soustractions, les multiplications et les divisions. En se reposant sur des recherches en neurosciences, qui expliquent que le cerveau a “très tôt l’intuition des nombres”, et qu’il est possible de créer des automatismes ou de “libérer de la mémoire de travail”, Cédric Villani et Charles Torossian incitent aussi les enseignants (du primaire, mais aussi du secondaire) à organiser des “rituels”, chaque matin, afin de s’entraîner au calcul.
Rendre les maths plus ludiques
Selon la mission, les professeurs des écoles (PE) et les enseignants du secondaire auraient aussi tout intérêt à “favoriser une approche ludique de la discipline”, en utilisant des logiciels, des jeux éducatifs et des serious games, et en impulsant (au niveau périscolaire) la création de clubs de maths ou d’échecs.
Le rapport envisage en outre de faire revoir par le CSP (conseil supérieur des programmes) le contenu des manuels scolaires (140 titres, actuellement), qui “pour la plupart, ne comportent aucune démonstrations”.

© Eléonore H – Fotolia
Créer une licence pluridisciplinaire pour les profs
Cédric Villani constate dans son rapport que les PE, issus à 80% des filières littéraires, ne maîtrisent pas tout dans l’enseignement des mathématiques – la médaille Fields préconise en conséquence de créer une licence pluridisciplinaire, “adaptée aux enseignants”, avec une formation spécifique débutant après le Bac, au lieu de la L3 actuellement.
Selon le rapport, le temps dédié aux maths en ESPE (80 heures) devrait en outre être multiplié par 5 – et être renforcé en formation continue, en commençant dès la rentrée 2018 par les profs de CP-CE1 des classes dédoublées de REP+.
Enfin, le rapport préconise, selon le JDD, de « définir des repères annuels » pour suivre la progression des écoliers – au lieu d’objectifs fixés sur 3 ans, seraient mis en place 5 « items » par niveau (du CP à la 3e), qui seraient évalués trois fois dans l’année.
En abordant les intégrales ou les dérivées par la manipulation : merci d’indiquer aux lecteurs à quel endroit on peut acheter du matériel de manipulation.
Bonjour,
Les légos ou tout matériau de construction, ça fonctionne très bien pour comprendre la notion d’intégrale 🙂
Je vous conseille aussi ce site (en particulier la vidéo tout en bas de la page) : http://www.chaos-math.org/fr/chaos-ii-champs-de-vecteurs
« les PE, issus à 80% des filières littéraires, ne maîtrisent pas tout dans l’enseignement des mathématiques » : j’admire votre sens de l’euphémisme. De même, les plombiers, issus majoritairement de filières techniques, ne maîtrisent pas tout dans l’enseignement de la flûte traversière.
Un plombier peut très bien apprendre la flûte, même à 50 ans ; mais un étudiant de 25 ans, qui louvoie depuis l’âge de 16 ans pour fuir les maths et les sciences, est-il encore vraiment récupérable pour enseigner un peu de maths ???? J’en doute …
« le temps dédié aux maths en ESPE (80 heures) devrait en outre être multiplié par 5 »
Rien que cette phrase montre que vous n’avez pas compris ce dont il est question.
1) il n’y a pas de cadrage national définissant les maquettes, on peut estimer que ce 80 heures représente au mieux une moyenne, mais derrière cela, il y a une très forte disparité selon les endroits (dans les endroits les plus défavorables pour les mathématiques, moins de 60h)
2) les ESPE gèrent actuellement des masters (premier degré pour ce qui est évoqué ici) et n’ont à ce jour aucune entrée dans les licences. Il est totalement impossible de placer 400 heures en mathématiques au niveau master, d’une part parce que c’est matériellement non réalisable, d’autre part parce que c’est trop tard pour les étudiants qui ne devraient pas avoir la possibilité de rester des années sans étudier de mathématiques ni leur enseignement, ce qui se passe pourtant à l’heure actuelle.
