Gérard Vaysse, ex-professeur de neurosciences à Toulouse II et ancien directeur de l’IUFM de Midi-Pyrénées (1991-2001), fut le premier président de la conférence des directeurs d’IUFM (CDIUFM). Avec trois autres ex-présidents de cet organisme, il souhaite interpeller le gouvernement sur les “évolutions souhaitables” de la formation des enseignants en France.
La formation des enseignants a énormément changé depuis les années 1980, et a fortiori depuis 25 ans… Quelles furent les grandes étapes de cette évolution ?
La formation des maîtres remonte à l’Université du Moyen-âge ; elle était déjà une préoccupation du monde universitaire, et y était étroitement liée, même s’il s’agissait à l’époque de théologie. Mais au XIXe siècle, une dissociation s’est faite entre formation des profs et université, avec la création des écoles normales, destinées à former les enseignants du primaire : les maîtres d’école ne connaissaient alors plus le monde universitaire.
Jusqu’aux années 1980, l’école normale primaire (EN) était un lycée, réservé aux bons élèves, bacheliers, entrés sur la base d’un concours. Le corps professoral était composé de certifiés ou d’agrégés, ayant enseigné en collège ou en lycée. Il s’agissait pour l’essentiel de pédagogues, centrés sur la formation pratique des futurs maîtres. Ils n’avaient pas à valider les savoirs du primaire ou du secondaire, mais formaient au métier, à la pédagogie, aux programmes.

Ecole normale d’institutrices des Batignolles, Paris, 17e, 1972 / Licence CC
A partir des années 1980, le monde de l’école primaire a commencé à se rapprocher de l’université, avec une élévation du niveau de formation des instituteurs. En 1981, il a été demandé aux Facs de préparer les instituteurs, entrés à l’école normale avec le Bac, à un DEUG (diplôme d’étude universitaire et générale) “premier degré”. La formation des enseignants du primaire est passée à 3 ans : après 2 ans à l’école normale, ils devaient valider ce DEUG, dont l’enseignement allait des sciences au français, en passant par l’histoire et la géographie.
Comment en est-on venu à la création des IUFM ?
Il s’agissait d’un bon diplôme, mais qui ne permettait pas de rentrer dans n’importe quelle licence : en effet, cette novation d’un DEUG pour les instituteurs ne leur permettait pas de poursuivre une formation à l’université. Ce diplôme a vite été abandonné, et les normaliens ont finalement dû s’inscrire dans un DEUG d’enseignement “normal”, dans l’un des champs disciplinaires de l’enseignement primaire (histoire, géographie, maths, lettres…). Il y avait de la part de l’Education nationale, une vraie volonté de faire en sorte que l’enseignement primaire passe au supérieur, mais avec une centration sur le métier.
Dans le même temps, pour le second degré, deux catégories d’enseignants étaient formées à l’université, dans les années 1980-1990 : les agrégés, qui passaient un concours très difficile, enseignaient en lycée, et qui étaient davantage recrutés pour leurs connaissances disciplinaires que pour leur pédagogie ; et ceux qui passaient le CAPES et devenaient profs de collège.
Petit à petit, sous Jean-Pierre Chevènement, René Monory, et surtout Lionel Jospin (devenu ministre de l’Education nationale en 1988), on s’est acheminé vers une autre réflexion : rassembler les profs du primaire et du secondaire dans un même lieu de formation, qui ne soit pas strictement centré sur les contenus disciplinaires, mais qui explore aussi la gestion des élèves, de la classe, et des préoccupations d’enseignement plus générales. Cette idée a débouché sur la création, en 1990, des IUFM (instituts universitaires de formation des maîtres), qui devaient assurer une formation et une culture professionnelle commune aux profs des écoles et aux enseignants du secondaire.

