
Julien Savi
Aujourd’hui, comment se porte l’enseignement de la technologie en France ?
L’enseignement de la technologie a été très déstabilisé. Il a connu de nombreux changements ces 10 dernières années : nouvelles conditions de travail et apparition de nouveaux programmes. En plus d’avoir modifié nos contenus, ces derniers ont aussi changé la façon de les enseigner, sans même bénéficier de formation ni de matériel adéquat. Par exemple, les nouveaux programmes, en vigueur depuis septembre 2016, font notamment découvrir aux élèves la programmation et l’automatisme. C’est une chose très positive, mais il est aujourd’hui compliqué voire impossible de les enseigner : il nous manque du matériel, du budget et les enseignants ne sont pas correctement formés.
Justement, pouvez-vous détailler les problématiques auxquelles les profs de techno sont confrontés ?
Nous enseignons des nouveaux contenus que nous ne maîtrisons pas. Les profs de techno, toujours en poste, ont suivi une formation en mécanique, en électronique ou en gestion mais, en aucun cas, en informatique. Très peu d’entre eux disposent d’une formation en programmation ou en automatisme, deux thèmes que nous devons aujourd’hui enseigner. Du coup, on se retrouve impuissant face à nos élèves.
De plus, nos conditions de travail ont été bouleversées. Auparavant, la technologie était enseignée en demi-groupe. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. On nous demande de continuer de travailler de la même façon mais, cette fois-ci, en classe entière. C’est ingérable. Très rares sont les collèges qui ont réussi à maintenir des groupes. D’autant que dans certains établissements, les classes de technologie ont été construites pour accueillir uniquement des demi-groupes. Pour ma part, il m’est déjà arrivé de réorganiser toute la salle en déplaçant les chaises et les tables pour pouvoir faire rentrer mes 28 élèves. Sans oublier que nous n’avons aucune dotation en matériel. Beaucoup de nos projets tombent à l’eau car nous n’avons pas les moyens de les réaliser. Pour vous donner une idée, nous avons un budget d’environ 500 euros par an pour 600 élèves. Ce qui fait moins d’un euro par élève…
Enfin, dans les anciens programmes de technologie (avant 2008), une part a été consacrée au développement sensori-moteur ainsi qu’au développement de la motricité des élèves. Actuellement, toute cette partie a été grandement abandonnée. C’est le cas aussi, partiellement, en éducation musicale et en art plastique. Du coup, on trouve des élèves de seconde bac pro électrotechnique qui ne savent pas se servir d’un tournevis et qui sont toujours incapables après plusieurs mois de l’utiliser. D’autres élèves sont aussi incapables d’allumer un bec à gaz avec une allumette (au lycée, par exemple).

© Monkey Business – Fotolia
Vous évoquez la formation des enseignants. Est-elle suffisante ?
Il y a une formation continue des enseignants de techno mais elle est très insuffisante. Sur les 3 demandées, je n’ai bénéficié que d’une. Elle a eu lieu en octobre, juste après la mise en vigueur des nouveaux programmes. Tout a été préparé dans l’urgence. Les formateurs, eux-mêmes, n’ont pas pu se préparer et découvraient les programmes avec nous. Il n’y avait aucun document d’accompagnement et les formateurs piochaient les infos sur internet. En même temps, ils ont dû s’auto-former avec des cours en ligne, des tutos, pour pouvoir par la suite nous transmettre leurs connaissances … Même au sein de notre association, chacun bricole un peu dans son coin et diffuse par la suite ses idées aux autres profs. Nous essayons ainsi de voir ce que l’on peut reprendre ou améliorer pour nos cours.
La technologie doit-elle avoir une plus grande place dans les programmes scolaires ?
Depuis la réforme du collège, nous avons perdu en heure de cours. Nous sommes, par exemple, passés de 2h d’enseignement en 3ème à 1h30. Nous ne demandons pas à avoir plus d’heure de cours, car il faut être raisonnable pour les élèves, mais que notre discipline soit enseignée d’une meilleure façon. Si nous avions même eu 1h de cours par semaine en petit groupe et avec les moyens financiers nécessaires, l’enseignement aurait déjà été beaucoup plus efficace.
Qu’apporte la technologie aux élèves et sont-ils intéressés par cette matière ?

Technologie et impression 3D / Christophe Alasseur
La technologie est aussi importante que l’histoire, l’économie, le français… Allant du téléphone à la voiture, presque toutes les technologies ont pour objectif final de réduire l’effort des humains. Cette discipline permet aussi aux élèves d’apprendre et de comprendre le monde qui les entoure.
