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Dans l’Antiquité

Dans l’Antiquité grecque, le thème de l’argent et le personnage de l’avare apparaissent déjà dans les fables d’Esope (620-564 av. J.C.), dont s’est inspiré La Fontaine.

Citons plus particulièrement L’Avare et le Passant, L’Avare et l’Envieux, L’Homme qui ne tient compte du trésor, Le Voleur et le pauvre homme, Le corroyeur et le Financier.

Plus tard, on retrouve le thème de l’argent dans la comédie antique grecque, avec des pièces bâties autour d’une situation familiale associant amour, argent et quiproquos et de types sociaux caricaturés : le père avare, la belle-mère acariâtre, etc. Ce type de comédie est illustré par L’Avare ou le Misanthrope (317 av. J. C.) de Ménandre.

Le personnage de l’avare, qui est devenu un archétype, apparaît donc très tôt dans la littérature, avec celui de l’usurier. Dans l’Antiquité romaine, on retrouve le personnage de l’avare et de l’usurier dans la comédie qui se développe au II° av. J.C., dans des pièces adaptées de la comédie grecque : L’Aulularia et La Marmite de Plaute ; L’Heautontimoroumenos de Térence. Au I°s av. J.C., dans Les Satires d’Horace, on retrouve de multiples personnages et situations comiques hérités aussi de la comédie grecque.

Au Moyen Age

Les récits de vies, les épopées, les chansons de geste, puis la littérature courtoise sont peu enclins à la représentation de l’argent. En effet, dans la tradition chrétienne, l’avarice est considérée comme l’un des sept péchés capitaux et les Écritures sont sévères à l’égard du cupide. D’autre part, le commerce de l’argent sous la forme de prêts avec intérêt (usure) est interdit selon certaines interprétations de la Bible. C’est avec la littérature satirique, littérature de la bourgeoisie, malicieuse, réaliste, voire grivoise, que l’on peut rencontrer l’argent. La représentation la plus célèbre en est Le Roman de Renart, écrit du XII° au XIV° par plusieurs auteurs. D’abord parodie de la littérature aristocratique et satire sociale, cette épopée animale finit par devenir un genre allégorique où Renard représente le mensonge hypocrite et la toute-puissance de l’argent. On rencontre aussi le thème de l’argent dans les fabliaux et la littérature morale des XIII° et XIV°, avec les contes à rire et les contes édifiants. On y rencontre des avares (comme dans Le Vilain mire dont s’inspire Molière pour son Médecin malgré lui). Enfin, l’on trouve aussi la représentation de l’argent dans le théâtre comique, né vers le milieu du XIII°, directement issu du théâtre gréco-romain, notamment avec les soties et les farces.

Dans la plus connue, La Farce de Maître Pathelin (1465), est mis en scène un avocat sans cause, fourbe et imaginatif qui berne le drapier Guillaume.

La Renaissance

Au XVI°, si le discours antique et médiéval sur l’avarice perdure, la réflexion et les représentations se renouvellent avec l’essor de la circulation monétaire, la possibilité du prêt à intérêts, jusqu’alors proscrit par la religion, et le rôle de l’argent dans le fonctionnement de la justice. Aussi, trouve-t-on, dans plusieurs œuvres du XVI°, une analyse du rapport avarice-justice, comme, par exemple, dans Le Tiers-Livre de Rabelais, Les Essais de Montaigne ou encore Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné. Quant à Ronsard, dans Hymne de l’or, faisant référence à la fois à Tantale et au roi Midas, il représente l’avare comme un être qui meurt de faim et de soif au milieu de son vin et de son pain.

Dans l’œuvre de Rabelais, les représentations de l’argent sont abondantes. Celui-ci joue un rôle de premier plan dans l’univers de Panurge. Dès Pantagruel, on voit le rapport étroit et nécessaire qui existe, chez Panurge, entre l’argent et le pouvoir. L’argent est, pour lui, un moyen de dominer, d’appâter, d’asservir ou d’humilier autrui, mais aussi de flatter son ego. Il manque toujours d’argent, mais il sait toujours en trouver (vols, tromperies, escroqueries, etc.). Dans certains épisodes du Gargantua, l’argent, l’or et les objets de luxe se manifestent abondamment, à cause du statut royal des personnages Enfin, dans le Tiers et le Quart livre, on trouve les thèmes de la dette et du crédit.

Le XVII°

Le début du XVII° se caractérise par la préciosité, qui donne naissance à une littérature essentiellement psychologique avec le roman d’analyse de Mme de La Fayette : La Princesse de Clèves. L’argent y est absent, car il est associé au bas, au commun, voire au vulgaire. Par contre, le burlesque traduit la réaction bourgeoise et populaire contre le raffinement précieux. Les romans, auxquels il donne naissance, abondent en représentations des circulations monétaires : Le Roman bourgeois de Furetière (1619-1688) ou Le Roman comique de Scarron (1610-1660), où les personnages comptent et recomptent les écus. Quant à Boileau (1636-1711), dans ses Satires, il réagit contre la préciosité et écrit des vers parodiques. Les avares n’y manquent pas et, dans la Satire X, on trouve même un ménage d’avares. L’avare est en fait devenu un thème classique.

