enseignant primaire

© Petro Feketa – Fotolia

Benjamin, 37 ans, et Lucie *, 40 ans, veulent plus que tout devenir enseignants. Après avoir préparé le concours de recrutement de professeurs des écoles (CRPE), ils l’ont obtenu, mais sont inscrits sur liste complémentaire (1). Depuis juin, comme 650 autres profs en herbe, ils attendent d’être appelés afin d’occuper l’un des très nombreux postes restés vacants dans les écoles primaires.

Dans un contexte marqué par une crise importante du recrutement et une pénurie d’enseignants, “dans de nombreuses académies, on recrute des contractuels, parfois à partir de Bac +2. Pendant ce temps, nous restons sur liste complémentaire, alors que nous sommes pour la plupart d’entre nous, formés”, déplore Benjamin.

Cet ex-éducateur de centres de vacances a repris ses études il y a deux ans. Après avoir obtenu un master 2 MEEF, et après avoir réalisé des stages dans des écoles, il s’est retrouvé sur liste complémentaire. “J’ai beaucoup espéré être appelé. Je suis prêt à faire cours. Tellement que j’envisage de partir dans le privé si rien ne bouge”, indique-t-il. Jusqu’en avril, il est susceptible d’être appelé par l’Éducation nationale. D’ici là, il a repris une activité salariée, et prépare à nouveau le CRPE – “une nouvelle préparation à un concours exigeant, qui se révèle usante, à force”.

“Je suis très agacée d’avoir à repasser un concours que j’ai déjà eu”

Lucie travaillait autrefois dans le marketing, avant d’entamer une reconversion professionnelle. “Je repasserai le CRPE, car j’ai vraiment envie de devenir enseignante. Mais je suis très agacée par le fait de devoir repasser un concours que j’ai déjà eu, et pour lequel je me suis donnée à fond… Sachant que des postes sont vacants”, lance-t-elle, sur un ton las. La tête à nouveau plongée dans les manuels de pédagogie et de didactique, elle espère toujours être appelée, et ne cache pas non plus sa colère face au recrutement, par l’Education nationale, de contractuels (via Pôle Emploi). “Certaines personnes inscrites sur la liste complémentaire sont mêmes contactées pour occuper des postes de contractuels !”, s’indigne-t-elle. “Ayant passé et obtenu le concours, j’estime être prioritaire. Quel est l’intérêt d’avoir mis en place des listes complémentaires dans chaque académie, si elles ne sont pas utilisées pour combler les postes vacants et les très nombreuses démissions ?”

Ecole primaire en France, salle de classe / Licence CC Wikimedia / par Marianna

Ecole primaire en France / Licence CC Wikimedia / par Marianna

Lucie et Benjamin font partie d’un collectif sur Facebook, “Listes complémentaires 2017”, qui regroupe à ce jour quelque 230 lauréats du CRPE sur liste d’attente. “Nous éprouvons tous un fort sentiment d’injustice, en voyant que l’on embauche des contractuels non formés, plutôt que nous, alors que c’est une obligation légale”, expliquent-ils. Ainsi, l’article 3 de la loi du 13 juillet 1983, du statut général de la Fonction publique, impose le recours à la liste complémentaire pour occuper les postes civils permanents de l’Etat restés vacants. « Mais rien n’est fait, ce qui est inadmissible », dénonce Lucie.

“La loi permet aussi de mettre en place un report de formation d’un an. Le ministère pourrait très bien nous rendre à temps plein cette année, et nous mettre l’an prochain, à partir de septembre, à mi-temps à l’ESPE et à mi-temps en classe – comme cela s’est fait l’année dernière dans les académies de Toulouse et de Montpellier”, remarque Benjamin. Pour lui, le recours aux contractuels ne devrait être envisagé qu’après l’épuisement des listes complémentaires.

Refus du gouvernement, pour “raisons budgétaires”

“Faire appel aux listes complémentaires peut aussi éviter de mettre en grande difficulté des personnels contractuels qui aspirent à devenir enseignants fonctionnaires d’Etat, et qui donc doivent passer le CRPE. En effet, comment préparer un concours exigeant tout en faisant face à la charge de travail d’un enseignant débutant à plein temps ?”, questionne le groupe “Listes complémentaires”. Soutenu par les syndicats (SNUIPP FSU, SNUDI FO, SE UNSA, CGT Educ’action, Sud Éducation, SGEN CFDT) et plusieurs députés et sénateurs, le groupe n’a pour l’heure plus aucune nouvelle de l’Education nationale. “On nous a juste répondu que les listes complémentaires ne seraient pas plus sollicitées, pour des raisons d’équité devant la formation (vis-à-vis de nos jeunes collègues, le ministère craint que nous démarrions le reste de notre formation trop tard), mais aussi pour des raisons budgétaires invoquées par le ministère de l’Économie”, indique Benjamin.

école primaire rythmes scolaires

Monkey Business Images – Shutterstock

La loi permet aux académies d’ouvrir en théorie les listes complémentaires jusqu’en avril. “Mais on ne sait pas ce que feront l’Education nationale et Bercy ; notamment dans un contexte où les effectifs auront toujours plus besoin d’être renforcés avec le dédoublement des classes de CP-CE1…”, ajoute l’aspirant enseignant, qui remarque, maussade, “que recruter des contractuels, avec un statut précaire, évite d’embaucher des fonctionnaires d’Etat”. Pour rappel, l’ambition d’Emmanuel Macron reste de supprimer 120.000 postes de fonctionnaires.

“Alors que les démissions de professeurs des écoles sont nombreuses, certains cherchent à entrer dans l’Education nationale, et se sentent prêts à enseigner. Si on ne les laisse pas le faire, il y aura forcément des retombées sur le bien-être et l’épanouissement dans les apprentissages des élèves, qui manquent actuellement de profs formés”, conclut, amère, Lucie.

 

* Les prénoms ont été modifiés, à la demande des personnes interviewées.