Formation en allemand à l’IUFM de Strasbourg, 2011 / Coll. IUFM d’Alsace
Se sont alors affrontés les tenants du pédagogisme et ceux de la transmission des connaissances…
En septembre 1991, la généralisation des IUFM dans chaque académie a ouvert une nouvelle perspective. Mais l’on est parti sur des scenarii que l’on n’a jamais pu mettre en place : on pensait que la pédagogie et le rôle du prof dans la classe seraient des sujets largement abordés dans la formation… pourtant, très vite, les associations disciplinaires ont vu le ministre pour lui dire que le plus important, c’étaient les connaissances disciplinaires (notamment évaluées par les jurys du CAPES au printemps).
Rapidement, les IUFM ont effectué un rétropédalage, et à partir de la rentrée 1992, le frein a été poussé sur la pédagogie. Par exemple, il était prévu que les professeurs stagiaires, en se présentant au CAPES, effectuent des stages et rédigent un rapport à présenter au jury – mais très vite, ce qu’ils avaient préparé dans les classes s’est traduit par le contenu du cours, et non par la stratégie de formation qu’ils avaient mise en oeuvre.
Ce fut un premier pas en arrière par rapport au pédagogisme, et une reprise du terrain par les adeptes de la priorité à la transmission des connaissances. Cette dualité est permanente, elle perdure et bouge en fonction des périodes, mais au fil du temps, on a de plus en plus abandonné le temps de formation pédagogique, au profit d’une meilleure maîtrise des savoirs savants.
Quels sont pour vous les principaux apports (positifs… ou négatifs) des réformes de la formation des enseignants depuis 1991 ?
Les réformes successives ont modifié la formation des maîtres de façon positive et irréversible en la rendant plus professionnelle et plus universitaire. Elles ont permis le rapprochement des formations des enseignants du premier et second degré, l’élévation du niveau de formation (avec un diplôme de master), l’intégration dans le système universitaire des organismes de formation (gage d’un lien solide et permanent avec les avancées de la recherche), et la prise de conscience que, comme pour tout métier, celui d’enseignant s’apprend, que les compétences professionnelles nécessaires à son exercice ne peuvent se réduire à celles des disciplines traditionnelles, et qu’un référentiel explicite de compétences doit préciser les objectifs à atteindre.

ESPE de Rennes / Wikimedia / Lektz / Licence CC
On a éveillé les enseignants, et surtout les formateurs des enseignants, à la nécessité de se frotter à la recherche en éducation, ou à la recherche disciplinaire – leur préoccupation n’est plus strictement centrée sur le contenu du programme à transmettre, mais aussi sur la didactique, la pédagogie, l’utilisation des TICE.
Mais après 25 années de modifications profondes, force est de constater que des évolutions sont plus que jamais nécessaires et que la formation initiale doit continuer à être repensée. Parmi les points qui devraient faire l’objet d’une évolution, la question de la surcharge de travail des stagiaires de deuxième année de master occupe une place fondamentale. Ceux-ci doivent actuellement exercer en responsabilité à mi-temps un service dans une classe, suivre des enseignements et de surcroît, réaliser un mémoire.
Revenons un peu en arrière : en 2010, lors des dernières années d’existence des IUFM, une réforme a institué l’obligation d’un master pour devenir enseignant titulaire, et les stages en école, collège ou lycée ont été drastiquement réduits pendant la formation initiale. Puis, avec la création des ESPE (écoles supérieures du professorat et de l’éducation) en 2013, les stages ont finalement été rétablis en deuxième année.

ESPE de l’académie de Versailles – Etudiants de Master 1 en conference / Centre de formation de Gennevilliers / Devenirenseignant.gouv.fr
Si l’on fait abstraction de cette parenthèse de la masterisation, l’on constate que le temps passé dans l’observation et le temps de prise en charge des élèves par les profs stagiaires de deuxième année a considérablement augmenté en 25 ans, avec tout ce qu’il y a de positif, mais aussi de négatif – actuellement, ils assurent la totalité des charges de service d’un enseignant… sans avoir suffisamment de temps pour se préparer à toutes les tâches autres que celle de transmettre des connaissances.
Le fait d’être dans un établissement centré sur la formation a apporté une unité et a favorisé un brassage d’enseignants, afin de ne pas rester strictement disciplinaire. Mais désormais, le temps de formation est beaucoup plus restreint, et les jeunes stagiaires, en dernière année d’ESPE, plongent dans une vraie machine à décerveler : ils ont trop de choses à faire en même temps.
Il faudrait au moins alléger la première année, le temps passé avec des élèves, pour en consacrer une partie à une formation à la pédagogie et à l’enseignement – par quoi commencer, comment concevoir une progression dans la formation, etc.
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