Antoine Prost, historien spécialiste de l'éducation

Antoine Prost, historien spécialiste de l’éducation

Vous avez signé le 10 octobre une tribune dans Le Figaro appelant les maires à refuser la semaine de 4 jours. Pourquoi ?

L’un des principaux problèmes que pose la semaine de 4 jours, c’est qu’elle laisse penser que toutes les heures se valent. Or raisonner ainsi c’est ne pas tenir compte des capacités d’apprentissage des enfants. Remplacer le mercredi matin par des heures de fin de journée c’est oublier qu’ils apprennent mieux le matin. On remplace donc des heures propices à l’apprentissage par des heures où les enfants sont fatigués et n’apprennent plus. Dans les faits, cela revient à diminuer le temps d’enseignement. Et nous n’en avons pas besoin.

Etes-vous aussi pour la réduction des vacances scolaires ?

Absolument, et pour faire un peu de provocation j’irais même jusqu’à dire que je suis pour la semaine des quatre jours, à condition qu’on enlève un mois de vacances scolaires. Il faut être cohérent : si on tient absolument à ne faire que 4 jours, pourquoi la seule solution serait-elle de rallonger les journées ?

S’il n’y a aucun avantage pédagogique à maintenir la semaine de quatre jours, pourquoi la pratique-t-on toujours ?

Parce que, pour les enseignants, venir travailler cinq fois par semaine c’est très contraignant socialement. Prenons l’exemple de la région parisienne : le salaire d’un professeur des écoles ne permet plus d’y habiter, il est donc soumis à la migration pendulaire et passe deux heures dans les transports. C’est un vrai problème! Mais ce sont les intérêts des enseignants qui sont entendus avant tout avec cette possibilité de retour à la semaine de quatre jours, pas ceux des enfants. Ma position est de dire que, malgré tout, l’Etat doit prendre ses responsabilités et imposer les 4,5 jours.

Comment expliquer qu’au contraire l’Etat se désengage sur cette question en laissant le choix aux maires ?

Je ne l’explique pas, mais je le constate. Et le déplore. Autoriser des semaines de 4 jours et d’autres de 4,5, c’est instaurer une inégalité entre les élèves. Or l’égalité entre les citoyens étant un grand principe constitutionnel, j’irais jusqu’à dire que cette mesure est antidémocratique.

Les élèves qui iront dans une école qui pratique la semaine de quatre jours seront donc défavorisés?

C’est plus compliqué que cela. Les classes favorisées ne souffrent pas de la semaine de quatre jours. Dans leurs milieux sociaux, leurs enfants ne cessent d’apprendre. Ils apprennent avec les copains, ils apprennent à table, où l’on parle de sujets variés, avec un vocabulaire riche. Mais ce n’est pas le cas pour les familles défavorisées, pour elles, pas d’école le mercredi cela signifie les gamins plus longtemps dans la rue. Cela n’a rien de nouveau, au début du siècle il y en avait déjà beaucoup, mais ils y étaient moins longtemps parce qu’ils avaient école tous les jours sauf le jeudi et le dimanche.

Depuis le début du siècle, on assiste donc à une réduction du temps scolaire ?

Globalement oui, de 1960 à aujourd’hui on est passé de 30h à 24h d’école par semaine. On a donc enlevé un cinquième du temps scolaire. A titre comparatif, comme l’école primaire dure cinq ans, c’est comme si on faisait, en 2017, le programme des années 1960 en un an de moins. Les élèves d’aujourd’hui ont tous sauté une classe. A cela s’ajoute le fait que leurs enseignements se sont diversifiés : langues vivantes, code de la route… Je ne le déplore pas, mais il faut arrêter de faire croire aux gens que l’on peut faire plus avec moins. A ce rythme-là nous sommes simplement en train de préparer des générations d’analphabètes.