
Jocelyne Grousset © Europe 1
Comment se porte la médecine scolaire en France en 2017 ?
Elle se porte mal, puisque les effectifs de médecins de l’Éducation nationale continuent de diminuer. Nous estimons que nous avons fait cette rentrée scolaire avec moins de 900 médecins.
Bien que le ministère reconnaisse une diminution continue des effectifs depuis 2006, il y a un vrai paradoxe : les missions confiées aux médecins, confirmées par la loi de refondation de l’École, restent nombreuses et importantes. Cela va des visites médicales obligatoires à l’attention portée à un public spécifique comme le handicap, les maladies chroniques, et puis des engagements sur la promotion de la santé que semble avoir renouvelés le nouveau gouvernement.
Comment expliquez vous la pénurie de médecins scolaire ?
Cette pénurie s’explique majoritairement par un problème d’attractivité du métier. Attractivité au sens large : il y a la rémunération mais aussi la considération de l’institution pour les médecins. Par exemple, quand on est médecin de l’Éducation nationale, on doit passer un concours, suivre une formation spécifique, mais une fois que vous avez intégré l’Éducation nationale, vous êtes considéré comme n’ayant aucune spécialité. Le ministère ne prend pas en compte nos spécificités alors que c’est un véritable vivier.
La rémunération est un point clé car elle bloque la carrière des titulaires : ce sont les médecins les moins bien payés de la fonction publique ! Cela bloque aussi l’emploi des contractuels, puisque l’on calcule le salaire des contractuels sur la même grille. Les internes apprécient beaucoup de venir dans nos services, mais ensuite ils ne restent pas et choisissent une activité mieux rémunérée. Le précédent gouvernement s’était engagé à faire des choses. Or, au dernier moment il a toujours reculé.
Un article du Monde fait état d’une pénurie très préoccupante en Seine-Saint-Denis. Des organisations menaçaient de saisir la justice, qu’en est-il aujourd’hui ?
Effectivement, il y a près de 60% de postes vacants en Seine-Saint-Denis. C’est énorme, alors que c’est une population défavorisée qui accède difficilement aux soins. Les parents d’élèves se sont mobilisés pour un recours collectif en justice pour la non-réalisation de certaines visites médicales.
De nombreux parents d’élèves se mobilisent sur ce sujet, et le défenseur des droits a également été sollicité, et pas seulement en Seine-Saint-Denis.
Quand un enfant ne bénéficie d’aucun dépistage et que 2 ou 3 ans après, on découvre qu’il souffre de grosses difficultés scolaires liées à un trouble qui aurait pu être dépisté et corrigé quelques années auparavant, je comprends la colère des parents.
Le ministre de l’Education nationale a annoncé récemment la mobilisation de médecins non scolaires pour pallier la pénurie. Quelle est votre réaction face à cette décision ?

médecin scolaire © JPC-PROD – Fotolia
Les médecins généralistes savent que les examens médicaux que nous réalisons sont longs, ils sont en capacité de les faire, mais pour eux qui sont déjà très sollicités, c’est une charge de travail supplémentaire. Nous sommes favorables à ce que les visites médiales soient effectuées par des médecins généralistes ou des pédiatres, si les familles en consultent un. S’il n’y a pas de difficultés scolaires, il n’y a aucune raison que le médecin scolaire intervienne. Mais ce n’est pas ce qui se passe actuellement : il n’y a aucune organisation. La part de la médecine libérale dans cet examen est de moins de 1%, et nous en réalisons environ 10%. Pour pallier les 90% restants, il faudrait une très forte mobilisation des autres médecins.
Il s’agit de 800 000 visites que la médecine générale n’est pas en capacité de réaliser à l’heure actuelle. Ces médecins ont les compétences pour effectuer ces examens, mais je crains qu’ils n’en aient pas les moyens.
Que diriez-vous au ministre de l’Éducation nationale si vous deviez le rencontrer ?
Nous avons rencontré son cabinet en juillet, nous lui avons fait part de nos inquiétudes et de notre préoccupation principale, qui est la santé des élèves. Nous avons fait des propositions. On nous a répondu qu’il y aurait des annonces courant octobre. Nous sommes mi-novembre et rien n’a été annoncé. Ce silence est inquiétant, car l’inaction fera que notre corps va disparaître.
Redoutez-vous la disparition de la médecine scolaire ?
Nous redoutons surtout la disparition d’un savoir-faire. Être médecin de l’Education nationale est le fruit de nombreuses formations sur différentes disciplines. C’est un paradoxe, car les progrès sur les troubles des apprentissages ont été majeurs ces dernières années. Il n’est pas acceptable que les enfants ne puissent bénéficier de ces avancées, d’un diagnostic précoce. 80% de nos collègues se sont formés à ces problématiques, et cette expertise disparaîtra, car il n’y a pas eu de relève depuis 2006 et que nous sommes un corps vieillissant.
Que diriez-vous à un jeune étudiant en médecine qui serait tenté par la médecine scolaire ?
Les convaincre, c’est leur faire prendre conscience de la richesse de ce métier. Ce n’est pas une difficulté de leur montrer au quotidien que c’est un métier passionnant. L’idée est de transmettre des connaissances aux jeunes, de façon à ce qu’elles ne disparaissent pas et que les élèves et leurs familles puissent encore bénéficier de cette expertise.
Quels sont les combats au quotidien du SNMSU ?
Nous nous battons majoritairement pour une revalorisation et une réorganisation d’une véritable politique de santé. Nous pensons que même avec 900 médecins de l‘Éducation nationale, on pourrait répondre aux besoins des élèves si les interventions de santé à l’école reposaient sur une organisation pluriprofessionnelle coordonnée. On a parlé des médecins généralistes, mais dans l’Éducation nationale il y a également 8000 infirmières, majoritairement centrées sur le second degré. L’idée serait de travailler plus en partenariat, d’avoir des vrais outils de suivi qui ne sont pas propres à l’Education nationale. Par exemple, si l’informatisation des dossiers médicaux existait, le médecin pourrait enregistrer de nombreuses informations lorsqu’une visite médicale est réalisée, qui seraient visibles par le médecin généraliste, l’infirmier(ère). Pour l’instant, nous travaillons toujours avec un crayon de papier à l’Education nationale !
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