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Anthony, professeur de lettres-histoire-géo en lycée professionnel dans l’académie de Versailles :

« J’ai fait le choix très tôt d’enseigner en lycée pro. Jamais je n’ai regretté ce choix en 9 ans de carrière. Mais deux problèmes viennent assombrir ce tableau. On continue souvent à privilégier l’apprentissage plutôt que le lycée pro. Si beaucoup d’élèves ne sont pas faits pour la voie générale, ils ne sont pas tous prêts à la violence de l’entrée dans le monde du travail dès la sortie de 3ème ! De plus, comment transmettre les valeurs républicaines en apprentissage, avec si peu d’heures d’enseignement général ? Deuxième ombre au tableau : les stéréotypes dans l’orientation. Les filières les plus féminisées conduisent aussi le plus au chômage. Un véritable service d’orientation est nécessaire afin de lutter contre ces stéréotypes dans les milieux qui, en lycée pro, sont souvent les plus populaires. »

Par manque de formation, les PLP se retrouvent démunis face aux enfants atteints de troubles dys

Jérôme, professeur de maths-sciences en lycée professionnel dans l’académie de Lyon :

« Tout d’abord, les élèves redoublants qui se retrouvent en surnuméraire est l’une des principales difficultés. En effet, un décret a inscrit dans le code de l’éducation le « droit au redoublement au sein de l’établissement d’origine ». Cela entraîne que les lycées professionnels doivent être en capacité d’accueillir tous les élèves qui demandent à redoubler suite à leur échec au baccalauréat professionnel. Seulement, il faut dans ce cas-là anticiper la gestion de la dotation horaire globale afin qu’en début d’année il n’y ait pas de problème au niveau des emplois du temps et du nombre d’heures dédoublées. Par ailleurs, l’autre point à mettre en exergue, c’est l’école inclusive ! Les lycées professionnels accueillent des enfants ayant de plus en plus de troubles « dys ». Les enseignants se retrouvent démunis face à ces enfants puisqu’aucune formation ne leur est fournie… Enfin, le dernier point, c’est la non-motivation de certains élèves suite au choix du logiciel d’affectation Affelnet. Même si la possibilité de changer de voie est possible jusqu’aux vacances d’octobre, peu d’élèves et d’établissements le font ! Nous nous retrouvons donc avec des élèves qui vont poursuivre leurs études jusqu’au bac, l’auront sans doute mais n’auront pas brillé pour accéder aux études supérieures ! »

Nous sommes la dernière chance de beaucoup d’élèves qui n’ont plus foi en eux

Marie-Anne, professeure d’économie-gestion en lycée professionnel dans l’académie de Poitiers :

bac pro

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« Il ne faut pas se mentir, 90 % de nos élèves ne choisissent pas réellement une filière professionnelle. Ils se retrouvent en filière professionnelle car on les pousse doucement vers cette “voie de garage” pour ne pas totalement arrêter les études ou ne pas sortir du système scolaire sans le moindre diplôme… En tant que PLP, nous sommes aussi confrontés au décrochage scolaire. Forts de ce manque de confiance en eux, nos élèves décrochent ‘au pire’, ou n’arrivent pas à trouver une réelle motivation au ‘mieux’. Comment dans ces conditions pouvons-nous leur redonner confiance en eux et surtout ne pas les perdre ? Le bac professionnel a évolué en passant sur un cursus de 3 ans. Et il faut bien l’avouer, cela n’a pas vraiment eu l’effet escompté. L’idée était sans doute intéressante mais nous sommes nombreux à regretter l’époque du BEP en deux ans suivi du bac en deux ans. Cela permettait à ces jeunes de mûrir leur projet, de gagner en maturité, de reprendre confiance en eux. Les entreprises avec lesquelles nous travaillons nous le disent également. C’est très compliqué d’accueillir en entreprise des jeunes qui ont tout juste 15 ans… D’où une difficulté encore plus angoissante pour les PLP : que vont devenir les lycées pros avec cette annonce ou ces bruits de couloir qui voudraient en faire des centres d’apprentissage ? Je n’ai strictement rien contre l’apprentissage, bien au contraire. J’ai commencé à enseigner en CFA et j’ai pu constater que les apprentis sont souvent plus matures que nos élèves de lycée professionnel, plus impliqués. Etre apprenti, c’est un rythme de travail soutenu mélangeant cours et vie en entreprise. Mes élèves de lycée professionnel ont déjà tellement de mal à trouver leur stage car rédiger un CV et une lettre de motivation, effectuer des recherches, se présenter à un entretien sont déjà des tâches insurmontables ! Mais trouver un maître d’apprentissage, pour certains, cela relève de la mission impossible ! Malgré tout, et même si nous sommes très critiqués, décriés voire parfois rabaissés, je crois sincèrement que nous sommes la dernière chance de beaucoup d’élèves qui n’ont plus foi en eux, qui sont prêts à décrocher, et contre toutes ces difficultés, j’ai envie de continuer à me battre ! »

