Sophie Mazet, prof d'anglais au lycée Blanqui de Saint-Ouen / Crédits : Patrice Normand/ ROBERT LAFFONT

Sophie Mazet, prof d’anglais au lycée Blanqui de Saint-Ouen / Crédits : Patrice Normand/ ROBERT LAFFONT

Prof d’anglais au lycée Auguste Blanqui de Saint-Ouen, Sophie Mazet anime des ateliers dont l’objectif est de “développer l’esprit critique” des élèves. Après le succès de son “Manuel d’autodéfense intellectuelle”, elle sort un nouveau livre sur les préjugés qui entourent le métier d’enseignant : “Prof, les joies du métier”. Une vraie déclaration d’amour pour sa profession.

Votre livre s’intitule “Prof, les joies du métier”… Pourquoi ? Parce que le “‘malaise enseignant” n’existerait pas réellement ?

J’ai écrit ce livre pour questionner les clichés qui entourent le métier d’enseignant. Comme dans mon “Manuel d’autodéfense intellectuelle”, j’essaie d’examiner si, dans les faits, les chiffres vérifient ces clichés – et la plupart du temps, ce n’est pas le cas.

Premier cliché, celui selon lequel les profs sont tous dépressifs. Le métier d’enseignant a du mal à recruter, il ne ferait plus rêver… Le tableau dépeint de cette profession tout autour de nous, dans le débat public, est assez sombre. Or, si l’on regarde en profondeur, et si l’on jette un oeil sur différentes études – comme le baromètre Unsa Education -, on constate que la plupart des enseignants se déclarent heureux dans leur travail. En outre, ils ne sont pas plus malheureux que d’autres personnes, dans d’autres professions.

Le terme “malaise enseignant” est à la mode, en ce moment. Le mot “enseignant” devient quasiment, dans ce contexte, un adjectif… Mais la dépression n’est pas inévitable dans la profession d’enseignant, contrairement à ce que tout le monde pense. Il s’agit d’une caricature, qui répond à une caricature : les enseignants ne se sentent pas appréciés à leur juste valeur par le grand public et leur hiérarchie, et ils finissent donc par intégrer eux-même l’idée que leur métier va mal. Pourquoi les profs ne se sentent-ils pas considérés, et se perçoivent-ils comme détestés ? Parce qu’ils n’entendent que les voix des mécontents, et reprennent pour argent content ce cliché.

Les enseignants se jugent mal aimés, mais le fait est que 2 Français sur 3 en ont une bonne image ! En fait, les gens nous aiment bien – les familles ont une bonne appréciation du métier, et les élèves, en majorité, nous respectent.

Pour vous, l’on dresse un tableau injuste des enseignants, mais aussi des élèves…

Beaucoup de clichés négatifs circulent, notamment sur les enfants de banlieue, et sur le niveau, qui baisserait… En réalité, cette affirmation est fortement questionnable, car elle est très subjective. Il ne faut pas généraliser. Certes, le niveau en orthographe baisse, mais ce n’est pas pour autant que l’on peut dire que nous sommes en plein déclin…

"Prof, les joies du métier", Sophie Mazet, Robert Laffont, 2017.

« Prof, les joies du métier », Sophie Mazet, Robert Laffont, 2017.

Dans mon livre, je montre que certaines complaintes (“les élèves ne sont plus capables d’écrire” ; “le niveau du baccalauréat baisse”) ne datent pas d’hier, et remontent au début du 20e siècle. Si le niveau baisse vraiment depuis 100 ans, comment expliquer le fait que nous n’ayons pas encore touché le fond, et que l’on apprenne encore des choses à l’école ? Le classement PISA de l’OCDE est à relativiser, car ses résultats sont susceptibles d’entraîner des erreurs d’interprétation, puisque tous les élèves ne passent pas ce test.

L’affirmation selon laquelle le niveau baisserait est bien souvent politique. Elle sous-entend que c’est la faute du système éducatif, et qu’il faudrait établir une forme de sélection précoce. Or, paradoxalement, selon Stéphane Ménia, professeur d’économie, si le niveau baisse, c’est en fait parce qu’il monte ! La démocratisation scolaire conduit de plus en plus d’élèves au niveau Terminale, et les enseignants qui constatent tous les ans une baisse du niveau sont victimes d’un biais d’observation. La chute au classement Pisa peut ainsi s’expliquer par le fait que, 10 ou 20 ans plus tôt, de nombreux élèves n’auraient pas accédé au lycée, et n’auraient donc pas pu participer à cette évaluation de leur niveau.

Autre cliché abordé dans votre livre, la relation prof-élève : les enseignants sont censés rester objectifs, chasser leurs émotions…

“Je ne suis pas là pour vous aimer” : c’est une phrase que nous avons tous prononcé devant nos élèves, souvent parce qu’ils nous disaient “de toute façon, vous ne nous aimez pas”.  Oui, les élèves fonctionnent à l’affectif. De notre côté, nous enseignants, nous efforçons de mettre nos affects à distance, mais ce n’est pas toujours le cas, et des élèves peuvent très bien nous inspirer de la sympathie ou de l’antipathie. La posture qui consiste à refuser toute subjectivité est en réalité intenable. Nous ne sommes pas là pour aimer nos élèves, mais c’est inévitable.

Or, les enfants attendent de nous que nous les traitions de manière juste et équitable. Pouvons-nous nier qu’objectivement, nous n’aimons pas certains élèves ? Je ne pense pas. Mais que faisons-nous dans ce genre de cas, afin de les faire progresser quand même ?

Existe-t-il une personnalité type du bon enseignant ? Non. Le “prof copain” et le prof autoritaire sont deux modèles qui fonctionnent tout aussi bien et tout aussi mal. En revanche, ce qui fonctionne à chaque fois, c’est d’expliciter les objectifs pour les élèves, d’avoir des attentes claires, de se montrer bienveillant, et d’avoir une capacité à se remettre en question, afin de faire progresser les élèves – ces choses-là s’apprennent en formation, et ne sont pas innées.

Pourquoi tant de fantasmes autour de cette profession ?

Parce que nous y sommes tous allé, tout simplement, et que cela nous donne l’impression que nous avons l’autorité pour en parler, de façon générale. Nous avons tous un avis sur l’école, et nous avons recours au biais de confirmation, en faisant une généralité de notre cas particulier : si nous avons l’impression d’avoir eu une majorité de mauvais profs dans notre vie, cela affectera notre perception des enseignants, et nous aurons tendance à en avoir une mauvaise image. Et inversement.

Pourquoi, finalement, aimez-vous votre métier d’enseignant ?

Ce qui me plaît dans cette profession, c’est la relation avec les élèves, la rencontre avec l’autre, et aussi le sentiment d’utilité, lorsque l’on réussit à les faire progresser. Enseignant, c’est un métier qui, globalement, a un sens. Il contribue à la société, et restera toujours essentiel. Etre heureux dans sa vie professionnelle, c’est aussi le fait de contribuer à quelque chose de plus grand que soi… et dans l’enseignement, on est en plein dedans.

Les “joies du métier”, pour moi, c’est bien cela : le fait de contribuer à quelque chose de plus important que moi, de faire progresser les élèves quand je le peux, et aussi cette relation avec les élèves, qui est source de bien-être. Je reste ainsi totalement optimiste sur l’avenir de ce métier.