Ce qu’il faut comprendre dans le rapport est qu’il est urgent de faire en sorte que, entre le début du parcours universitaire post-bac et la titularisation, le temps d’apprentissage de l’enseignement des mathématiques représente environ 400h ; cela implique aussi que l’on arrête de laisser les futurs PE venir d’à peu près toutes les licences possibles et imaginables, en laissant les enseignants de master MEEF gérer cette hétérogénéïté fortement contre-productive.
J’approuve grandement le paragraphe 2) !!!
Disons-le clairement, nos salaires riquiqui d’enseignants ne peuvent plus attirer que les diplômés incasables dans l’économie « réelle ». Seul le deuxième et troisième choix accepte l’enseignement.
En particulier les étudiants qui ont traîné leur guêtres en sciences humaines en louvoyant pour éviter tout ce qui est « dur », à savoir les sciences exigeant un minimum de maths et les cursus littéraires trop exigeants en grammaire, orthographe et culture générale.
La licence pluridisciplinaire est une fausse bonne idée. Elle a déjà été essayée à d’innombrables reprises et toutes les facs qui s’y sont hasardé ont dû renoncer au bout de 4 ou 5 ans, tellement les conséquences non-voulues étaient catastrophiques. Il suffisait d’ailleurs d’y réfléchir quelques minutes avant de se lancer dans cette aventure. Mais il semble que Villani et les autres n’aient pas consacré ces quelques minutes à une analyse préalable des contraintes.
Le problème est pourtant très simple. Quel avenir pour les malheureux étudiants qui feraient un tel choix et qui, dans leur très grande majorité, échoueront nécessairement au concours de professeur des écoles ? Aucun. Le niveau acquis dans l’ensemble des disciplines est beaucoup trop faible pour envisager un master dans l’une d’elles. Il y a bien sûr le master-enseignement premier degré des ESPE. Mais justement si l’on échoue au concours on reste en rade.
La seule possibilité est de revenir à un concours unique de type Ecole normale au niveau bac. Mais c’est incompatible avec l’ambition des ESPE de recruter au niveau licence-master. En plus, comment interdire aux titulaires d’un diplôme Bac+3 ou Bac+5 de se présenter au nouveau concours et donc d’éliminer tous les autres candidats de niveau bac?
Bien sûr, c’est pour cela que dans ma région, les étudiants qui passaient par une L3 pluri scientifique avaient un taux de réussite d’environ 90% à la première tentative au CRPE et que je ne connaisse pas un seul qui n’ait pas réussi à l’avoir au bout de 3 tentatives…
@Mathieu. Je ne connais pas votre région mais si cela marchait aussi bien pourquoi est-ce que l’expérience n’a pas été maintenue ? (C’est une vraie question).
Vous parlez de licence pluri-scientifique, c’est déjà un point à retenir. Dans les cas que je connais (en particulier Nanterre), il s’agissait de titulaires d’un bac L (exceptionnellement ES) qui faisaient une licence pluridisciplinaire (c’est-à-dire avec un peu de maths et de sciences). S’il s’agit d’étudiants dans une fac de sciences (titulaires du Bac S) qui font une licence pluri-scientifique, cela doit changer la donne.
Imaginons maintenant que tous les candidats font une vraie licence pluridisciplinaire (lettres et sciences à égalité). Ces candidats-là sont alors en compétition les uns avec les autres. Ils n’écrasent plus à 90% leurs malheureux rivaux et, dans les académies les plus demandées, ils sont 90% à échouer. Que font-ils alors de leur licence pluridisciplinaire ? Il est étonnant que Villani et les mathématiciens qui l’entourent ne se soient pas posé la question : c’est de la théorie des jeux pour analphabètes en maths (= compréhensible en langue naturelle).
