
Vincent Faillet, prof de SVT au lycée Dorian (Paris), a mesuré l’impact de la classe inversée.
Pourquoi avoir voulu « mesurer » l’impact de la classe inversée ?
En 2014, je m’étais inscris dans un cursus de doctorat, et je cherchais un sujet de thèse. Je me suis intéressé à la classe inversée, mais en me penchant sur la littérature, je me suis rendu compte qu’il y avait peu d’études sur le sujet… et que celles qui existent comportent des biais méthodologiques. Elles étudient la classe inversée sur une année N, puis la comparent avec une année N-1, avec des élèves différents !
Je m’interrogeais sur l’intérêt grandissant des profs pour la classe inversée, alors qu’aucune étude scientifique rigoureuse n’existe, quant à son impact sur les résultats des élèves. On n’imagine pas diffuser un médicament avant de l’avoir testé. J’ai donc mené une expérience au lycée Dorian, sans aucun a priori.
Comment s’est déroulée cette expérience, concrètement ?
L’objectif était de quantifier l’effet de la classe inversée sur les résultats des élèves. Je ne voulais pas être à la fois juge et partie, et l’idée était donc de faire expérimenter cette méthode pédagogique à des collègues. En 2014, j’ai donc convaincu deux profs volontaires (enseignants de physique-chimie en Première S) de mon établissement, de tester cette pratique sur leurs classes – au total, 70 élèves. La première moitié de l’année, les élèves suivaient un enseignement « traditionnel », et la seconde moitié était « inversée ».
Ce qui m’intéressait, c’était le rendement des élèves. Chaque point de chaque contrôle était sérié selon qu’il avait été obtenu dans un cours non inversé ou inversé. J’ai ainsi pu calculer une moyenne annuelle relative à un enseignement traditionnel – une moyenne « académique » -, et une autre relative à un enseignement inversé – une « moyenne classe inversée ». En comparant les deux, j’ai obtenu un « indice de performance » en classe inversée, sur une année scolaire. Plus l’indice de performance est élevé, plus l’impact de la classe inversée sur la moyenne est bénéfique.
Et quel constat avez-vous pu tirer à la fin de cette expérimentation ?
J’ai constaté, d’une façon très flagrante, que le rendement est nettement meilleur pour les élèves en difficulté, et nettement moins bon pour les bons élèves.
Les élèves qui obtenaient des points de moyenne en plus étaient ceux qui étaient en difficulté, ou réputés « faibles ». Ils augmentaient sensiblement leurs résultats. À l’inverse, les « bons élèves » perdaient des points, certains allant jusqu’à passer de 16 à 13 de moyenne.

Avec la classe inversée, les élèves de David Bouchillon (prof d’histoire) sont « mis en activité »
Comment expliquer ces résultats ?
J’ai étudié deux classes, je ne prétend pas dire que c’est la réalité. Quantitativement, cette étude n’est pas suffisante pour en tirer des vérités. Mais qualitativement, c’est intéressant. J’ai voulu comprendre pourquoi des élèves étaient mis en difficulté par la classe inversée. La partie la plus importante de mon étude, ce fut les entretiens réalisés avec les élèves.
Exemple : un élève de niveau A (très bon niveau), a perdu plus de 3 points en classe inversée. Il m’a confié qu’en cours traditionnel, depuis le collège, « on revoyait bien, on posait des questions au professeur si on avait des problèmes de compréhension ». Ce qui se passe, c’est que ces « bons élèves » sont « bons » parce qu’ils ont été sélectionnés par le système traditionnel, centré sur les cours magistraux.
Il s’agit d’élèves adaptés au cours magistral. Pourquoi ? Parce qu’ils ont une capacité d’écoute, d’interaction avec l’enseignant (si je n’ai pas compris, je lève la main, j’ose demander)… et ce sont des élèves qui, étonnamment, ne travaillent pas chez eux. Ils n’en ont pas besoin, car ils comprennent tout en cours. Le problème est là. Ces élèves ont été sélectionnés sur une capacité d’écoute, et le système leur convient. Si vous le changez, ils ne sont plus adaptés à ce nouvel environnement.
A l’inverse, pour les élèves en difficulté, la classe inversée se révèle être un outil performant de remédiation, permettant de redonner confiance à certains élèves du lycée dépassés par un système trop souvent transmissif, et pas assez permissif. Par exemple, cet élève de niveau D, qui a gagné 1,2 points en classe inversée, m’a dit : « le fait d’avoir la leçon en vidéo me donne envie de la regarder, alors que quand j’écris, j’ai une écriture pas très jolie, et ça me donne moins envie de la lire. La classe inversée me pousse vraiment plus à travailler ». Résultat, les élèves en difficulté arrivent en cours en ayant travaillé leur leçon – au contraire des « bons élèves ».
Les élèves en difficulté, souvent, ont des cours assez disparates, car ils ratent des informations, prennent mal en note. Pour eux, c’est un changement de paradigme : ils rentrent chez eux et disposent désormais de la leçon, parfaitement produite. La classe inversée leur permet d’avoir déjà le cours, de ne pas avoir besoin de trop écrire… et ils se sentent obligés d’apprendre le cours, car ils n’ont pas de trace écrite.

