Emmanuelle Piquet, fondatrice de Chagrin Scolaire, représentante en France de la méthode de thérapie brève de l'école de Palo Alto, prône le "boomerang verbal" face au harcèlement scolaire.

Emmanuelle Piquet, fondatrice de Chagrin Scolaire.

La psychopraticienne Emmanuelle Piquet, auteure du « Harcèlement scolaire en 100 questions », est la fondatrice de Chagrin Scolaire, un centre de consultation et de formation dédié aux souffrances scolaires. Représentante en France de la thérapie brève et stratégique issue du Mental Research Institute (MRI) de l’École de Palo Alto, elle forme les personnels de l’éducation à une méthode “d’outillage” des élèves harcelés : le “boomerang verbal”.

Pourriez-vous nous présenter Chagrin Scolaire ?

Chagrin Scolaire, ce sont avant tout plusieurs centres de consultation, dans lesquels nous recevons des enfants/adolescents harcelés, ainsi que des enseignants en souffrance, pour qui il est parfois difficile de faire face à une classe – nous aidons ces personnes à agir d’une façon totalement nouvelle pour elles, afin de résoudre leurs problèmes. Nous réalisons ainsi des thérapies brèves, qui permettent d’obtenir des résultats en 4 ou 5 séances. Nous formons aussi des psychologues et des professionnels de l’enfance à la thérapie brève, appliquée à la souffrance scolaire.

Nous partons du constat que nous allons outiller l’enfant vulnérable. L’idée, c’est que celui qui a intérêt à ce que ça s’arrête, c’est l’enfant harcelé, et que ne travailler qu’avec des enfants harceleurs (ce que fait d’une manière générale l’Éducation nationale) n’a que peu d’impacts – car ces derniers essaient surtout d’asseoir leur pouvoir et n’ont donc que peu d’intérêt à s’arrêter.

En quoi consiste, dans cette optique, votre méthode face au harcèlement scolaire ?

Notre méthode, c’est de se dire : comment apprendre aux enfants vulnérables à se faire respecter ? La compétence qui consiste à se faire respecter est indispensable pour la suite – car ce n’est pas parce que la dernière sonnerie du lycée a retenti que les difficultés relationnelles s’arrêtent : l’entreprise n’est pas un puits de tendresse…

Le harcèlement ne vous touche pas parce que vous êtes petit, roux ou mal habillé, mais parce que vous êtes fragile et que cela se voit – surtout par les autres enfants. Un adulte ne saura pas forcément dire qui est vulnérable parmi plusieurs élèves, mais un enfant le sentira, et c’est ce qui le poussera à taquiner l’élève fragile, afin de voir s’il y a ou non du répondant de sa part… ainsi se met en place le cercle vicieux du harcèlement scolaire.

Le rôle de l’adulte n’est pas de se mettre entre les deux, car en le faisant pour protéger l’enfant vulnérable, il aggravera sa vulnérabilité en véhiculant l’idée qu’il ne sait pas se défendre. Notre posture, c’est de se mettre à côté de l’enfant, et de réfléchir ensemble à ce qu’il pourrait faire la prochaine fois qu’une situation de harcèlement se produit. Et de l’outiller, lui, pour qu’il sache comment agir. La parade – le plus souvent, verbale – que nous trouvons est telle que le harceleur perd en popularité, au moment même où il harcèle… Puisque le talon d’Achille des enfants harceleurs, c’est très souvent leur propre popularité. C’est pourquoi ils harcèlent. Dès qu’ils tombent sur un os, sur quelqu’un qui leur tient tête, ils ont beaucoup moins d’intérêt à y revenir.

C’est le “boomerang verbal” – ou l’art de retourner la situation en appuyant là où la cote de popularité de l’attaquant peut basculer. Il s’agit de faire semblant d’accepter ce qui nous est envoyé, et ensuite, par une phrase bien élaborée, de disqualifier la posture du harceleur, de faire éclater au grand jour à quel point lui-même est vulnérable.

Ne pas répondre, ou au contraire réagir violemment sans préparation ne serait pas une bonne stratégie, car cela risquerait d’alimenter le harcèlement. Il faut donc travailler sur une véritable stratégie, qui soit de nature à faire tomber le harceleur de son piédestal. Bien souvent, les harcelés sont à bout et ont besoin d’aide pour élaborer une réponse. Mais à partir du moment où, avec l’enfant ou l’adolescent, on co-construit ce genre de stratégie, il reprend confiance en lui, car la réponse vient de lui.

Harcèlement scolaire / Pixabay / Licence CC

Harcèlement scolaire / Pixabay / Licence CC

L’outillage est-il différent sur Internet ?

Le cyber-harcèlement n’est qu’un changement de modalités. Le harcèlement a souvent lieu à la fois en ligne et hors ligne : pour lutter contre, les outils sont les mêmes. L’intensité des attaques contre le harcelé est plus grande sur le Web, mais la réponse elle-même peut être plus intense et sophistiquée. Le boomerang verbal peut ainsi être numérique, avec l’avantage de pouvoir le peaufiner. Hors ligne, il est plus difficile à mettre en place, car il faut le préparer suffisamment en amont et l’utiliser au bon moment, par exemple quand il y a du monde autour. Alors que sur Internet, on peut choisir son moment, prendre son temps…

Trouvez vous que l’Education nationale agit de la bonne manière face au harcèlement scolaire ?