L’enseignement professionnel souffre de la concurrence de l’apprentissage

Henri, professeur de lettres-histoire en lycée professionnel dans l’académie de Créteil :

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« Enseigner en lycée professionnel a son lot de difficultés. D’abord, trop souvent les élèves ont été orientés sans que leurs choix ne soient respectés ; on leur demande à 15-16 ans de s’engager dans une voie professionnelle, destinée à certains métiers, qu’ils ne souhaitent pas faire, qui ne les intéressent pas. Comment motiver des élèves qui pensent à cet âge-là qu’ils seront obligés de faire un métier qui ne les passionne pas ? Sachant qu’en plus on leur reproche leur indécision. Quel enseignant, quel patron, quelle personne bien insérée socialement savait à cet âge ce qu’il souhaitait faire ? L’enseignement professionnel est aussi mal vu et souffre de la concurrence de l’apprentissage. Ces filières-là, rémunératrices, choisissent leurs élèves et disposent de moyens importants des régions, des chambres consulaires. Comment intéresser et attirer les meilleurs élèves ? Je considère que l’enseignement professionnel peut être une voie d’avenir, avec des enseignants qui forment des citoyens et des jeunes à des métiers et non à des postes de travail. Par contre, le fait qu’il soit conçu comme une voie de garage vers laquelle on envoie les jeunes en échec scolaire fatigue beaucoup d’enseignants. Paradoxalement, le lycée professionnel réussit bien souvent à rattraper les tares du collège ou de l’école primaire alors qu’il est vu comme la sanction pour ceux qui n’ont pas réussi. Enfin, au niveau régional et académique les matières générales sont vues comme des sous-disciplines par les autorités diverses. La conséquence ? Moins de moyens pour réussir, moins de dotations, quasiment aucune subvention spécifique. Les nouveaux inspecteurs ont compris le besoin de changer cela mais c’est encore insuffisant. Pendant 15 ans, les seules formations qui m’ont été proposées tournaient autour des méthodes d’enseignement pour les jeunes enseignants ou sur la lecture du référentiel. Au lycée général, parallèlement, on proposait aussi aux collègues des conférences épistémologiques, ou des formations plus ouvertes sur la recherche scientifique dans nos matières. Nous, on n’était pas jugés dignes. Cela change depuis deux ou trois ans mais très et trop, lentement.  »

Une année scolaire qui commence difficilement, faute de professeurs

Stéphane, professeur de maintenance des équipements industriels en lycée professionnel dans l’académie d’Orléans-Tours :

enseignement professionnel

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« Cette année scolaire commence difficilement puisque depuis la rentrée l’équivalent de deux postes manque en chaudronnerie, en électrotechnique et en maintenance, faute de professeurs. Les élèves ne bénéficient donc pas d’heures de cours dans les disciplines pour lesquelles ils se sont orientés en lycée professionnel. Ils se sentent déconsidérés et se retrouvent désœuvrés, moins attentifs et moins sérieux dans les cours restants.
Cela entraîne pour nous, professeur, une fatigue nerveuse supplémentaire et inhabituelle seulement quelques semaines après la rentrée. L’insuffisance de moyens dégrade l’accueil et la prise en charge des élèves. Elle dégrade également les conditions de travail de tous les personnels. Face à ce manque d’enseignants l’institution s’avoue elle-même désœuvrée par le manque de titulaires mais aussi de contractuels. Cela illustre bien le manque de reconnaissance de notre travail. »

