Jacques Pelous, ancien professeur de physique à l’université, a dirigé l’IUFM de Montpellier de 1998-2005, a été membre de la commission nationale d’évaluation de la formation des maîtres (2006-2008), et vice-président de la conférence des directeurs d’IUFM (2002-2004). Avec trois autres ex-présidents de cet organisme, il souhaite interpeller le gouvernement sur les “évolutions souhaitables” de la formation des enseignants en France.
Quel est le problème avec la deuxième année de master MEEF ?
Le surmenage des étudiants. L’organisation du M2 est très compliquée pour diverses raisons. D’abord, il y a le problème de l’origine diverse des stagiaires – selon les disciplines ou les académies, plus de 30 % n’ont pas le M1 du MEEF, et peuvent avoir un M2 disciplinaire. Cette diversité conduit à des besoins différents, et à des propositions de formations plus individualisées.
Le deuxième problème, c’est l’affectation en stage. La gestion des lieux de stages est sous la responsabilité de l’employeur (le rectorat), avec de fortes contraintes pour leur affectation. Or, les stagiaires sont bien souvent considérés comme de simples « moyens d’enseignement ». Cela peut conduire à des lieux de stages très éloignés des lieux de formation, avec la difficulté de trouver des tuteurs de terrain compétents à proximité. Les stagiaires passent donc beaucoup de temps sur les routes et ne sont pas assez accompagnés.
Une autre difficulté concernant le M2 touche à la complexité du référentiel de compétences, très ambitieux, et donc difficile à atteindre. En M2, en parallèle avec le demi-service en responsabilité dans une ou plusieurs classes, le temps de formation doit poursuivre une multitude d’objectifs. Sur 4 pages, le référentiel de compétences liste un nombre impressionnant de compétences théoriques à acquérir pour exercer le métier d’enseignant, qui s’acquièrent au bout de nombreuses années, et que l’on est censé préparer au maximum en M2. Cela nécessite une multiplicité d’intervenants et d’unités de valeur (UV) pour obtenir le master MEEF… et cela fait beaucoup pour un seul stagiaire.
Comment diminuer ce surmenage ?
Si l’on conserve le concours en fin de M1, il faut réduire les exigences du M2 : on pourrait passer à 1/3 de service en responsabilité en M2. Cela constituerait un coût (par réduction des moyens d’enseignement) pour l’employeur, mais ce serait un bon moyen d’afficher la volonté d’accorder la priorité à la formation. Pour compenser la diminution du temps de stage en responsabilité, on pourrait introduire 1/3 de ce stage en M1. Cette formation, plus en alternance, a été expérimentée à Créteil et est prévue à titre expérimental dans 4 ou 5 ESPE.

Formation en allemand à l’IUFM de Strasbourg, 2011 / Coll. IUFM d’Alsace
L’autre solution serait de placer le concours à l’issue de la licence, avec ensuite 2 ans de formation et des stages plus étalés. La dernière extrémité serait de se passer du concours (national pour le secondaire, académique pour le primaire) en le supprimant. Mais en tout cas, il me semble impossible de rester éternellement avec un concours en fin de M1.
Il faudrait aussi, selon vous, donner une place différente au mémoire de master…
“On forme comme l’on a été formé” : cette formule résume la difficulté d’ouverture de la formation vers des modalités novatrices.
L’objectif est de former un “praticien réflexif” capable d’innovations, d’analyse, d’esprit critique et de recul par rapport à sa pratique. Les retours d’expériences, l’analyse de cas et de pratiques, nécessitent un état d’esprit différent et un accompagnement du mémoire, afin de ne pas se limiter à l’imitation d’un “bon” prof. Un “bon” enseignant n’est pas forcément un bon formateur, et le modèle du compagnonnage, qui consiste à regarder faire quelqu’un qui fait bien, n’est pas suffisant.
