Les résultats de l’étude PIRLS 2016, publiés il y a quelques semaines, sont sans appel : le niveau en lecture des petits Français n’a pas cessé de chuter en 15 ans. L’académie de Grenoble va tester, auprès de 759 élèves de CP, EVAsion, un jeu vidéo d’action développé par le CNRS pour améliorer les performances en lecture. Présentation avec Sylviane Valdois, directrice de recherche au CNRS.
D’où est venue l’idée de développer un jeu vidéo pour aider les enfants à apprendre à lire ?
Les enfants jouent de plus en plus aux jeux vidéo et certains chercheurs, comme Daphné Bavellier, ont montré qu’il y avait des effets positifs à leur utilisation s’il s’agissait de jeux d’action : les enfants qui y jouent ont par exemple de meilleures capacités d’attention, d’inhibition des infos qui ne sont pas pertinentes… En 2013, des chercheurs de l’université de Padoue démontraient dans une étude que de jeunes dyslexiques avaient amélioré leur vitesse de lecture après avoir joué à un jeu vidéo d’action.
De mon côté, je travaille depuis une trentaine d’années sur les troubles des apprentissages, et avec le centre référent des troubles du langage et des apprentissages au CHU de Grenoble, nous avons mis en évidence, chez les élèves présentant des troubles de la lecture, un problème dans l’un des composants de l’attention visuelle. Cet élément, qu’on appelle l’empan visuo-attentionnel (DOC), est la capacité à traiter plusieurs informations visuelles en même temps. Comme un mot est composé de plusieurs lettres, on peut lire le mot sans difficulté si on a assez d’attention visuelle pour les identifier toutes, mais certaines personnes avec un trouble majeur ne pourront traiter qu’une lettre à la fois par exemple.
Nous avons pensé que les jeux vidéo d’action pouvaient avoir un effet sur l’empan visuo-attentionnel, et avons recruté des étudiants qui jouaient à des jeux vidéo d’action au moins 5h par semaine, depuis au moins 6 mois, et d’autres qui n’y jouaient pas. Après leur avoir fait passer des tests, on a constaté que les joueurs traitaient beaucoup plus d’éléments visuels simultanément que les non-joueurs.
Puis, il y a eu en 2016 un appel à projets e-Fran du gouvernement, nous avons candidaté et obtenu un financement, ce qui nous a permis de développer le jeu EVAsion.
Comment le jeu se présentera-t-il ?
EVAsion est développé sur tablette numérique, iPad à l’heure actuelle, mais il sera bientôt proposé aussi sur Android. L’application contient 4 mini-jeux d’action, où des événements visuels apparaissent rapidement et aléatoirement à l’écran, et sur lesquels l’enfant doit faire une action.
Il y a par exemple un mini-jeu qui s’appelle « Le château mange-lettres », qui se passe dans un château entouré de champs, de forêts et de petits chemins. Sur les chemins se déplacent des oeufs qui portent une étiquette avec des séquences de lettres, et le but pour l’enfant est d’« aider » les œufs qui portent la bonne séquence à rentrer dans le château. Il doit par exemple écarter rapidement les obstacles qui se mettent sur leur chemin, sans se laisser distraire par les oeufs qui ont les mauvaises lettres.
Nous avons aussi conçu une interface enseignant, ce qui signifie que tous les résultats des élèves sont accessibles pour leurs professeurs. Ils peuvent ainsi voir si les enfants ont progressé ou s’ils sont en difficulté.
Comment l’efficacité du jeu sur les élèves sera-t-elle testée ?
EVAsion va être testé pendant 10 semaines, début 2018, auprès de 759 élèves de CP de l’académie de Grenoble. L’empan visuo-attentionnel est une compétence de base, il faut la mettre en place le plus tôt possible, donc nous expérimentons EVAsion en CP, puis un autre logiciel d’entraînement à la lecture en CE1 et CE2. L’idée est de vérifier si EVAsion a un effet dès la fin du CP sur les apprentissages, et si, couplé avec un logiciel qui va permettre de la lecture répétée de texte, il améliore vraiment les compétences des élèves plus tard en CE1 et CE2.
Nous allons donc mener des évaluations avant et après utilisation du jeu pour voir s’il y a un effet sur l’apprentissage de la lecture.
Si l’expérimentation est concluante, l’utilisation du logiciel sera-t-elle généralisée ?
C’est en tout cas l’esprit des projets e-Fran lancés par le ministère. Tous les logiciels développés seront ensuite disponibles pour utilisation par le rectorat de Grenoble. Nous aimerions aussi qu’ils soient diffusés dans l’ensemble des rectorats du territoire. Mais on s’est aperçu que chaque rectorat avait des systèmes informatiques différents, et que ce qu’on a développé ne marchera peut-être pas dans un autre rectorat… Si nous voyons que ça ne fonctionne pas, nous essayerons de trouver des solution pour diffuser les logiciels, non seulement auprès des enseignants, mais aussi du grand public.
La procédure d’apprentissage « écrilu » (voir le site ecrilu) permet justement à l’œil d’ajuster sa vision sur l’empan graphique choisi puisqu’à chaque phonème correspond, en fonction du sens, une graphie qui, souvent est constituée de plus d’une lettre. Commencer par pointer les graphies « plurilettres » (dans plus de 50% des cas) oblige donc l’œil à ne pas s’attarder sur une lettre, mais à visualiser plusieurs lettres (ou, on, emps,etc.), avant de passer à la reconnaissance de l’écrit obtenu. Ce que propose le logiciel écrilire.
Par ailleurs je suis stupéfait par le manque de coordination informatique au sein des rectorats signalé en fin d’article. Le moins serait que tout enseignant puisse trouver son miel dans chaque rectorat de France.
Cette application est-elle accessible par l’Apple-store ?
Désolée de ne répondre qu’à présent. Cette application n’est actuellement disponible sur aucun store car encore en test. Elle le sera peut-etre d’ici 1 an sur android. Vous pouvez suivre notre actualité sur le blog du site web fluence.cnrs.fr