harcèlement scolaire

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En France, 10% des élèves se disent harcelés. Alors que des collégiens ont interpellé les candidats à l’élection présidentielle, des méthodes inspirantes de prévention et d’intervention ont déjà été expérimentées dans certains établissements.

Sensibiliser le groupe pour désamorcer le harcèlement

Bertrand Gardette, co-fondateur de l’APHEE (association pour la prévention du harcèlement entre élèves) et CPE au lycée Lafayette de Clermont-Ferrand, développe depuis 15 ans une méthode de sensibilisation du groupe, dont l’objectif est de désamorcer le plus tôt possible les cas de harcèlement scolaire.

“Il existe une relation triangulaire entre la victime, l’agresseur et le reste de la classe. L’objectif est de convaincre les pairs, qui ont un rôle déterminant, de basculer du côté de la victime, et non de l’agresseur”, explique le CPE. L’idée : sensibiliser la classe dès la rentrée en seconde (au collège, en 6e), via des témoignages vidéos et en discutant.

"Les élèves ambassadeurs Respect Zone du collège Saint-Pol-Roux ont une question à poser aux candidats à l'élection présidentielle...où comment intéresser les collégiens au débat électoral."

Les « Ambassadeurs Respect Zone » du collège Saint-Pol-Roux (Brest) / capture vidéo

“Les élèves définissent eux-mêmes ce qu’est le harcèlement, ses conséquences… puis sont amenés à réfléchir à des solutions si cela survenait dans la classe”, explique Bertrand Gardette. Selon lui, la prévention “n’éradiquera pas” le phénomène, mais permet aux élèves “de repérer le plus vite possible” un cas, afin d’opérer eux-mêmes une “médiation entre l’agresseur et sa cible”, ou de “passer le relai aux adultes, si cela n’est pas possible”.

Prévenir pour briser l’omerta

Bertrand Gardette constate que grâce à la prévention, l’omerta qui plane en général autour du harcèlement est facilement brisée : “ce ne sont pas les victimes, fragiles, qui viennent nous voir : les cas nous sont généralement signalés par leurs camarades”.

La sensibilisation, véritable “formation”, peut être menée par un adulte – comme Bertrand Gardette dans son établissement -, mais aussi par des élèves. Prof de philo à la retraite, co-fondateur de l’APHEE, Jean-Pierre Bellon a lui aussi mis en place ce système de sensibilisation, mais en “rendant les jeunes acteurs de la prévention”.

Dans son ancien lycée de Cournon-d’Auvergne (Puy-de-Dôme), depuis 2004, une équipe d’élèves sensibilise les plus jeunes, dès la rentrée. “On s’est aperçu qu’ils écoutent beaucoup plus leurs pairs que des adultes”, constate Jean-Pierre Bellon. Les jeunes volontaires sont aussi chargés d’un rôle de “vigie” – ils “observent ce qui se passe”, notamment sur les réseaux sociaux, puis collaborent avec les adultes. Ils interviennent aussi dans d’autres établissements – en particulier des collèges.

Intervenir : la méthode de la “préoccupation partagée”

Mais pas question de se limiter à la sensibilisation. “Si vous faites de la prévention, mais que vous ne mettez pas en face une équipe pour traiter la situation, vous aggravez le problème, car vous incitez les cibles de harcèlement à se signaler sans les aider ensuite”, explique Jean-Pierre Bellon.  Le prof à la retraite a ainsi adopté dans son ancien lycée la méthode suédoise de la “préoccupation partagée”, ou “méthode Pikas”. L’idée de cette démarche, développée par Anatol Pikas, psychologue de l’éducation dans les années 1970 : se focaliser sur les harceleurs.

film 1'54“Quand un élève chargé de la vigie repère un début de harcèlement, il prévient une équipe de 3 ou 4 adultes volontaires (enseignants, CPE, personnels de santé), dédiée au traitement des situations”, explique Jean-Pierre Bellon. Cette équipe n’a pas le pouvoir de punir : “la sanction à elle seule ne fonctionne pas, et a même souvent pour effet de renforcer le problème, puisque le harceleur se retourne ensuite sur sa cible”, indique-t-il.

La méthode de la préoccupation partagée consiste à rencontrer, une fois ou plusieurs fois, individuellement, le ou les harceleurs. “Sans chercher à donner à la situation un aspect policier, on explique à l’élève face à soi que l’on est préoccupé par la situation de la victime. Et on lui demande ce qu’il peut nous en dire, sans l’accuser ou le culpabiliser”, explique Jean-Pierre Bellon.

La deuxième phase de l’entretien consiste à associer le harceleur au règlement du problème dont il est la source. “On lui demande ce qu’il pourrait faire pour aider le harcelé : on le rend acteur du retour au bien-être de sa victime”, note l’ex-enseignant. “S’il refuse de reconnaître les faits et de trouver une solution, il y aura un nouvel entretien quelques jours plus tard”, ajoute Jean-Pierre Bellon. Selon lui, “l’intervenant Pikas” doit être bienveillant, mais surtout obstiné : “il ne lâchera pas et continuera les entretiens jusqu’à ce que la situation s’arrête”.

« Créer un climat de paix »

D’après le co-président de l’APHEE, les résultats de la préoccupation partagée sont là : “plus de 80% des cas de harcèlement sont résolus grâce à cette technique. Car dégagés du poids d’une menace de sanction, les harceleurs ne se sentent pas accusés, et vont spontanément trouver une solution au problème de leur cible”. Il constate par ailleurs que “plus les élèves sont jeunes, plus cela fonctionne”.

“Face à un adulte qui le place en position d’aider celui à qui il a fait du mal, le harceleur est désarmé, et va très vite trouver une solution”, poursuit Jean-Pierre Bellon. Parfois, cette solution peut être “navrante de simplicité”, estime-t-il : “on va par exemple arrêter de se moquer du harcelé, ou de lui donner des surnoms”. Et d’ajouter que l’objectif “n’est pas d’en faire des amis, mais à créer un climat de paix”.

1'54Actuellement, une centaine d’établissements scolaires ont adopté la méthode Pikas. Avec l’APHEE, Jean-Pierre Bellon oeuvre à la répandre : il a déjà formé 360 personnels d’éducation dans les Hauts-de-Seine, et développe une plateforme francophone consacrée à la préoccupation partagée, destinée à mettre en relation tous les professionnels l’ayant expérimentée.

“Pour chaque établissement, il faudrait une équipe dédiée au traitement des situations”, estime-t-il. S’il se réjouit que le gouvernement ait “repris notre idée de sensibilisation par les pairs en 2015 avec le dispositif des “Ambassadeurs Lycéens”, il déplore ainsi le fait “qu’aucun outil n’existe à côté pour régler les cas de harcèlement eux-mêmes”.

Amener les pairs “à ne plus cautionner” le harcèlement

Lorsque la méthode Pikas ne fonctionne pas, quand le harceleur ne coopère pas et que la situation est plus grave, “le chef d’établissement prend le relai, pour passer alors à la sanction”, note Jean-Pierre Bellon.

Mais avant de passer à cette “étape ultime”, il est aussi possible, constate Bertrand Gardette, de faire à nouveau appel à la dynamique de groupe. “On agit sur les pairs : quand on les amène à ne plus cautionner le harcèlement, et à ne plus rire avec l’agresseur, ce dernier se met en retrait”, constate-t-il.

“Le harceleur est lui-même sensible au regard que porte le groupe sur lui, et quand ce dernier désapprouve son attitude, cela suffit parfois à la neutraliser”, conclut le co-président de l’APHEE.