En tant que PLP, je me sens mal-aimé…

David, professeur de lettres-histoire en lycée professionnel dans l’académie d’Amiens :

élève sur ordinateur

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« En tant que PLP, je rencontre comme mes collègues, toute une série de difficultés au quotidien. En voici une brève liste :
-Un climat de violence. J’enseigne dans un lycée au cœur d’une cité, dans un secteur classé en zone « violence ». Les tensions entre élèves sont permanentes. Deux collègues ont également été « bousculés » en séparant des lycéens (en septembre). Parfois, des jeunes venus des différents quartiers de l’agglomération se réunissent devant notre établissement pour des conflits qui sortent du cadre scolaire….
-Combattre les « codes » de la cité. En classe, en tant que professeur de français, je me bats au quotidien contre les codes et le langage de la « cité » : le tutoiement, les élèves qui m’appellent « mon frère » (souvent !), les insultes qui se banalisent, etc. J’ai des classes difficiles mais sans méchanceté. Ce langage familier est le seul maîtrisé dans mes classes, où la maîtrise de la langue française est très imparfaite. 80% de mes élèves sont issus de la diversité et certains allophones. Inscrits en bac pro, ils sont parfois dans l’incapacité de produire un raisonnement écrit. L’oralité est très présente. Certains élèves sont incapables d’écrire à la première personne du singulier. Ils privilégient la deuxième personne (« tu vois », « tu sais »,…). Le décalage est abyssal entre leur niveau et celui attendu en bac pro.
-Subir l’indifférence de l’institution. En tant que PLP, je me sens mal-aimé (sentiment partagé par de nombreux collègues). L’Éducation nationale n’aime pas ses professeurs de lycée professionnel. Cela commence très tôt à l’ESPE où l’on fait la distinction entre certifiés, agrégés et PLP (hors un PLP est également certifié !) et où les formateurs méconnaissent les publics de LP.  Cela se ressent également au niveau du ministère : ainsi on annonce une réforme de la Seconde professionnelle qui entrerait en vigueur à la rentrée 2018… sans aucune concertation avec les personnels concernés.
Il y a par ailleurs une réelle inquiétude concernant l’avenir. Le gouvernement envisagerait de confier aux régions la gestion des LP. Dans ce cas, quid des PLP ? Je ne souhaite pas devenir fonctionnaire territorial. Si j’ai choisi de rejoindre l’Éducation nationale, c’est que j’accorde une importance particulière au service de l’État, de la République et de ses institutions.
Ces incertitudes concernant l’avenir ont une conséquence. J’envisage de passer le CAPES en interne pour retrouver l’enseignement général.  Ce projet est lié à ce climat d’incertitude et non au public difficile mais attachant du LP. »

Beaucoup de tâches supplémentaires pour les PLP mais qui n’apportent pas grand-chose !

Axel, professeur de maths-sciences en lycée professionnel dans l’académie de Rennes :

mesures éducation 2017

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« L’Éducation nationale multiplie les outils numériques pour le suivi des élèves. Sur le papier cela semble formidable mais c’est sans compter les pannes de réseaux, les connexions impossibles, le matériel vieillissant, etc. Au final, beaucoup de tâches supplémentaires pour nous mais qui n’apportent que peu d’informations aux élèves et aux familles.
Professeur principal, coordinateur de discipline, référent pour le suivi des stages sont des missions toujours plus nombreuses se résumant à de l’administratif. Mais c’est surtout du temps pris sur les cours et leur préparation.
Les élèves de 1ère année sont de plus en plus jeunes et se trouvent en difficultés face à la recherche d’un lieu de stage : trop jeunes, inexpérimentés ou habitant au mauvais endroit… Nous sommes alors considérés comme responsables alors que nous n’avons pas seuls la réponse. »