D’autre part, si l’argent est absent de la tragédie de Corneille ou de Racine, la comédie, tout au contraire, met en scène cassettes, écus, pistoles, dots, héritages, etc. C’est ainsi que, le théâtre de Molière (1622-1673) représente le thème de l’argent sous plusieurs de ses formes (l’argent de la dot, de l’héritage, des gages etc.), notamment dans L’Ecole des femmes, Le Malade imaginaire, Dom Juan, etc. Mais, il est une comédie où l’argent imprègne toute l’action, c’est L’Avare (1668).

Les Fables de La Fontaine (1621-1695) sont elles aussi très abondantes en représentations de l’argent et en réflexions sur sa nature, ses effets ou son usage : La Cigale et la Fourmi, La Laitière et le pot au lait, etc. Comme Molière, il combat sans cesse les thésauriseurs (Voir L’Avare qui a perdu son trésor, Du Thésauriseur et du Singe, etc.).

Dans la littérature du XVII°, même si un héros a de l’argent, il ne peut pas accéder à la noblesse.

Le XVIII°

Au XVIII°, il le peut, car tout ce qui se passe à l’époque dans le monde de la finance trouve un écho dans la littérature. Le début du XVIII° voit l’essor du roman, avec la naissance du personnage qui apparaît sous un jour essentiellement humain et la fiction qui s’ouvre désormais aux classes plus modestes. Parmi les thèmes romanesques utilisés, l’argent fait partie des plus importants.

Dans Le Paysan parvenu (1734), Marivaux (1688-1763) s’intéresse aux parvenus et montre que l’argent est le vrai moteur de l’ascension sociale et que l’appât du gain est plus fort que l’honneur.

Dans le théâtre de Marivaux, l’argent est le nerf de la guerre des sentiments. On retrouve cette prédominance de l’argent dans l’amour, aussi bien dans Le Jeu de l’amour et du hasard (1730) que dans Les Fausses Confidences (1737). Quant à Beaumarchais (1732-1799), il se livre à une satire féroce de la société du XVIII°, corrompue par l’agent. Dans Le Mariage de Figaro, l’argent est omniprésent : Figaro veut empocher l’argent du comte sans lui rien céder en échange ; le Comte propose à Suzanne de l’argent pour obtenir un moment de galanterie ; Figaro a promis le mariage à Marceline en échange de l’argent qu’elle lui a prêté ; etc.

Du côté des philosophes, l’argent est aussi analysé. Montesquieu (1689-1755), dans L’esprit des lois (1758), consacre les Livres XX à XXII au commerce et à l’usage de la monnaie. Dans Les Lettres Persanes (1721), il est souvent question d’argent. Montesquieu ironise même sur l’activité des sociétés par actions (Voir la Lettre 142). Chez Voltaire (1694-1778), le thème de l’argent est aussi présent, notamment dans Candide où l’argent prend des rôles différents, d’un côté source de souffrances et de corruption, et, de l’autre, récompense d’un dur travail. Dans Le Neveu de Rameau de Diderot (1713-1784), l’argent et la puissance qu’il octroie sont sans contexte le thème majeur, car selon le protagoniste « L’or est tout ; et le reste, sans or, n’est rien ».

De même, dans Jacques le Fataliste, Diderot se livre à la satire d’une société où l’argent joue un rôle important, qu’il provienne du jeu, de la prostitution, de l’usure, du vol, de l’escroquerie, etc. Enfin, dans ses Confessions, Rousseau (1712-1778) montre une aversion pour l’argent et sa détestation des dettes.

Le XIXe siècle

Au XIX°, l’argent et les questions d’argent envahissent la littérature. Ceci s’explique au moins par deux faits essentiels. Tout d’abord, la Révolution industrielle apporte une modification du rapport à l’argent : fortunes rapidement amassées ou rapidement perdues ; fortunes anciennes brutalement disparues ; disparités des salaires et des rentes, etc. D’autre part, l’accession au pouvoir politique et économique de la classe bourgeoise s’accompagne d’un système de valeurs qui supplante tous les autres : l’avoir prime sur l’être et l’argent s’impose comme un moyen. D’un autre côté, les romanciers sont confrontés à de nouvelles réalités éditoriales liées à l’entrée de la littérature dans l’ère industrielle. Comme le montre Illusions Perdues de Balzac, le commerce de la librairie souffre d’un manque de liquidités et les auteurs sont très souvent conduits à manipuler des billets à ordre, des lettres de change ou autres effets fiduciaires. Ainsi, leurs œuvres sont-elles non seulement devenues des biens marchands, mais leur valeur est-elle soumise aux fluctuations de la monnaie, comme le souligne Zola dans son roman L’Œuvre.

Fort de ce savoir économique et juridique, ils sont plus particulièrement enclins à thématiser l’objet monétaire dans leurs œuvres.

