20171107_232640Prof de maths en collège et en lycée à Alès (30), Stéphane Guyon est intervenu lors du CLICx / Ludovia, événement dédié à la classe inversée organisé par Inversons la Classe, en août 2017 à Ax-les-Thermes. Il revient avec nous sur la pédagogie qu’il a mise en place dans sa classe, et qui mêle “flipped classroom” et évaluation par compétences.

Pourquoi évaluez-vous par compétences ? Est-ce lié à la pratique de la classe inversée ?

Prof depuis une vingtaine d’années, j’évalue par compétences depuis 7 ans, bien avant de basculer dans la flipped classroom : après une pratique “traditionnelle”, j’ai en effet commencé par changer ma façon d’évaluer, puis par utiliser de plus en plus de capsules vidéos, jusqu’à me lancer dans la classe inversée il y a deux ans. C’est en fait l’évaluation par compétences qui m’a amené à la pédagogie inversée.

Pourquoi avoir décidé d’évaluer différemment ?

Je suis enseignant de maths, une matière qui a la réputation d’être élitiste, avec beaucoup de technicité, et dans laquelle de nombreux élèves sont en difficulté. Durant mes dix premières années, j’étais effondré face à des élèves qui pleuraient lorsqu’ils avaient de mauvaises notes et des lacunes qu’ils n’arrivaient pas à surmonter. Je trouvais que le système de notation traditionnel était dans ce sens dramatique. Je n’étais pas devenu prof pour faire pleurer des ados !

J’ai donc cherché à évaluer d’une façon alternative. L’approche par compétences permet d’évaluer les élèves d’une façon beaucoup moins brutale, et de leur permettre de se remédier – l’idée n’est pas de leur donner une bonne ou une mauvaise note, mais de pointer des savoir-faire ponctuels qu’ils ne maîtrisent pas, et de leur permettre de les retravailler, sans stigmatisation.

Comment fonctionne concrètement cette évaluation par compétences ?

L’évaluation par compétences permet de pointer des lacunes chez un élève, sur lesquelles il pourra être réévalué plus tard. J’utilise pour cela SACoche, un logiciel libre et gratuit, qui permet d’élaborer des grilles d’items (ou référentiels), d’évaluer sur ceux-ci avec des symboles colorés, et de déterminer des degrés d’acquisition pour chaque item.

Mon objectif n’est pas de hiérarchiser et de classer les élèves. Je suis en guerre contre la notation sur 20, trop globalisante, imprécise et anti-pédagogique. Elle ne permet pas d’évaluer les compétences d’un élève, car elle peut recouvrir des réalités et des profils très différents (un élève peut être en retard, et avoir 8 le lundi puis 11 le jeudi). Les études de docimologie (discipline qui étudie la façon dont sont attribuées les notes par les correcteurs lors des examens scolaires) montrent aussi que la note est très subjective.

La classe inversée permet aux élèves de Stéphane Guyon de travailler en autonomie, et en groupe.

La classe inversée permet aux élèves de Stéphane Guyon de travailler en autonomie, et en groupe.

Le mode d’évaluation que j’ai adopté est basé sur un “contrat de confiance” : les élèves sont au courant de la date du contrôle, et savent sur quels exercices et activités il portera. Cela permet de rassurer et de motiver les élèves travailleurs : ils savent ce qu’il faut réviser, et on est loin du prof qui se fait plaisir en évaluation en mettant des exercices ésotériques trouvés dans des bouquins qu’il n’a jamais traités.

Le système des points Lomer que j’utilise repose sur une gradation de 1 à 4, avec un code couleur (du rouge au vert). Au lieu d’une note globale qui donne une illusion de précision, cette méthode me permet de positionner l’élève face à des savoirs précis et de cartographier des compétences non assimilées, à revoir.

Comment en êtes-vous venu à pratiquer la classe inversée ? Qu’a-t-elle apporté ?

Malgré l’évaluation par compétences qui me permettait d’effectuer une remédiation, j’étais insatisfait : face à des classes de 30 élèves, donner la même soupe à tout le monde n’est pas possible. Je voulais revoir ma pédagogie, donner un travail différencié et permettre à chacun d’avancer à son rythme – contrairement aux cours “traditionnels” durant lesquels le prof bat le rythme et où chaque élève doit marcher à la même vitesse, quel que soit son niveau.

Lors du premier CLIC, la conférence dédiée à la flipped classroom organisée en 2015, j’ai rencontré un collègue de l’académie de Créteil, Geoffroy Laboudigue, qui avait eu une approche symétrique : il avait commencé par la classe inversée, avant de changer son évaluation. Son intervention lors du CLIC m’a convaincu de l’intérêt de cette méthode, qui me permettait de mettre en place une vraie différenciation.

J’ai changé totalement ma façon de travailler, et désormais, j’allie classe inversée et évaluation par compétences. Je n’ai plus de cours frontal : mes élèves font le cours à la maison à partir de capsules vidéos et de textes à trous, puis en classe, ils partent d’un plan de travail (avec des exercices et des thèmes à traiter) et effectuent des travaux de groupes, durant lesquels ils ne font pas tous le même travail et s’entraident.

Ce qui est vu à la maison me permet de gagner du temps pour pratiquer des activités durant lesquelles les élèves sont autonomes, et travaillent eux-mêmes. En outre, dès deux ou trois cours, j’ai déjà un avis sur la progression de chaque élève : traditionnellement, on peut faire cours pendant des semaines avant de détecter les jeunes en difficulté, alors qu’avec la classe inversée, dans la fosse au lieu d’être sur scène, je peux les repérer bien plus vite. Après une heure de cours, je me suis assis à côté de chacun.

Il faut apprendre à apprendre, et nous le faisons collectivement assez mal. L’évaluation par compétences, qui offre un droit à l’erreur et favorise la remédiation, est un outil qui va dans cette direction. La pédagogie inversée complète cette approche, en rendant les élèves acteurs de leur apprentissage. Les deux vont de pair, afin de permettre une remédiation et une vraie différenciation.

Quel bilan tirez-vous de votre expérience avec la classe inversée ?

Les enseignants voulant se lancer doivent savoir que cette méthode pédagogique n’est pas facile à mettre en place. Certains élèves “scolaires” ont un mode de fonctionnement “traditionnel”, axé sur les notes sur 20 et le cours magistral : ils peuvent être perturbés face à un enseignant faisant tout à l’envers. Bouleverser leurs habitudes se fait progressivement, et le professeur doit rester souple et bienveillant. Le travail de groupe ne s’improvise pas non plus. Travailler ensemble n’est pas habituel dans notre culture, c’est même plutôt mal vu. L’enseignant devra donc aussi apprendre aux élèves à changer de méthodologie.

En règle générale, je suis très satisfait de ma pédagogie inversée : mes élèves sont autonomes, plus actifs en classe. Ils ont davantage confiance en eux, et il existe une synergie dans la classe. De mon côté, je me sens bien plus proche d’eux, plus à leur écoute – et je peux vraiment m’occuper de mon cœur de métier : la pédagogie, avant le savoir brut.