Les nouveaux profs doivent être dans une démarche d’adaptation à un environnement en mutation, marqué par les TICE… et les plus anciens ne sont pas forcément les mieux armés pour suivre ces évolutions. Les jeunes enseignants doivent être porteurs de l’innovation. Il faut donc les placer dans un nouvel état d’esprit : ils doivent comprendre qu’ils devront jouer un rôle dans l’innovation. Le mémoire peut jouer ce rôle. Or son importance n’est pas toujours bien perçue par les stagiaires, qui le considèrent plutôt comme un travail supplémentaire.
Doit-on aussi améliorer la formation des tuteurs ?
L’amélioration du rôle des tuteurs passe par une certification pour ces derniers, sur le modèle du CAFIPEMF existant pour les maîtres formateurs du premier degré. Aujourd’hui, le paradoxe est que les stagiaires ont un master et un niveau de qualification bien souvent supérieurs à celui d’enseignants formés il y a 30 ans. Il existe des masters spécifiques (1), avec validation d’acquis d’expérience et des UV adaptées pour tous les formateurs et tuteurs, que l’on devrait généraliser.
Une diversification dans les recrutements de tuteurs est aussi souhaitable. Il n’est pas toujours facile de trouver des tuteurs de proximité, car tous les enseignants ne sont pas prêts à le faire. Pour améliorer l’attractivité de la fonction de tuteur de proximité, le meilleur levier est sans doute un intéressement. Il existe déjà des primes, mais proposer des décharges serait bien plus convaincant : devenir tuteur implique en effet de participer à des réunions, de passer du temps avec les stagiaires…

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Enfin, il faudrait encourager, au niveau des établissements, des travaux communs inter-catégoriels de recherche-développement et innovations, mêlant des universitaires, des formateurs ESPE, des tuteurs et des inspecteurs d’académie, afin de répondre à des appels à projets, susceptibles de déboucher sur des mémoires de master, auquel des stagiaires pourraient être associés.
Qu’en est-il des contractuels ?
Alors que de plus en plus de personnes ont intégré l’idée que le métier d’enseignant s’apprend… on passe souvent sous silence le nombre de contractuels sans formation recrutés tous les ans. Dans les disciplines où tous les postes aux concours ne sont pas fournis (français, maths…) et, pour le premier degré, dans la banlieue parisienne, cette proportion peut atteindre 20 à 30% ! Ces contractuels, on les met en présence d’enfants, sans accompagnement réel (juste quelques heures de visite d’un inspecteur ou d’un chef d’établissement).
On est dans une procédure de recrutement de contractuels, qui à mon avis, est assez négative. On parle beaucoup du dédoublement des classes de CP : si pour cela, vous mettez un enseignant qui n’a jamais vu un élève, cela ne peut pas donner de bons résultats. Tout est lié.
Il n’est pas possible d’améliorer la qualité des enseignants sans poursuivre l’objectif de réduction du nombre de contractuels. Si l’on veut que tous les postes soient fournis au concours, et que moins d’enseignants démissionnent durant les 5 premières années d’exercice, il faut d’abord renforcer l’attractivité du métier.
Le dernier rapport de la Cour des comptes pointe aussi ce problème de la gestion des enseignants et des remplacements (sujet lié aux contractuels, que l’on recrute quand on n’arrive pas à remplacer quelqu’un à temps) ; les syndicats sont contre, mais l’annualisation des services serait une solution.
En attendant, si l’on est obligé de faire appel à des contractuels pour des remplacements, un accompagnement spécifique doit être mis en place dans l’établissement – avec un tutorat de proximité, comme pour les stagiaires. Mais attention : le risque est d’officialiser le fait que l’on travaille avec des précaires, ce qui n’est pas souhaitable.
[warning](1) * Les ESPE de Montpellier et Limoges proposent par exemple un Master 2 MEEF “Pratiques et ingénierie de la formation”, destiné aux enseignants désirant “acquérir une expertise complémentaire dans une logique de formation de formateurs.”
* Il existe aussi un parcours “Formation, accompagnement, conseil aux enseignants”, dont l’objectif est de “se renforcer dans le champ de l’éducation et de la formation, sur les dynamiques de groupes en contextes scolaires, et l’accompagnement des enseignants et de leur professionnalisation.”