Alors que Balzac néglige la forme concrète des sommes d’argent, qui sont simplement désignées par leur montant en francs, chez Hugo (1802-1885), et tout particulièrement dans Les Misérables, une surprenante attention est prêtée aux réalisations matérielles variées de l’argent ainsi qu’à l’expérience spécifique qu’en ont les personnages : napoléons, louis d’or, pièces de cinq francs, billet de mille francs, liards livres, pistoles, etc. Le texte s’appuie ainsi sur la réalité d’une inégale circulation des espèces au XIX° et est le cadre de nombreuses opérations économiques.

Pour Flaubert (1821-1880), l’argent est la cause de tout mal. Dans Madame Bovary, il apparaît comme la condition, l’ingrédient et le carburant de tous les désirs sexuels d’Emma et la mène à la mort. De même, l’argent est un thème récurrent dans L’Education sentimentale.

Chez Maupassant (1850-1893), l’argent est omniprésent. Son évocation est fidèle à l’observation de la société contemporaine, Mais, que ce soit, dans bon nombre de ses contes ou dans Bel-ami et Mont-Oriol, le monde capitaliste est décrit comme le double du monde de la folie. Enfin, le rejet de la société industrielle et de l’argent constitue la base de l’œuvre de Huysmans (Voir A Rebours, 1884 ou Sac au dos, 1880). On trouve même, dans Là-bas (1891), une réflexion sur l’absurdité de l’argent.

Puis va paraître toute une série d’œuvres littéraires et morales sur le monde de la Bourse. Parmi elles, se détache L’Argent de Jules Vallès (paru anonymement), véritable pamphlet.

Le tournant de la Troisième République

Il faut attendre la Troisième République pour voir le roman intégrer la Bourse à la substance de son récit, comme Fromont jeune et Risler aîné (1874) d’Alphonse Daudet ou Bel-Ami (1885) de Maupassant.

Mais, c’est Zola (1840-1902) qui réussit à tisser tout un roman autour de la Bourse avec L’Argent (1891) et pour lequel il s’inspire du krach de l’Union Générale. Dans la poésie, la représentation de l’argent est assez rare avant Baudelaire. Celle-ci opère un déni massif et refoule ce thème. L’argent, le signe matériel absolu, le diable, est en effet mis par l’auteur des Fleurs du Mal au cœur de sa poésie, comme il est au cœur du monde social contemporain. Baudelaire oppose au règne de l’argent un règne supérieur qui est celui de la Beauté. Il adopte une attitude polémique contre une sphère qu’il exècre. Par exemple, dans Morale du joujou, il dépeint l’enfance comme âge de la vie précapitaliste où la valeur d’usage l’emporte sur la valeur d’échange. Dans A une heure du matin, il décrit la schizophrénie capitaliste qui oblige le producteur aliéné, à vendre, pour subsister, son produit en se louant lui-même. Enfin, dans La Fausse Monnaie, il pourfend la duplicité du bourgeois.

 

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Si vous avez envie de vous replonger dans les livres cités dans notre étude, le corpus auquel nous faisons référence est le suivant : les livres sont téléchargeables gratuitement, en intégralité

Le corpus de la fiche pédagogique :

Titre Téléchargez le livre
Eugénie Grandet, Balzac (de) pdf epub
Le Père Goriot, Balzac (de) pdf epub
César Birotteau, Balzac (de) pdf epub
Madame Bovary, Flaubert pdf epub
Les Misérables (t.1) : Fantine, Hugo pdf epub
Une Vie, Maupassant pdf epub
Bel-Ami, Maupassant pdf epub
Manon Lescaut, Prévost pdf epub
La petite Fadette, Sand pdf epub
Le Rouge et le Noir, Stendhal pdf epub
L’Ile au trésor, Stevenson pdf epub
La Curée, Zola pdf epub
Au Bonheur des dames, Zola pdf epub
Le Bourgeois gentilhomme, Molière pdf epub
L’Argent, Zola pdf epub
Bel Ami Maupassant, Guy de pdf epub
L’Éducation sentimentale Flaubert, Gustave pdf epub
Madame Bovary (Mœurs de province) Flaubert, Gusta pdf epub
Illusions perdues (Scènes de la vie de province)Balzac, Honoré de pdf epub
Candide ou l’Optimisme Voltaire pdf epub
Lettres persanes Montesquieu pdf epub
Rousseau, Jean-Jacques Les Confessions pdf epub
Jacques le Fataliste et son maître Diderot, Denis pdf epub
Le Mariage de Figaro Beaumarchais pdf epub
Le Jeu de l’amour et du hasard Marivaux pdf epub
L’Avare Molière pdf epub
Pantagruel Rabelais pdf epub
Le Roman de Renart Anonyme pdf epub
Œuvres choisiesRonsard, Pierre de pdf epub
Farce de Maître Pierre Pathelin Anonyme pdf epub
Le Médecin malgré lui Molière pdf epub
A ReboursHuysmans, Joris Karl pdf epub
Les Fables de La Fontaine La Fontaine, Jean de pdf epub