En général, ils sont très intéressés par cette matière. Sauf lorsque nous faisons de la technologie « papier », où aucun matériel n’intervient. Eux, ce qu’ils souhaitent, c’est manipuler et fabriquer des objets. La première chose qu’ils demandent est de savoir ce qu’ils vont fabriquer. Mais quand on leur répond qu’ils ne feront qu’une fabrication collective -car les textes nous interdisent de faire des fabrications individuelles- ils sont très déçus. De plus, l’objet fabriqué par 4-5 élèves doit désormais rester dans l’établissement. Ils n’ont plus le droit de l’emporter chez eux. Et, une fois l’objet terminé, il sera démonté pour que les prochains élèves puissent le reconstruire l’année suivante. C’est très frustrant pour les jeunes de voir leur travail détruit…
Que demandez-vous concrètement au nouveau président pour faire avancer la technologie au collège ?
Nous demandons du matériel et du budget, des conditions de travail efficaces (demi-groupe) et le rétablissement de l’heure de laboratoire, qui a été supprimée en technologie depuis la réforme du collège. Il faut aussi remettre en place un recrutement pour les profs de technologie. Actuellement, nous sommes l’une des disciplines où il y a le plus de vacataires et de contractuels et où les mutations sont complètement bloquées. Il faut y remédier ! Enfin, nous demandons une quantité plus importante de formations, qu’elles soient plus techniques et adaptées aux nouveaux programmes.
Tout ceci découle de la réforme des lycées et notamment de la filière technologique (STI2D), époque Chatel-Sarkozy dont le numéro 2 à l’éducation nationale n’était autre que Mr Blanquer…
Il faut demander à participer aux formations des professeurs de mathématiques concernant la programmation.
La formation et les activités informatiques des enseignants en mathématiques sont totalement théoriques et reposent sur l’usage d’un outil de programmation, Scratch, qui ne convient pas à de réelles applications technologiques. Les professeurs de technologie ont plusieurs décennies d’expérience dans la programmation de systèmes automatisés en lien avec des pratiques socio professionnelles de référence du monde de la production industrielle et des usages quotidiens de ces systèmes par des millions de citoyens. Tout cela a été démoli par des réformes successives qui ont totalement dénaturé l’enseignement de cette discipline.
Il y a toujours eu des automatismes et de la programmation … Du moins depuis une vingtaine d’annees que jexerce ce beau metier, ….heureusement quil nya plus les fabrications individuelles. Pourquoi demonter un beau portail automatique en fin dannee? Au contraire il faut le garder et en fabriquer un second lannee dapres et ainsi sautoequiper.
Cest deux quatres heures de labo que nous devrions avoir !
Cela fait 11 ans que je suis à la retraite et je m’aperçois que rien a changé, bien au contraire. Il serait grand temps qu’un élève qui être un futur citoyen ne soit pas comparé à une somme d’argent mais ça…
J’adhère à l’association Pagestec depuis de nombreuses années. J’ai commencé à enseigner la technologie en collège il y a presque 30 ans, après une décennie d’expériences professionnelles diverses et variées dans des entreprises privées et des associations. Je suis à quelques semaines de la retraite. Tout cela m’amène à affirmer qu’il faut renforcer l’enseignement de la technologie aux collégiens à travers des réalisations concrètes, en petits groupes de 16 à 18 élèves, à raison de 2 heures hebdomadaires. Cela me paraît le minimum pour que de jeunes esprit comprennent l’importance de la technologie dans nos sociétés du 21ème siècle mais aussi dans l’histoire.
Réduire cette discipline à une heure hebdomadaire lui ferait perdre tout intérêt et tout sens.
Pour nos élèves, la technologie c’est l’ordinateur et l’écran tactile de leur smartphone, mais ils ne savent pas comment fonctionne leurs vélos. Ils ne savent pas, comme nombre d’adultes, que sans technologie nous sommes nus et vulnérables sur notre belle planète qui alors deviendrait très hostile. Sans un minimum de technologie, notre espèce aurait disparue depuis longtemps.
Ils savent confusément que notre technologie menace d’extinction les espèces vivantes, dont la notre qui est devenue la plus grande prédatrice de la planète. Ils ne savent pas comment de nouvelles solutions sont déjà peu à peu conçues et réalisées par l’avant garde d’une indispensable transition pour contribuer à éviter les pires scenarii. Comment apprendraient-ils cela sans en prendre le temps, sans que les moyens leur en soient donnés ?
