wp_20171017_22_53_11_proRaymond-Philippe Garry, ancien professeur d’université en chimie, a été le directeur de l’IUFM d’Auvergne (1995-2005) et président de la Conférence des Directeurs d’IUFM (CDIUFM), de 2002 à 2004. Aujourd’hui vice-président du Réseau international Francophone de Établissements de Formation de Formateurs (RIFEFF), il souhaite, avec trois autres ex-présidents de la CDIUFM, interpeller le gouvernement sur les “évolutions souhaitables” de la formation des enseignants en France.

Pour vous, enseigner est un métier qui s’apprend… Mais comment ? Avec des stages, à travers un enseignement disciplinaire, ou lors d’une formation à la pédagogie ?

Je ne crois pas du tout à la querelle entretenue entre les “pédagos” et les “disciplinaires”, qui a fait tant de mal à notre système de formation, et qui est du niveau de la cour de récréation et des règlements de compte politiques. Comparons la formation des profs avec celle des ingénieurs ou des médecins. Qui conteste que, dans ces deux métiers, à côté d’une formation théorique de haut niveau s’ajoutent des stages de pratique, et que c’est l’ensemble de cette formation qui permet à la France d’avoir des ingénieurs et des médecins de grande qualité ?

Quand on vous dit que si vous êtes bon en maths, vous serez un bon prof de maths, c’est vrai dans 70% des cas. Dans les 30% restants, c’est une catastrophe. Il s’agit souvent de bons chercheurs, mais incapables d’organiser un cours et de faire passer un message. Il faut du terrain, certes. Mais le “compagnonnage” ne fait pas tout : seuls des aller-retour entre la pratique et le théorique, entre l’ESPE et l’école, permettront de former de bons enseignants.

Selon une récente étude, beaucoup d’enseignants débutants se découragent vite… Leur formation y est-elle pour quelque chose ?

Il faut tenir compte de la peur souvent déclarée des stagiaires pour prendre la responsabilité de la classe, gérer des difficultés scolaires et l’hétérogénéité des situations… Sont-ils plus fragiles que les enseignants d’autrefois, ou juste plus conscients des difficultés ? La formation doit prendre en charge cette inquiétude.

Avec notre système actuel, qui ne prépare pas assez les futurs profs, nous sommes en train de décourager des étudiants de se lancer dans une carrière d’enseignant. De plus en plus de postes restent vacants dans le primaire (500 en 2017) et le secondaire, et pour régler la situation, on embauche des contractuels, sans formation…

Faudrait-il revoir les concours de recrutement ?

La première des solutions pour rendre le métier attractif, c’est de mettre en place une formation claire, avec des concours de recrutement dont les règles seraient bien définies. À l’heure actuelle, elles ne le sont pas. Le concours actuel est mal placé dans le cursus de formation – la fin du M1. La place et la nature du concours de recrutement situé au cours de la première année de master induit une année de bachotage pour des épreuves disciplinaires. Cela conduit ensuite à une surcharge de travail en deuxième année, alors que les stagiaires sont en charge d’un demi-service en établissement et doivent présenter un mémoire. Résultat, les professeurs-stagiaires des écoles considèrent qu’ils travaillent environ 49 heures par semaine, et 70% d’entre eux se disent débordés.

Ce mode de recrutement est catastrophique et a pour conséquence une entrée dans le métier d’enseignant dans des conditions difficiles, qui se concrétise par des démissions dans des pourcentages non négligeables durant les premières années d’exercice (15 à 20 %).

ESPE Clermont-Auvergne

ESPE Clermont-Auvergne

L’idée, ce serait de ramener ce concours en L3, ou plutôt en fin de MEEF ?

Deux façons de voir sont possibles, une fois que l’on oublie le concours en M1. La première solution serait de mettre en place un concours en sortie de licence – avec un système de recrutement que l’on pourrait comparer à celui des écoles d’ingénieurs : l’admission en école à bac+3, et un concours disciplinaire pouvant intégrer la connaissance de modules pré-professionnels. La formation se ferait lors des deux années de master en ESPE. Dans ce cas, le lien entre concours et rémunération immédiate dès l’entrée en formation professionnelle se poserait… or, l’on sait combien les vues du du ministère de l’Économie sont pilotées jusqu’à ce jour par des économies à court ou moyen terme, sans tenir compte du retour sur investissement.

La deuxième solution serait de créer, à la fin du MEEF, un concours qui serait régional pour tous, comme c’est le cas au niveau académique pour les profs des écoles, afin d’éviter, dans le secondaire, les transhumances habituelles du Sud au Nord et l’envoi dans des établissements difficiles et délocalisés, d’enseignants débutants.

Le recrutement pourrait se faire par un jury composé de chefs d’établissement et d’inspecteurs. C’est un changement complet de culture… Mais c’est le mode de fonctionnement de nombreux pays en Europe qui, dans l’ensemble ont de meilleurs résultats que nous. Il n’y a qu’en France que les chefs d’établissements ne peuvent pas recruter leurs enseignants, alors que ce serait tout à fait légitime.

La Cour des Comptes, de son côté, préconise une autre voie : un concours en deux temps, avec une admissibilité en fin de licence et une admission en fin de M1. Même si l’on peut considérer que, sous certaines conditions, ce pourrait être une petite amélioration de la situation actuelle, cela reste à mes yeux du bricolage, qui s’insère mal dans un parcours universitaire et professionnel européen, marqué par le LMD.

Le moment est propice pour mettre en place un système de formation et de recrutement réellement opérationnel et de qualité. Les deux choix précités (concours en fin de L3 ou de M2) ont leurs avantages et inconvénients, mais ils sont infiniment meilleurs que celui en cours. Il conviendra de les présenter avec toute la concertation nécessaire et sans doute, en parallèle, avec une revalorisation des carrières, afin que les enseignants français (mal payés) soient en phase avec leur homologues européens, tant dans la reconnaissance que dans l’attractivité du métier.

Que pensez-vous de l’idée d’un pré-recrutement ?

Notre pays est l’un des seuls en Europe à professionnaliser ses enseignants aussi tardivement. Le Ministère en a pris conscience, même modestement, en mettant en place des pré-recrutements dès l’année de L2 ou L3, avec la création des “étudiants Apprentis Professeurs”, les AEP,  qui suivent un cursus en alternance en contrepartie d’une rémunération sous contrat d’apprenti. C’est une bonne initiative, mais leur nombre de poste est faible (environ 1000), et l’on ne connaît pas encore la plus-value sur la réussite au concours. Il faut donc intensifier et continuer à développer cette piste.