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L’introduction du prédicat dans les programmes du cycle 3 divise les enseignants. Pour vous, l’enseignement de cette nouvelle notion est-il utile pour l’apprentissage de la grammaire ?

Bien sûr que non : elle est utile pour ne plus faire de grammaire, au contraire. Le prédicat, tel qu’il est enseigné, empêche de penser la langue : un attribut (du sujet) ou un complément d’objet direct (du verbe) sont rigoureusement opposés (pour le sens comme pour l’accord). Ils sont désormais englobés dans un ensemble indistinct !

Reporter au collège la compréhension du COD, c’est ne plus pouvoir expliquer en primaire pourquoi, dans une phrase, « elle » peut devenir « la » ou « qui » peut devenir « que ». Et avec les conséquences pour appréhender d’autres langues par la suite : les professeurs de langues se plaignent déjà du manque de compétence grammaticale en français des élèves.

Les attaques contre l’enseignement du prédicat semblent parfois contradictoires : certains évoquent un « appauvrissement » de la grammaire tandis que d’autres dénoncent une « complication », avec l’ajout d’une notion supplémentaire à retenir. Que pensez-vous de ces critiques ?

La défense du prédicat est tout aussi contradictoire : degré d’analyse supplémentaire selon les uns ou simplification pour les plus jeunes, selon les autres. En réalité, complication parce que c’est ajouter un nouveau terme inutile, et appauvrissement parce que ce concept éclipse volontairement des degrés d’analyse plus précis et nécessaires, comme nous l’avons vu.

Les promoteurs du prédicat se veulent rassurants : selon Michel Lussault, président du Conseil supérieur des programmes, le COD ne disparaît pas : il est même enseigné dès le cycle 3. Dans les nouveaux programmes, il n’est pourtant mentionné qu’au cycle 4 (et seulement pour l’accord du participe) : il n’est pas même retenu dans la « terminologie utilisée » ! D’ailleurs, les mêmes qui assurent qu’il ne disparaît pas sont les premiers à souligner l’inutilité du COD pour l’accord du participe, voire à le présenter comme « un monstre […] qui n’a pas vraiment de sens ». Drôle de défense ! Rappelons que la première version des programmes prévoyait la suppression pure et simple du COD…

Comprenez-vous que certains enseignants et parents soient perdus face à l’introduction de cette notion ? Pensez-vous que les profs soient suffisamment formés dessus ?

Michel Lussault ironise en affirmant que cette notion grammaticale n’est pas nouvelle et qu’elle remonte même à Aristote. En admettant que ce soit vrai, il suffit pour les élèves qu’elle soit nouvelle dans les programmes.

Les élèves qui ont appris le COD en CE2 l’an passé apprennent désormais le prédicat en CM1 ; les parents quant à eux découvrent éberlués « prédicat » et « compléments de phrase » dans les manuels ; les professeurs eux-mêmes sont perplexes à propos d’une notion nébuleuse : certains disent que c’est la fonction du verbe, d’autres du groupe verbal. Plus grave : les programmes postulent l’existence d’un seul « prédicat de la phrase », ce que confirme un inspecteur de lettres au cours d’une formation à la réforme du collège, tandis que des universitaires affirment… qu’il peut y en avoir plusieurs. Quelle clarté !

La tradition scolaire, avec ses défauts peut-être, a la vertu d’établir un lien entre les générations : pourquoi s’évertuer à l’effacer ?

Pourquoi, selon vous, une telle polémique s’est-elle installée autour du prédicat ? Que pensez-vous de l’emballement médiatique qui a suivi ?

Le prédicat n’est qu’un aspect parmi bien d’autres d’une réforme très critiquable des programmes et du socle commun, tant du point de vue de la forme (rédigés dans la précipitation et sans consensus : les programmes ont d’ailleurs été rejetés au CSE par la communauté éducative en 2015) que du fond : la maîtrise de la langue en général y devient plus relative, le français n’étant plus qu’un « langage » parmi d’autre langages (« les langages mathématiques, scientifiques et informatiques ; les langages des arts et du corps. »).

L’oral a pris symboliquement la première place dans les programmes, dans une tendance qui n’est pas nouvelle il est vrai, la littérature s’efface au profit de la communication et la maîtrise de l’écrit est de moins en moins exigeante, une évaluation « positive » palliant parallèlement les difficultés de plus en plus graves des élèves. L’inspection générale a même proposé récemment un nouveau barème pour rendre passables les copies les plus inacceptables au brevet !

Enseignement déstructuré avec la réforme du collège, rectifications orthographiques autoritaires (de l’aveu des éditeurs), volonté de supprimer l’enseignement des langues anciennes et désormais appauvrissement de la grammaire : difficile de ne pas créer une polémique avec un tel feu nourri contre l’intelligence de notre langue. On voudrait créer des inégalités qu’on ne s’y prendrait pas autrement.