D’autre part, leur parcours scolaire a cloisonné leurs connaissances et ils ont le plus grand mal à relier la technologie, les maths, les sciences de la vie et de la Terre, les sciences physiques, et d’autres disciplines comme l’histoire et la géographie. Les tentatives de décloisonnement proposées par les réformes actuelles me paraissent au mieux maladroites et au pire provoquer la confusion. Chaque discipline a son identité propre mais elles sont toutes interdépendantes. Le collège propose encore trop peu d’occasions d’en prendre conscience. Pourtant, c’est la mise en pratique de cette interdépendance qui nous rend plus efficaces, ne serait-ce que dans les apprentissages, mais aussi dans nos pratiques sociales et professionnelles. Une éducation à la pratique de cette interdépendance nous rendrait collectivement plus intelligents.
Et justement, l’enseignement de la technologie peut être l’occasion de renforcer l’acquisition de connaissances et de compétences dans les autres disciplines, et donc la compréhension du monde, parce que c’est dans la réalisation d’une démarche de projet technologique que ces connaissances et ces compétences se rejoignent et peuvent être appliquées concrètement, prendre du sens au cours d’activités qui responsabilisent les élèves dans leurs décisions et leurs actions.
Mais tout cela demande une véritable refondation de l’école que nous ne voyons pas encore venir. La verrons nous naître au cours de ce nouveau quinquennat ?
Gilles,
Entièrement d’accord.
Le MEN ne fonctionne qu’en intérêt comptable.
les Responsables d’ Établissements, les élèves en sont les victimes…
Un prof bien usé qui a vécu cette triste décomposition
La technologie matière d’enseignement général n’est plus enseignée en France sauf par des partisans qui ont pris le maquis, au profit d’une technologie que l’on veut faire paraître plus noble parce ça parle de robot …. .On allait dans le mur, et la on y est, et pire on commence à gratter le mur avec nos dents et nos ongles faute d’avoir prévu d’apprendre aux profs à sauter par dessus.
Pour mémoire la technologie remonte aux années 70, et beaucoup de profs en poste on eu leur bac dans les années 80, quand le minitel relevait encore de la SF.
C’est triste de voir que les élèves apprennent plus et parfois mieux sur Youtube
RIP technologie
Bon courage à tous
Bonjour, prof de techno depuis plus de 20ans et de formation informatique industrielle, j’ai accueilli avec beaucoup d’espoir ce changement de programme, hélas l’utilisation de scratch comme outil de codage est à mon avis un très mauvais choix (structure loin de la réalité de la programmation, utilisation du signe égal inapproprié (affectation,égalité), pas de boucle « for » native, accès au E/S compliqué (Raspberry) bref encore une fois on va passer à coté de notre mission, à savoir : vulgariser , transmettre, épanouir. Le choix le plus évident en codage c’est le langage python. Langage de très haut niveau, adapté au collégien, structure claire, typage dynamique, programmation procédurale, programmation orientée objet, interface graphique très facile à mettre en œuvre (Tkinter), des modules à foison (turtle pour débuter par exemple). Langage utilisé partout : industrie, para-médicale, monde scientifique, astronomie, robotique…et normalement au lycée. Langage interprété qui se prête à merveille à notre devoir de pédagogie. Utilisable en robotique sur des cartes raspberry, gestion des E/S, interruptions etc..Le problème, encore une fois, c’est la formation des enseignants. Si on veut faire de l’informatique, il faut des informaticiens!! L’informatique ça ne s’apprend pas en 6 mois en lisant deux bouquins. Il faut former les profs de techno et de maths avec des vrais modules d’apprentissage dispensés par de VÉRITABLES INFORMATICIENS!! sinon nous risquons de passer encore une fois à coté de notre mission.
Cordialement
Un informaticien en colère.
Les professeurs de physique chimie peuvent aussi s’investir dans cette vague de programmation même dès le collège. Au lycée, il y avait l’option MPI (Mesures Physiques et Informatique) avant la réforme. Le savoir faire est là. Une pluridisciplinarité permettra de mieux appréhender les différents facettes d’un domaine très vaste et le rendre plus attractif.
Bref, il faut des formations ouvertes à plusieurs disciplines.
J’ai juste oublié de rappeler ce lien :
http://www.francetvinfo.fr/monde/ameriques/ces-patrons-de-la-silicon-valley-qui-interdisent-la-high-tech-a-leurs-enfants_695203.html
Professeur de technologie depuis 18 ans, j’ai passé 15 années dans le secteur industriel dans l’électromécanique, l’électronique et l’informatique (Installations, dépannages, laboratoire de recherche). J’avais de grands espoirs lors de mon entrée à l’éducation nationale, faire partager mes connaissances et mon expérience professionnelle.