J’ai monté le premier diplôme universitaire (DU) sur la gestion des souffrances scolaires l’année dernière, avec l’université de Bourgogne. Nous formons des psychologues et des médecins scolaires, des enseignants, des chefs d’établissement… Au bout d’un an, ils ressortent avec des outils très pragmatiques. Il existe donc déjà un outil pour bien se former, mais il n’est proposé que depuis un an, à Dijon.

Vis-à-vis des enseignants, je suis partagée, car contrairement à ce qu’un mythe nous laisse croire, le harcèlement ne se passe pas dans les classes ! Il se passe dans les toilettes, dans les couloirs, sur le Web, et jamais sous le nez des profs. En classe, il peut y avoir des signes, mais le harcèlement se produit d’une façon subreptice qui ne permet pas de véritablement le constater. Je ne suis du reste pas certaine que l’enseignant soit le meilleur acteur pour déceler et résoudre un cas de harcèlement. Car il est difficile pour lui d’aider un élève contre un autre, alors qu’il enseigne aux deux. C’est une mission qu’il faut confier à des métiers transversaux – CPE, infirmières scolaires, psychologues de l’Education nationaleassistants d’éducation -, au-dessus de la mêlée. Le procès qui est fait aux enseignants est violent – parce qu’on leur demande d’être extrêmement multitâches, et qu’ils sont rarement formés. Quand ils le sont, ils font du bon boulot, mais beaucoup sont désarmés et impuissants.

Concernant la politique sur le harcèlement, l’accent est mis sur la prévention – faire en sorte que les enfants soient plus empathiques, plus respectueux, via des concours, des projets éducatifs… Je trouve cela très bien, mais je ne suis pas dans cette approche : avec mes équipes, nous arrivons quand la prévention a échoué, avec une méthodologie de résolution de problèmes. Il faut bien résoudre le problème quand il survient, or je trouve que dans ce cas précis, l’Education nationale travaille beaucoup avec les populations harceleuses, mais très peu en outillant les enfants harcelés. On ne parle qu’aux harceleurs, et pas aux harcelés. Et je trouve cela extrêmement dommageable.

« Internet pas net », un dessin animé pour aborder le thème du cyber-harcèlement.

« Internet pas net », un dessin animé pour aborder le thème du cyber-harcèlement.

Faudrait-il former tous les élèves au boomerang verbal ?

Il est très difficile de former les élèves à priori, car le boomerang verbal se conçoit en temps réel. Mais on peut former un certain nombre de personnes à la méthode de résolution de problèmes. Quand on regarde les méthodes développées à l’école (élèves sentinelles, médiation par les pairs), le problème est que les enfants engagés dans ces dispositifs sont appréciés des adultes, mais peu des enfants… car il s’agit d’un système moralisateur, avec un discours inaudible au collège, où ce qui compte, c’est la popularité, pas l’empathie.

Lors de nos interventions dans les établissements, nous proposons aux élèves intéressés par la perspective de réfléchir à des stratégies pour eux-mêmes ou pour des copains, de monter des ateliers avec nous. Pendant une demi-journée, une fois par mois, toute l’année, de façon confidentielle, nous aidons des adolescents à trouver des stratégies. C’est quelque chose qui fonctionne assez bien. Il s’agit souvent d’élèves en détresse, ou de leurs copains. Un ami qui s’interpose prend le risque d’être harcelé à son tour… Mais lors des ateliers, ils apprennent comment aider leur camarade à élaborer un boomerang verbal.

Grâce à ce genre d’atelier, le climat scolaire s’améliore de façon remarquable.  Nous formons aussi en parallèle les enseignants, afin qu’ils soient capables d’être autonomes dans la gestion des situations de souffrance scolaire. Pour l’instant, nous avons formé une cinquantaine de profs, mais l’idée serait d’aller plus loin : nous nous battons pour qu’il y ait au moins un ou deux référents par académie, qui soient formés – pas juste à l’écoute et à la discussion avec le harceleur, mais aussi à l’outillage des enfants harcelés et de leurs familles. Il existe déjà des référents harcèlement, mais pour l’heure, ils ne sont pas formés à l’aide, concrète, de l’enfant vulnérable.

Quels conseils donneriez-vous aux élèves et aux enseignants face au harcèlement ?

Les enfants doivent garder en tête que l’on n’est pas faible ou fort toute sa vie, que les relations peuvent être modifiées. Ils ne doivent pas croire que tout est figé. Parce que le pire message que l’on puisse leur envoyer en ne les outillant pas, c’est qu’ils seront faibles toute leur vie, et qu’ils auront toujours besoin d’aide.

Enfin, les enseignants doivent rester attentifs : ils peuvent voir des choses, et dans ce cas, ils doivent orienter l’enfant vers quelqu’un de formé, qui ne fera pas que l’écouter, mais qui l’aidera concrètement à s’en sortir. Les indices de harcèlement les plus visibles sont l’isolement (à la cantine), les petites taquineries, la chute spectaculaire des notes.