Jean-Pierre Luminet

Jean-Pierre Luminet

En 2008, le roman thriller scientifique de José Carlos Somoza La théorie des cordes révélait au grand public (en y mettant beaucoup de romanesque) l’existence de ce concept de physique théorique du même nom.

Tenter d’expliquer simplement « la théorie des cordes » est… complexe ! Elle s’appuie en effet sur des modèles d’abstractions mathématiques et théoriques méconnus de la plupart d’entre nous…

« Cette théorie n’est pas seulement ésotérique pour le grand public, elle l’est aussi pour les membres de la communauté scientifique ! », assure Jean-Pierre Luminet, astrophysicien, directeur de recherche au CNRS, membre du Laboratoire Univers et Théories (LUTH) de l’Observatoire de Paris-Meudon.

Cela ressemble à une boutade, mais dans l’ouvrage Petite introduction à la théorie des cordes, Steven Gubser, professeur de physique à l’université de Princeton ne dit pas autre chose : « La théorie des cordes est un mystère. Ses adeptes, dont je suis, conviennent qu’ils ne la comprennent pas ».

La finalité, l’ambition, de ce modèle mathématique est d’apporter une explication scientifique globale à notre monde. Ses plus ardents défenseurs l’appellent d’ailleurs « la théorie du tout ». Pour l’anecdote ce fut le titre retenu pour le film consacré au célèbre astrophysicien Stephen Hawking , qui y a consacré une partie de sa vie.

Cette théorie fait partie des tentatives d’unification des interactions de la mécanique quantique et de la relativité générale (théorie de la gravitation). Pour le schématiser — les puristes pardonneront —, la théorie de la relativité générale permet d’expliquer les lois qui régissent l’infiniment grand et la mécanique quantique, celles qui régissent l’infiniment petit. « Ces deux modèles fonctionnent parfaitement et sont vérifiés expérimentalement avec une précision incroyable chacun dans leurs champs respectifs, poursuit Jean-Pierre Luminet. Le problème, c’est qu’ils ne se marient pas entre eux ».

Vers l’infini et au-delà

Pouvoir « quantifier » la force de gravité afin que celle-ci puisse également fonctionner au niveau microscopique est donc un Graal de physiciens. Et la théorie des cordes est l’une des plus anciennes tentatives d’explication pour rendre compatibles entre elles physique quantique et gravitation.

« La théorie de cordes décrit la matière par des entités unidimensionnelles vibrantes, explique Jean-Pierre Luminet. Il s’agit de bouts d’espace ‘extrêmement minuscules’ qu’on appelle cordes. La façon dont la corde vibre va créer un proton, un électron, un neutrino, etc. Les centaines de particules élémentaires différentes se regrouperaient alors en deux familles seulement : les cordes ouvertes et les cordes fermées. Problème : cela ne fonctionne pas dans l’espace-temps habituel, c’est-à-dire trois dimensions d’espace et une dimension de temps. La théorie des cordes a besoin, elle, de… 10 dimensions ! »

Et pour ajouter de la complexité à la complexité, à partir de ce principe de mode vibratoire, il y a 10 puissances 500 façons d’ajouter des dimensions supplémentaires, donc 10 puissances 500 déclinaisons possibles de la théorie des cordes, soit autant de possibilités d’univers différents.

« Tout cela fascine, poursuit Jean-Pierre Luminet, car cela implique des mathématiques d’une grande richesse. Cela fait aussi rêver les non-spécialistes qui, sur cette base, ont rapidement projeté des fantasmes d’hyper espace, de voyage dans le temps, de rencontres dans des univers parallèles, etc. Cette idée qu’il puisse y avoir quelque part un espace plus étendu que le nôtre, avec des dimensions cachées que nous ne percevons pas, et dans lesquelles d’autres réalités existeraient, est, en effet, captivante. Elle n’est pas sans évoquer le film Matrix et d’autres concepts de science-fiction – ce qui explique sans doute son début de succès médiatique. »

La théorie de cordes… dans les cordes ?

Jean-Pierre Luminet

Un grand nombre de très bons théoriciens de toutes nationalités se sont lancés dans l’étude de cette théorie dès la fin des années 80. « Les premiers résultats théoriques obtenus firent l’objet de publications qui leur ont permis d’obtenir des postes clés dans les laboratoires des universités, complète Jean-Pierre Luminet. Et cela a fini par phagocyter une grande partie de la recherche sur la gravitation quantique qui est devenue une usine à gaz, hégémonique, et qui a freiné le développement d’autres approches. »

Car le souci avec la théorie, c’est qu’elle reste un joli modèle, mais qui se heurte depuis ses débuts à la physique réelle. Pour le dire de manière triviale, elle n’a pas fait ses preuves. Hubert Reeves, notre grande star de physique, est sur la même longueur d’onde. « La plupart des gens n’y croient plus beaucoup parce qu’elle n’a jamais réussi à expliquer quoi que ce soit. Cela reste une théorie très spéculative avec de très belles mathématiques, mais ce qu’on demande à une théorie en sciences c’est de nous expliquer les choses que l’on ne comprenait pas auparavant. Qu’est-ce que cette théorie nous apprend de plus que nous ne connaissions pas encore ? Or la réponse, depuis 30 ans, est : rien ! »

Les 4 interactions fondamentales

Tous les processus physiques, chimiques ou biologiques connus peuvent être expliqués à l’aide de quatre interactions fondamentales : l’interaction gravitationnelle (responsable de la pesanteur, des marées, des phénomènes astronomiques…) : l’interaction électromagnétique  (électricité, magnétisme, lumière, réactions chimiques, biologiques…), l’interaction nucléaire forte  (qui permet la cohésion des noyaux atomiques), l’interaction nucléaire faible (responsable notamment de la radioactivité béta). 


Même si elle reste un modèle très étudié, d’autres concepts voient peu à peu le jour. Jean-Pierre Luminet écrit en ce moment un ouvrage qui recense l’ensemble des recherches sur la gravitation quantique et notamment « la gravité quantique à boucles » qu’il nous annonce prometteuse notamment parce qu’elle ne nécessite pas 10 dimensions pour exister.

Alors, aura-t-on un jour à notre disposition cette « théorie du tout » ? Le scientifique s’interroge. « Toutes ces recherches sont intellectuellement très enrichissantes et méritent d’être poursuivies. Mais nous n’avons bien sûr aucune garantie de résultat. Et puis, qu’est-ce qui nous dit qu’il n’y a pas d’autres interactions fondamentales (voir encadré) qui ne nous sont pas encore connues et nous ouvriraient alors des perspectives totalement inédites, encore plus excitantes que la théorie des cordes ? »