* Un parcours de l’ESPE de Versailles est destiné de son côté à la formation des tuteurs en EPS et dans les disciplines scolaires scientifiques (maths, SVT, physique), qui assurent l’accompagnement des étudiants de M1 et M2 du Master MEEF.
* A l’ESPE de Strasbourg, le Master “Pratiques et ingénierie de la Formation” propose enfin un parcours “TFE” (Tuteur et formateur d’enseignants) – qui vise à “construire les compétences spécifiques des enseignants tuteurs et formateurs d’étudiants et de stagiaires, ainsi que des conseillers pédagogiques”.[/warning]
D’accord avec la partie sur les contractuels. J’ai été recruté comme ça et j’ai été envoyé sur un temps plein, deux 6ème, quatre 5ème et deux 3ème, sans aucun cours de fait, sans formation, du jour au lendemain, et sans aucune idée de comment faire un cours. Au bout d’une semaine j’ai démissionné parce que je me voyais mal assurer la construction de mes cours et la gestion de mes classes (qui ne se passait pas si mal par ailleurs, vu que j’avais été surveillant pendant quatre ans). Et comme aide ? rien, pas de tuteur, une vague aide soumise à la bonne volonté d’une collègue pas franchement motivée. Je n’avais pas envie de m’enfermer dans une galère….
En tant qu’enseignante contractuelle dans le primaire en classe bilingue, je ne trouve pas que mon travail soit de moins bonne qualité que celui de mes collègues, bien au contraire ! Celà faisait 4 ans que je pratiquais le métier de professeur des écoles avec passion. Cette année, pas de poste… Parce que une ouverture = une fermeture… Question d’économies… Alors effectivement nous ne sommes pas formés quand nous arrivons sur le terrain, mais, au bout de 4 ans, je n’ai absolument plus rien à envier à mes collègues… Bien sûr, nous sommes mal rémunérés, pas du tout suivis par l’inspection qui s’en fiche bien de nous, tant que les parents des enfants sont satisfaits !!! J’aime mon métier et souhaite me donner les moyens de la titularisation par le biais du concours interne qui est tout aussi difficile que le concours externe et pour lequel nous n’avons aucune aide à la préparation. Etre contractuelle est une souffrance terrible : on attend tout l’été qu’on nous appelle pour nous envoyer sur des ouvertures de classes, des multiniveaux, loin de chez nous et à la fin de l’année alors que les choses sont bien en place on doit céder nos postes à des titulaires en quittant l’école et en brisant les liens qu’on avait tissés avec nos collègues et avec nos élèves, nous ne faisons jaais grève par peur de ne pas être renouvellés, nous osons à peine donner notre avis car nous sommes « contractuels »… Je n’ai jamais eu aucun problème à m’investir dans l’équipe enseignante, ni auprès de mes élèves et mes collègues m’ont toujours poussée à passer ce concours car je crois que c’est ma vocation. Ne prenez pas les vacataires pour des incompétents, ils sont souvent bien plus investis que certains professeurs titulaires. En ce qui me concerne, c’est la cas, et je ne permettrai à personne de dire que mon travail est de moins bonne qualité que mon cllègue titulaire. Que fait le gouvernement et l’éducation nationale pour faire en sorte de titulariser et d’apporter un complément de formation à des contractuels qui ont envie de poursuivre leur aventure à l’école primaire auprès des enfants ? Je ne me sens pas démunie ni mal formée devant ma classe, je me sens enseignante à part entière, il y a juste mon statut qui est bancal !
Il n’était nullement dans mes intentions de dire que les contractuels font mal leur travail et je comprends votre réaction. Je ne doute pas que votre motivation et votre investissement dans le travail vous aient conduit après quelques années à une compétence comparable à celle de vos collègues. Vous convenez cependant que pour rentrer dans le métier il vaut mieux y être préparé et être accompagné. C’est ce que j’ai voulu dire ainsi que la dénonciation de la précarité croissante avec le recrutement de nombreux contractuels.
J’espère qu’une réussite au concours interne vous permettra de retrouver une place conforme à votre projet et vos compétences.