profil-del-2016Delphine de Hemptinne, orthophoniste belge spécialisée dans l’aide aux enfants dys, est aussi experte en sciences de l’éducation. Elle a rédigé 6 livres destinés aux parents d’élèves présentant un trouble de l’apprentissage. Une ressource aussi précieuse pour les profs.

Pourquoi avoir écrit ces livres sur les TSLA (1) ?

L’idée m’est venue du travail avec les patients et leurs familles : elles ont besoin d’être accompagnées, mais nous manquons de temps. Dans mes ouvrages, j’ai synthétisé des conseils pratiques pouvant être appliqués à la maison et à l’école. Je m’adresse aux parents, mais les enseignants peuvent aussi être intéressés par le fait de savoir comment l’enfant dys étudie et travaille. L’un de mes projets est d’écrire un livre dédié aux profs. Ces derniers font face à une difficulté majeure : réussir à individualiser et à aider tous les élèves, malgré des effectifs importants et des moyens insuffisants.

Quand on pense aux TSLA, on pense surtout à la dyslexie, en oubliant un peu la dysorthographie et la dyscalculie… Pouvez-vous nous présenter ces troubles ?

Ces TSLA perturbent l’apprentissage de certaines fonctions. La dyscalculie affecte l’apprentissage mathématique, le raisonnement et la compréhension des nombres. La dysorthographie altère l’acquisition de l’orthographe (grammaticale et d’usage), ainsi que la mémorisation des mots (leurs sons et leur écriture).

Ces troubles du neuro développement n’apparaissent pas subitement : ils sont présents dès le plus jeune âge. Un bébé sera déjà dyscalculique ou dysorthographique, même s’il ne l’exprimera pas encore. Mais en maternelle, les premiers signes sont déjà repérables. L’enfant aura des difficultés à compter et à raisonner au niveau logique (par exemple, il ne comprendra pas que 2 est plus grand que 1), ou n’arrivera pas à manipuler les sons de la langue.

Ces troubles sont-ils suffisamment connus, selon vous ?

Il y a un mieux, dans le sens où des générations entières d’enseignants n’avaient autrefois aucune idée de l’existence de ces troubles, et percevaient les enfants qui en souffraient comme immatures, voire stupides…

Pour autant, actuellement, dans la formation initiale des enseignants, que ce soit en Belgique ou en France, on manque encore énormément d’informations au sujet des TSLA. Les profs qui connaissent réellement ces troubles et qui adaptent leur pédagogie ont en fait, bien souvent, suivi des formations par la suite, de leur plein gré.

élève lisant un livre

© S.Kobold – Fotolia

Certains, comme l’essayiste Natacha Polony, parlent de troubles « inventés », dont “l’explosion” relèverait d’une “médicalisation de l’échec scolaire”. D’autres mettent en cause les méthodes de lecture pour expliquer la dysorthographie…

De plus en plus d’enseignants prennent la peine de suivre des formations. Mais on est encore loin d’avoir une bonne compréhension de ces troubles… Et les polémiques que vous citez n’aident en rien les enfants concernés, ni leurs profs. J’invite tous ceux qui disent que ces troubles sont inventés à venir en consultation, et à rencontrer ceux qui en souffrent ! Certains sont peut-être diagnostiqués alors qu’ils ne devraient pas l’être, mais en règle générale, il y a un réel problème neurodéveloppemental. Nombre d’études prouvent qu’il s’agit bien d’un problème physiologique et neurologique.

Une méthode d’apprentissage de la lecture ne créera jamais un dysorthographique, même si une méthode plutôt qu’une autre peut permettre de passer outre certaines difficultés. Et dans le cas d’un enfant dyscalculique, vous pouvez essayer de répéter la même chose dix fois, avec dix profs différents, sans que cela fonctionne jamais, car il manquera chez lui la logique et la compréhension du nombre.

Les enfants dyscalculiques ou dysorthographiques ne font pas preuve de mauvaise volonté. Et ce n’est pas non plus la faute des enseignants, contrairement à ce que l’on entend parfois. Quand un enfant souffre d’un dysfonctionnement (de l’écriture, de l’orthographe, du calcul…) neurologique, il peut avoir le meilleur prof de la terre, et continuer à avoir des difficultés en maths ou en orthographe.

En quoi la dyscalculie et la dysorthographie sont un handicap à l’école ?

Souvent, il s’agit d’enfants qui auront des difficultés récurrentes, pouvant être mal perçues, car peu visibles – par exemple, un dysorthographique dont le diagnostic n’a pas été posé sera vu comme faisant les mêmes fautes dix fois… et l’enseignant, pas formé, se dira qu’il se paie sa tête, ou ne fait pas d’efforts. Ce genre de situation est catastrophique pour l’estime de soi.

classe inversée maths

Nicolas Lemoine, prof de maths à Drancy, pratique la classe inversée.

Une fois le diagnostic posé, les erreurs et les difficultés restent présentes, mais l’enseignant sait que l’enfant ne fait pas preuve de mauvaise volonté, et peut commencer à avoir un comportement tolérant et bienveillant. Sinon, l’enfant risque de se décourager et de se considérer comme “nul” par rapport à ses camarades.

Que peuvent faire les enseignants pour aider les enfants dyscalculiques ou dysorthographiques ?

Au niveau de l’environnement scolaire, l’enseignant peut placer l’enfant en difficulté à l’avant de la classe, près de lui, afin de garder un oeil sur lui, et d’intervenir s’il voit qu’il commence à partir dans une mauvaise direction dans son travail. Les enfants dyscalculiques et dysorthographiques peuvent aussi avoir recours à des aides techniques (calculatrices, ordinateurs, logiciels).

Les adaptations sont également pédagogiques. L’enseignement a intérêt à devenir le plus explicite possible (avec des règles et des objectifs d’apprentissage bien spécifiés), car les élèves dyscalculiques et dysorthographiques ont besoin qu’on leur démontre les choses clairement. Le prof peut aussi encourager le travail à plusieurs.

Enfin, les adaptations peuvent concerner les évaluations, perçues par les élèves souffrant de dyscalculie ou de dysorthographie comme une épreuve infranchissable. En transformant les interrogations, il est pourtant simple de les aider à réussir. L’enseignant peut par exemple lire oralement les consignes écrites afin d’aider à leur compréhension ; corriger différemment en subdivisant la cotation ou en comptabilisant le nombre de réponses justes ; et accorder du temps supplémentaire à l’enfant.

Il existe un grand nombre d’aménagements. Mais pour moi, le plus important, c’est l’attitude de l’enseignant. Cela peut paraître idéaliste, mais nous nous souvenons tous d’un prof qui nous donnait envie de faire des efforts, même si nous n’aimions pas la matière ou avions des difficultés, car il nous soutenait. Avoir une attitude bienveillante et à l’écoute, se renseigner sur les troubles de l’enfant afin de bien les comprendre, l’encourager et le valoriser, plutôt que de pointer ce qui ne va pas, peut déjà l’aider grandement.