Je me suis vite aperçu du gouffre entre l’EN et le monde du travail. J’ai essayé en vain de faire bouger les lignes à mon « petit niveau », mais le mammouth est très difficile à faire bouger.
Les différentes réformes ont leurs côtés positif et négatif comme partout.
Les deux aspects nombre d’élèves et budget demeurent les vrais nerfs de la guerre (quelle que soit la matière, mais encore plus en technologie !). En règle générale, les élèves sont contents de venir en salle de technologie, la disposition en îlots et les contenus des cours les changent des cours dit « papier ».
Pour intéresser les élèves, il faut effectivement les faire manipuler, qu’ils se questionnent, qu’ils soient étonnés, qu’ils soient fiers d’avoir résolu un problème ou de ce qu’ils ont fait. Il faut leur proposer autre chose que ce qu’ils peuvent avoir à la maison !
La technologie est la matière idéale pour cela. Cependant, Les séances de manipulation à 30 ou 31 élèves relève parfois du marathon tant les demandes des élèves sont nombreuses sans compter les classes exiguës qui n’ont pas été prévues pour des travaux en îlot, bref on s’adapte !
En ce qui concerne la nouveauté sur la programmation, en 5°, j’utilise un peu scratch (pour démarrer) et beaucoup plus mblock (suite logique de scratch pour l’Arduino) et d’expérience, je trouve ce mode de programmation plutôt bien pour des collégiens et j’ai été agréablement surpris par la facilité de prise en main par les élèves.
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– Pas de barrière de la langue (anglais) comme dans le C
– Pas d’oubli de parenthèses ou d’accolade non refermée, pas de nécessité d’indentation (facilité de déboggage)
– Pas de connaissance en électronique compliquée (utilisation du shield d’Arduino)
– Interface conviviale colorée (par groupes de fonctions)
– Résultat rapide et concret du programme (trés important pour les élèves)
– Lien facile entre l’organigramme et le programme en lui même
– Les logiciels sont disponibles en ligne gratuitement (avec MAJ) et pour quelques dizaines d’euros de plus avec Arduino. Cela permet aux élèves de montrer à la maison ce qu’ils ont appris en technologie et pour les passionnés de programmation de prolonger les cours (les productions des élèves sont parfois bluffantes).
Sur une séance de cours, on arrive à faire passer une notion de programmation, ce qui serait beaucoup plus compliqué avec les « pièges » d’un langage traditionnel.
De la même manière que la technologie n’est pas là pour faire de tous les élèves des techniciens, les cours de programmation n’ont pas pour vocation de faire d’eux tous des informaticiens, mais de mieux comprendre le monde qui les entourent.
Avec l’informatique les élèves apprennent déjà la logique et la rigueur nécessaire en programmation et c’est déjà très bien. Les langages plus évolués peuvent être appris lors de clubs et il sera toujours temps en 3° voire au lycée d’aborder les langages C ou autre.
La technologie est au cœur de notre monde moderne et touche ou touchera une immense majorité des métiers d’aujourd’hui ou de demain. C’est une matière essentielle pour leur vie d’adulte (attention à la fracture numérique) ! Hélas, elle est souvent peu mise en avant dans les programmes du collège.
A quand une agrégation de technologie ? cela veut tout dire !
Bonjour
Vous parlez d’une classe de 28, chez nous au Maroc c’est 40. En plus la technologie n’est pas généralisée dans tous les collèges. Pas de recrutement des profs de techno et le pire c’est qu’on nous oblige à enseigner les math ou physique
Vous devriez déjà former des enfants aux métiers de base tels que l’ajustage,le tournage et le fraisage appuyer par des cours très étendus de technologie et de dessein industriel.
Le numérique ne doit être que le complément à ceux ci.
C’est ce que recherche l’industrie, RIEN d’autre!
La suite de formation doit être donnée exclusivement dans les entreprises qui Elles ont l’argent, les moyens spécifiques de chaque métiers et le personnel qualifié et déjà formé au milliers de machines qu’aucun centre d’Enseignement peux s’offrir!.
Qui enseigne les métiers dont les entreprises ont besoins ? Tels Méthodes Temps, stemiste, analyste de la valeur , ordonnanceur planificateur, chrono-analyseur,-préparateur de fabrication , Agent de méthodes de fabrication, codificateur des plans de charges , préparateur de Manuel de procédure , Technicien de gestion de production etc………