Alexis Torchet, Catherine Nave-Bekhti et Annie Catelas, du Sgen-CFDT

Alexis Torchet, Catherine Nave-Bekhti et Annie Catelas, du SGEN

Pour débuter sa conférence de rentrée, le 7 septembre 2017, le Sgen-CFDT a choisi d’analyser, avec l’appui d’une équipe de chercheurs, les trois premiers mois de Jean-Michel Blanquer, rue de Grenelle. Le syndicat, qui dénonce une “surexposition médiatique et des controverses qui n’éclairent pas le débat public sur les enjeux de l’éducation d’aujourd’hui”, critique surtout “la façon dont le ministre s’appuie systématiquement” sur la recherche et sur les comparaisons internationales pour justifier ses mesures.

Or, remarque Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale du SGEN, “la preuve scientifique revient à faire des choix, et à négliger des approches pour d’autres, avec le risque d’une instrumentalisation des résultats de la recherche – ce qui est inacceptable”. Le syndicat, qui ne se déclare pas hostile à la démarche du ministre, s’oppose plutôt à la manière de la conduire, Jean-Michel Blanquer utilisant la science “comme l’un des piliers de sa légitimité”.

Associer profs et chercheurs : « la voie la plus intéressante »

Qu’il s’agisse des classes à 12, ou des évaluations en CP, le ministre de l’Education nationale se repose ainsi sur des études qui prouvent que la réduction du nombre d’élèves serait profitable à l’apprentissage, ou que des “évaluations diagnostiques” peuvent être “un levier pour tous”. Dans ce dernier cas, il indique que des expériences ont prouvé leur efficacité dans d’autres pays européens. Mais, estime Catherine Nave-Bekhti, la situation est loin d’être aussi simple : “d’autres études prouvent que la culture scolaire joue et qu’un tel modèle d’évaluations n’est pas forcément transférable d’un pays à l’autre”. La porte-parole évoque en outre, en 6e, le risque d’un “bachotage” en classe, ainsi que d’un “fort stress pour les enfants et les familles – bien loin de l’École de la confiance”.

Pour le SGEN, la voie la plus intéressante à suivre, c’est l’association des équipes éducatives et des chercheurs, notamment à travers des institutions et des dispositifs déjà existants, comme le réseau des LéA (Lieux d’éducation Associés) de l’Institut Français d’Éducation (IFÉ), les conférences de consensus du CNESCO, ou encore les études du CESE (Conseil économique, social et environnemental) et des instances de dialogue social comme le CSE (Conseil supérieur de l’Education) et le CNESER (Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche).

“Nous disposons déjà d’institutions qui permettent d’évaluer le système éducatif, en prenant appui sur la recherche, mais aussi sur les personnels de l’éducation, et c’est ainsi que nous pourrons avancer d’une façon constructive”, indique Catherine Nave-Bekhti.

Alexis Torchet, Catherine Nave-Bekhti et Annie Catelas, du Sgen-CFDT

Alexis Torchet, Catherine Nave-Bekhti et Annie Catelas, du SGEN

Des mesures « mises en place à la va-vite »

Le SGEN dénonce des mesures “mises en place à la va-vite, sans respecter les personnels, avec qui on a été brutal, et qui n’ont pas été consultés”. Parmi les premières actions de Jean-Michel Blanquer dont le syndicat s’estime mécontent, la contre-réforme des rythmes scolaires, prise dans la précipitation. Selon Catherine Nave-Bekhti, “beaucoup d’enseignants sont aujourd’hui déçus, pour ne pas dire amers… car certaines écoles voulaient rester à 4,5 jours par semaine, mais le retour aux 4 jours leur a été imposé”.

Concernant les études en faveur des 4 jours, la porte-parole du syndicat remarque en outre qu’il existe des rapports et des recherches qui expliquent à contrario que “l’étalement de l’apprentissage, le matin, est bénéfique pour les élèves et leur apprentissage”. Par ailleurs, en regard des comparaisons internationales, “le constat est sans appel”, note Alexis Torchet, secrétaire national du Sgen-CFDT : “selon l’OCDE, la France, en revenant à 144 jours d’école, se détache très largement des autres pays de l’OCDE, puisque la moyenne est de 180 jours ; et ce que souligne l’organisation, c’est le risque d’accentuation des inégalités sociales”.