Il y a une difficulté supplémentaire. C’est qu’il faut inscrire cette réforme de la formation des maîtresdans le contexte global des réformes Blanquer. Or avec le nouveau Bac, la spécialisation va commencer dès le lycée avec des formations « à la carte ». N’est-il pas contradictoire – et presque loufoque – de dire qu’après des études secondaires spécialisées on va mettre en place un cycle universitaire pluridisciplinaire jusqu’en L3 compris ?
Même si cela parait brutal, il faudrait dire clairement ceci :
Le niveau du bac L actuel est inadéquat pour se destiner à l’enseignement primaire, surtout si ce bac est suivi d’une licence sans sciences ni maths. Un bac L « sans mention » ne conduit qu’aux lettres et aux langues (et au Droit, à condition d’être rigoureux !), avec bien peu de débouchés « faciles ». Quand à la « com », au journalisme et à l’édition, c’est très encombré, sinon bouché ; j’aimerais qu’on arrête de donner de vaines illusions aux jeunes.
Il y a une quarantaine d’années, on tentait déjà, mais vainement, de dissuader les « purs littéraires » d’entrer en école normale du primaire, du moins ceux qui n’avaient pas fait l’effort de se mettre à niveau en maths.
Actuellement, on peut dire que s’est incrustée très profondément l’idée fausse que les métiers du primaire sont une bouée de sauvetage pour littéraires approximatifs incapables de réussir ni un CAPES, ni un autre concours « A » de la fonction publique.
Sinon, il est vrai qu’un étudiant qui a suivi un cursus scientifique en L1L2L3 et qui prépare sérieusement le concours CRPE dans une académie pas trop demandée est quasiment SÛR de réussir … La preuve en a été faite dans certaines académies.
Un jeune qui sait ce qu’il veut peut déduire de ce qui précède ce qu’il faut faire après sa classe de seconde :
-Ou bien ce jeune aborde la filière L en visant une mention TB et aborde ses études supérieures littéraires ou juridiques avec exigence et aisance, Sc. Po par exemple. En visant les concours difficiles à Bac+5 …
-Ou bien il choisit la filière S, qui lui donne infiniment plus de choix après le bac, même avec une mention peu mirobolante ; sans trop se laisser aller du côté des lettres.
Cette idée de licence pluridisciplinaire « pour futurs instits-PE » est excellente !
On a déjà d’assez bon modèles, dont on pourrait panacher certains aspects :
1) Les facs de STAPS, avec leur sélection à l’entrée.
2) Les classes préparatoires B/L (lettres-maths-sc.humaines) pour leurs programmes exigeants (en maths et lettres) et leur recrutement bien rodé sur dossier. (NB : Macron est passé par ces prépas).
3) Les anciennes « écoles normales », du moins avant qu’elles ne fussent « squattées » par les psycholâtres, psycho-pédagogues et autre psy-chômeurs, qui ont non seulement perverti les formations de PE, mais aussi gentiment écarté les formateurs « sachants », qu’ils soient matheux, physiciens, naturalistes ou même littéraires en comprimant à l’extrême les les horaires attribués à ces « affreux enseignements disciplinaires ».
Ces nouveaux ESPE pourraient se voir accorder un quota de bourses, attribuées exclusivement par l’ESPE lui-même sans interférence du CROUS. L’action de ce dernier en matière de bourses est proprement catastrophique, il n’attribue les bourses QUE sur critères sociaux ; cela conduit à recruter bien trop d’étudiants incapables de réussir dans des filières inadaptées à leur CV scolaire.
Il faut absolument empêcher que les carrières de futurs PE soient synonymes de :
-fuite devant les sciences,
-de refuge de la dernière chance pour diplômés incasables issus des facs « sciences humaines »,
-de débouché pour « cas sociaux », du genre « mère de trois enfants sans le bac » (authentique !!!) ou de substitut au statut « d’intermittent du spectacle ».
Villani sait de quoi il parle puisque ses parents ont été professeurs professeurs de lettres en classes préparatoires scientifiques à Toulon!