tournage 1'54

Credit : Bertrand Calmeau

Pourquoi avoir choisi le thème du harcèlement scolaire pour votre premier long métrage ?

Deux univers se côtoient dans 1:54. D’un côté, celui du sport, du dépassement de soi, de la rivalité. Et de l’autre, celui de l’école. J’ai la chance de n’avoir jamais réellement quitté l’univers des ados, je suis comédien depuis l’âge de 8 ans, et je n’ai jamais arrêté de faire des émissions pour la jeunesse. J’ai créé des liens très étroits avec les jeunes, je discute beaucoup avec eux et je connais bien leur réalité. C’est cette réalité que j’ai voulu ancrer dans un film, à travers le point de vue de Tim, le jeune garçon harcelé. Je voulais qu’on vive ce qu’il vit, que l’on ressente son oppression, car tant qu’on ne vit pas le harcèlement, il y a de la difficulté à avoir de la compassion, à comprendre.

Tout ce que Tim subit dans le film, les humiliations, les commentaires sur Facebook, est une réalité aujourd’hui, mais certaines personnes ont du mal à le croire. On m’a dit par exemple : les commentaires que Tim reçoit sur les réseaux sociaux, c’est un peu cliché, non ? La vérité, c’est que je n’ai pas écrit ces commentaires. Je suis allé sur Internet, j’ai copié des commentaires dans mon scénario et j’ai changé les noms. Et ils ne datent pas de 2002, ce sont des commentaires récents. C’était mon but, celui d’être le plus vrai possible. Malheureusement, tout ce qui est montré est d’actualité.

film 1'54Comment avez-vous préparé votre film pour justement vous approcher au plus près de cette réalité ?

J’ai fait beaucoup de recherches. J’ai parlé avec des jeunes, beaucoup passé de temps avec eux, mais je le faisais déjà avant.

J’ai aussi demandé l’avis de mes comédiens, qui connaissent cette réalité, ils ont l’âge de mes personnages. J’ai aussi consulté des professeurs, mais le problème pour eux est qu’en cas de harcèlement scolaire, les étudiants ne s’ouvrent pas à eux, car ils pensent que s’ils parlent, ce sera pire.

harcèlement scolaireLe film peut-il justement aider les enseignants à mieux comprendre et repérer le harcèlement scolaire ?

Certains m’ont dit en effet que cela leur donnait une porte d’accès à un monde dont ils ne connaissent pas tous les aspects. Le harcèlement est parfois beaucoup plus subtil que ce que l’on peut penser, ce n’est pas juste une claque dans la figure. Quand la claque arrive, il y a déjà eu beaucoup de petites humiliations avant. Des choses que les professeurs ne voient pas forcément, et c’est normal. Une petite anecdote de tournage : nous avons tourné dans un vrai lycée, avec de vrais élèves. Après quelques jours dans l’école, les lycéens, sans connaître l’histoire du film, ont intégré les acteurs au sein de l’établissement. Les acteurs qui jouaient Jeff et Pat, les élèves populaires, harceleurs dans le film, étaient devenus des gens très appréciés. On les respectait, on les invitait à manger… l’acteur qui jouait Tim, quant à lui, se faisait souvent bousculer, passer la main dans les cheveux, et s’est même fait lancer une bouteille d’eau dans les jambes ! Et moi, qui étais là tous les jours avec ma caméra, je n’ai rien vu ! Je n’ai appris cette histoire que quelques mois plus tard, quand les acteurs me l’ont racontée.

1'54La fin du film est brutale et inattendue. Qu’avez-vous souhaité exprimer par ce dénouement ?

Ce que je voulais avec cette fin, c’est montrer jusqu’où les choses peuvent aller, même si cela ne se termine pas forcément ainsi. Beaucoup de collégiens et de lycéens m’ont d’ailleurs confié qu’ils étaient contents que je n’ai pas mis de lunettes roses, et que leur réalité n’était pas toujours belle. Une jeune fille, qui avait tenté de se suicider après du harcèlement, m’a ainsi raconté que lorsqu’elle était revenue au collège, quelques jours après le drame, ses harceleurs lui avaient dit, « pour rire » : « tu aurais dû crever » !

Quel accueil a reçu le film au Québec ?

Après la sortie du film, j’ai reçu beaucoup de messages de jeunes me disant qu’ils vivaient la même chose que Tim. J’étais souvent la première personne avec laquelle ils échangeaient à ce sujet.

Deux jeunes hommes sont même venus me dire après une projection : « on vient de réaliser, grâce au film, qu’il y avait un Tim au lycée, et que nous étions les Jeff ». Ils ne s’en rendaient pas compte, car pour eux, c’était pour rigoler ! Mais la personne qui subit le harcèlement ne rigole pas et cela peut beaucoup l’affecter. Le but du film est justement d’ouvrir le dialogue sur ce problème, de briser le silence que le harcèlement créé.

film harcèlement scolaire

Credit : Bertrand Calmeau

Après avoir vu le film, comment l’enseignant peut-il l’exploiter avec sa classe ?

Je conseille d’abord aux profs d’aller voir le film avec leur classe, mais plutôt au cinéma qu’à l’école. Parce que c’est une zone neutre. Pour un élève victime de harcèlement, l’école est la maison de son bourreau. Il y ressentira une oppression qui l’empêchera de parler librement. Mais au cinéma, il n’y a pas de hiérarchie préétablie. On s’assoit où l’on veut dans la salle, par exemple. Et le cinéma permet une vraie ouverture de dialogue.

Pour les profs il existe un dossier pédagogique, qui est une vraie aide pour ouvrir les discussions par la suite. Il peut ainsi prendre un peu de temps dans la salle de cinéma pour savoir ce que les jeunes ont pensé du film, et laisser aller leurs commentaires.

L’observation de la réaction émotive des ados face à certaines situations du film peut aussi parfois être révélatrice pour l’enseignant.

Le film se passe au Québec, la lutte contre le harcèlement scolaire y est-elle prise au sérieux par le ministère de l’Education ?

Il y a des campagnes contre le harcèlement bien sûr, non seulement au Québec, mais dans tous les pays où le film a voyagé : Belgique, Australie, Corée du Sud, Etats-Unis, Italie… C’est la même réalité partout.

Le hic, comme m’expliquent beaucoup d’élèves, c’est qu’ils en entendent parler, mais ne le voient pas forcément quand ils ne sont pas directement concernés. Certains apprennent que leur meilleur ami est victime de harcèlement seulement lorsque celui-ci tente de se suicider ! Les témoins oculaires sont importants, mais ne prêtent pas forcément attention à l’élève qu’ils voient se faire pousser contre un mur, car ils estiment que ce n’est pas si grave. Si l’on faisait le premier pas, même si on ne connaît pas la personne, si on allait vers elle pour lui demander comment elle va, lui porter attention, on pourrait contribuer à l’ouverture de ce dialogue qui est essentiel.