Revenant ensuite sur la réforme du collège, le SGEN critique le mépris envers les personnels, et la politique du zigzag de Jean-Michel Blanquer. Catherine Nave-Bekhti remarque que la réintroduction des filières d’excellence (classes bilangue dès la 6e, enseignements optionnels de latin et de grec dès la 5e) n’est pas la meilleure idée, compte tenu des inégalités scolaires. La secrétaire générale du SGEN défend les EPI, un dispositif “pouvant profiter à tous, et non à quelques-uns”, et déplore le refus par le ministère de “mener une étude sur la composition sociale des dispositifs d’excellence”.

“Pour mieux penser les évolutions, il faut s’intéresser à l’école telle qu’elle est, telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, au vécu et à la réalité professionnelle de tous les personnels – et non à ce que l’on a connu enfant à l’école et au collège”, ajoute Catherine Nave-Bekhti.

École inclusive, contrats aidés : « on est très loin du compte »

Le SGEN est aussi revenu sur les conséquences, pour les écoles et les personnels, de la réduction des contrats aidés. Pour Annie Catelas, secrétaire nationale en charge des questions liées à l’inclusion et à la politique des personnels, “on ne peut pas les supprimer sans dire ce que l’on va mettre à la place”. Selon le syndicat, les EVS (employés de vie scolaire) et les AADE (assistants administratifs aux directeurs d’école) sont des emplois indispensables pour simplifier les tâches des chefs d’établissements, et qui mériteraient d’être pérennisés.

En outre, concernant l’école inclusive, bien que les 50.000 contrats aidés d’AVS (assistants de vie scolaire) soient maintenus cette année, Annie Catelas estime que leur nombre n’est pas du tout suffisant. Selon elle, “l’accueil des élèves en situation de handicap est quelque chose d’acquis, mais une politique d’inclusion ne peut reposer durablement sur des emplois précaires (des CUI – contrats uniques d’insertion), car cela limite l’aide possible envers ces enfants”.

amphi université

Matej Kastelic – Shutterstock

Un Bac « modulaire », lié à l’Enseignement supérieur

Enfin, le SGEN a rappelé sa proposition d’un Baccalauréat “modulaire”, qui ne constituerait plus une barrière servant à filtrer les sorties du secondaire, mais qui serait une passerelle vers le supérieur. La réforme du Bac est l’un des projets de Jean-Michel Blanquer, qui souhaiterait le “remuscler” d’ici 2021, avec des épreuves terminales focalisées sur 4 disciplines, et le contrôle continu pour les autres.

Des concertations et des réflexions (auprès de chercheurs et de la communauté enseignante) sur le Bac seront menées à partir d’octobre 2017. “Ça va aller très vite, puisque des propositions devraient être dessinées dès novembre”, confie Alexis Torchet. Selon lui, attention à ne pas oublier de relier cette réforme avec celle de l’Enseignement supérieur, menée par Frédérique Vidal. La ministre souhaite en effet mettre en place, très rapidement (d’ici à la rentrée universitaire 2018), les prérequis d’entrée à l’université, et la fin de la plateforme APB (admission post-Bac). “On conçoit qu’il faut aller vite, pour éviter le recours au tirage au sort, mais ce travail devra être revisité en aval, une fois que la réforme du Bac et du lycée aura été menée”, explique le secrétaire national du SGEN, qui ajoute que “ces deux chantiers sont inextricablement liés”.

Le syndicat appelle en outre le gouvernement à “ne pas se focaliser que sur les prérequis, qui risquent d’entraîner une sélection malthusienne vers le supérieur”, et à développer l’accès des bacheliers pro et techno aux filières BTS et IUT, afin que ces dernières ne “demeurent pas une sorte de tremplin vers l’université, utilisé par les bacheliers généraux”. Un sujet “politiquement ultrasensible”, pour Franck Loureiro, secrétaire général adjoint du SGEN.