La « classe mutuelle » de Vincent Faillet – l’enseignant est au milieu de groupes, et invite les élèves à créer eux-même le cours et à s’entraider / capture reportage JT de TF1
Pour vous, la classe inversée n’est pas une panacée…
A la fin de mon étude, j’ai conclu que la classe inversée était un formidable outil de remédiation pour les élèves qui ne sont pas adaptés au système transmissif, et qui ont besoin de quelque chose de plus permissif. Le fait d’inclure un peu de classe inversée dans chaque chapitre leur redonnera sans doute un peu de confiance en eux… Mais attention à ne pas faire de la classe inversée le nouveau dogme à la mode, car elle ne convient pas à tout le monde !
En tant que chercheur, je ne dirai pas à l’enseignant ce qu’il doit faire, mais il me semble important de ne surtout pas s’enfermer dans un seul modèle. De la même façon que beaucoup de personnes aujourd’hui, et parfois avec virulence, attaquent le cours magistral parce qu’il est érigé en dogme, il ne faudrait pas se dire que l’on va tout faire en inversé. Des leçons ne s’y prêtent pas du tout pour moi – mais il s’agit de mon avis d’enseignant. La classe inversée permet de gagner du temps pour faire des pédagogies actives, mais il faut savoir qu’en inversant le cours, l’on risque de perdre certains « bons » éléments…
Il faut aussi rappeler que l’on peut faire de la pédagogie active sans inverser le cours, en réduisant juste un peu le cours magistral (qui reste important, comme moment d’échanges et de transmission de l’information) !
Il n’y a pas de méthode miracle. Et le risque, en faisant de la classe inversée un dogme, est d’éluder et de passer sous silence les expérimentations et innovations de nombreux enseignants – comme les twictées, le ré-aménagement des salles de classe, l’instruction par les pairs, la collaboration entre élèves, l’échange entre classes… Tout cela, on n’en parle pas, et c’est un peu dommage !
Une innovation peut être quelque chose d’ancien, mais avec un regard nouveau, une nouvelle approche. Et il est possible de faire de la pédagogie active sans inverser le cours. L’utilité de la classe inversée dépend de la matière, de l’enseignant, de la classe, des élèves… Il ne faut ni la diaboliser, ni en faire une panacée éducative. Ce n’est ni une catastrophe, ni une baguette magique.
Aucun dogme en classe mais bien de l’ intelligence pédagogique. Le » menu unique » classe inversée pour tous ou cours magistral ou encore travail de groupe à toutes les heures est à bannir. Nous en sommes encore parfois à rechercher la recette magique
D’où l’intérêt d’être formé à de multiples pédagogies ( ce qui n’est pas toujours le cas dans les ESPE) pour pouvoir ensuite piocher dans ces méthodes celle qui convient au moment, aux élèves, aux apprentissages ! merci pour cet article qui conforte l’idée que je me faisais de la classe inversée : un outil de plus 🙂
Il faudrait aussi revoir le mode d’évaluation, avec des critères différents sans doute. En pédagogie inversée ou dans d’autres modes alternatifs, la finalité n’étant plus l’unique acquisition de connaissances mais bien plus que ça.
Je pense que vous avez raison, elle ne convient pas à tout le monde….Mais le face à face non plus. Un « bon » qui passe de 16 à 13 n’est pas vraiment bon, il manque d’autonomie et ne travaille pas chez lui 🙂 et, pour pratiquer la CI depuis quelques années, ce genre d’élèves à besoin ENORMEMENT d’accompagnement, car ils ont une autonomie proche de 0, ce que fabrique notre système scolaire.
Merci pour votre étude qui doit nous faire réfléchir sur nos pratiques en inversé. J’ai constaté la même chose concernant les difficultés des » bons élèves » au début pour qui la classe classique fonctionne bien. Cependant, il semble que la « hiérarchie » se rétablisse assez vite une fois les modalités du cours comprises et acceptées. En effet’ les élèves performants vont tres vite prendre de l’avance sur les vidéos, être plus vite autonomes sur les activités et aller plus loin, quitte à réaliser d’autres travaux non demandés. J’ai pas mal de retours positifs sur le fait d’être en action et de produire des choses plutôt que de rester passif et de parfois s’ennuyer en classe. Je suis totalement d’accord pour dire que ce n’est pas une solution miracle et qu’il faut varier les pratiques, ne soyons’pas naïf sur ce sujet!
Bonjour,
Ce qui me surprend c’est que vous évaluez l’impact de la classe inversée en vous référant a des procédures d’évaluation traditionnelles, qui n’ont pas été spécifiquement été conçues pour ce type de demarche. Ce montre surtout votre étude, c’est qu’introduire des démarches pédagogiques nouvelles n’a pas grand sens si l’on ne fait pas évoluer en même temps l’évaluation des élèves.
On n’arrivera pas à progresser tant qu ‘on continuera à vouloir faire des classes uniques. Pourquoi ne pas admettre qu ‘il faut faire des classes par niveau et adapter la pédagogie en fonction des capacités des élèves au lieu des vouloir tous les éduquer de la même façon ?