
Marie-Hélène Fasquel-Erhart, finaliste du Global Teacher Prize © Global Teacher Prize Varkey Foundation
Parlez-nous de votre parcours.
J’enseigne depuis 18 ans, j’ai commencé au lycée Giraux Sannier de Saint-Martin-Boulogne où j’ai enseigné de la seconde à la terminale en passant par un BTS en comptabilité-gestion. J’ai aussi travaillé en primaire et en fac en didactique des langues.
À côté, j’ai écrit des livres aux éditions Ellipses et Hatier, des manuels extra-scolaires de compréhension et d’expression écrite pour le bac, de vocabulaire, des prépa pour le baccalauréat général, le BTS… J’ai également été formatrice TICE, sur les nouvelles technologies. Je suis arrivée à Nantes il y a 2 ans et demi et j’y enseigne la littérature américaine dans une section internationale au lycée Nelson-Mandela.
Comment êtes-vous arrivée au Global Teacher Prize ?
On m’en avait parlé l’année dernière, je m’étais dit qu’avec 50 finalistes dans le monde ce n’était même pas la peine d’essayer, donc j’ai laissé tomber. Et cette année (2016) on m’y a de nouveau poussé et je me suis dit « qu’est-ce que j’ai à perdre ? » Il y avait sept questions à répondre en 500 mots maxi, ça n’a pas pris des heures. J’avais même oublié que j’avais candidaté… Un jour, sur mon lit d’hôpital alors que je venais d’être opérée, j’ai reçu le mail d’invitation qui me disait que j’étais retenue.
Le prix récompense « un enseignant à la fois innovant et attentif, et dont l’influence a été source d’inspiration pour ses étudiants ». En quoi cela vous caractérise ?

Knowledge Construction and Critical Thinking award @Mariehel2
En mars 2013, j’ai obtenu le prix national de l’innovation à l’Unesco. C’était un concours pour tous les niveaux et sur toutes les matières. Alors je me suis dit pourquoi ne pas tenter l’international ? J’ai postulé et je me suis retrouvée dans les 250 retenus sur des milliers pour aller à Barcelone au Global Forum organisé par Microsoft.
Je n’en revenais pas, c’était magique. Là-bas y avait deux jurys qui venaient nous noter et j’ai fait tout ce que j’ai pu pour les motiver, les enthousiasmer, j’ai fait partie des 10 finalistes, des 10 primés… C’était un projet international avec la Turquie et l’Italie, il y avait une grosse utilisation des outils du web 2.0, des tâches successives. J’ai demandé à mes élèves de prendre des photos de leur environnement immédiat, certains ont pris des jolies photos d’environnement, ils expliquaient pourquoi ils n’avaient pas envie que cela change, pour d’autre c’était des cigarettes par terre, etc. Travailler avec ces deux autres pays les intéressaient, ils sont partis de là pour élargir leur vision de l’environnement. Ensuite il y avait une réflexion sur la beauté des lieux, la mise en danger d’un site et à partir de ces photos ils avaient rédigé un article qui leur permettaient d’engager la conversation avec les autres lycéens.
Ils ont analysé les articles des autres groupes, partagé et collaboré. Ils participaient aussi à un concours de création de logos et de posters interactifs. C’est génial pour un gamin que ce qu’il fait soit retenu pour un concours. Tout ce que nous faisons, c’est pour eux.
Le Global Teacher Prize c’est aussi pour vos élèves ?
Oui. Quand j’ai ramené les prix nationaux et internationaux, certains élèves ont pleuré de joie. Ils étaient fous de joie que je sois dans les cinquante finalistes et la seule française. Ce prix n’a pas été créé pour mettre en valeur 50 professeurs, mais pour mettre en valeur la profession enseignante. Je suis sous le feu des projecteurs mais je représente la profession. Quand j’irai à Dubai, ce sera pour représenter la France et ça, c’est très important.
Si vous gagnez, vous toucherez près d’un million de dollars. Qu’est-ce que vous en feriez ?
Je ne vois pas comment je pourrais gagner, nous sommes 50, nous avons été choisis parmi 22 000 personnes, tous les dossiers sont bétons et j’ai beaucoup de collègues à qui je souhaite de gagner car ils sont du tiers-monde… Mais si jamais je gagnais, ce que j’aimerais, c’est aider tous les élèves, en particulier les décrocheurs. Cela me tient particulièrement à cœur, ayant enseigné à Giraux Sannier dans une classe de la réussite, et venant moi-même d’un milieu assez modeste.
Je voudrais ainsi mettre en place dans le quartier juste à côté de chez moi quelque chose d’assez alternatif (qui ressemble à ma manière d’enseigner) : si ce sont des jeunes décrocheurs, c’est que le système n’a pas fonctionné pour eux, il faut donc essayer par des méthodes différentes de les raccrocher, de leur permettre de trouver leur talent, leur permettre d’être bien dans leur vie.
C’est un rêve. Je ne vois comment je pourrais gagner. Quand j’ai postulé je n’imaginais pas être dans les 50 car on était 22 000 ! C’est assez énorme, ça me dépasse encore maintenant, chaque fois que j’en parle je suis émue…
Vous avez été formatrice TICE : quels sont les bienfaits de l’école numérique selon vous ?

© Ermolaev Alexandr – Fotolia
J’utilise le numérique quand cela apporte une plus value. Quand mes élèves font des débats, ou n’importe quelle autre tâche à l’oral, je crée un Google Doc pour la classe et je leur demande de prendre des notes dedans.
A la fin de la journée, cela me permet de corriger, d’annoter, d’expliquer, de donner des conseils et de les mettre dans le dossier Dropbox dans lequel ils stockent tous leurs cours depuis la seconde. Tous les cours, les corrigés complets, les travaux corrigés ou annotés sont dans cette Dropbox, leur permettant s’ils sont ailleurs ou malades, de les retrouver. Ça leur permet d’y revenir n’importe quand.
L’autre avantage c’est la collaboration. Sans Internet, ce serait très difficile de collaborer quand on n’habite pas à côté les uns des autres, ça permet de faire des tonnes de travaux qui motivent les élèves et une ouverture à l’international, comme des Skype avec des auteurs anglophones. Sans les ressources numériques, je ne ferais pas d’eTwinning (plateforme d’échange entre enseignants européens) avec des pays du monde entier, je ne serais pas en contact avec des collègues de partout, et ne je ferais pas intervenir des experts dans ma classe qui vivent en Inde. Je ne vois comment je pourrais me passer du numérique aujourd’hui.
Vous êtes également une adepte de la classe inversée, pourquoi ?
Un collègue de mathématiques de Giraux Sannier avait mis en place avec le proviseur de l’époque une classe de la réussite, et il voulait faire de la classe inversée avec ses élèves, car rien n’avait fonctionné auparavant. Il m’a contacté, m’a demandé si cela m’intéressait de le suivre, et m’a expliqué ce que c’était. Je ne connaissais pas cette méthode d’enseignement, mais je lui ai répondu : « c’est que je fais, depuis des années ! »
J’avais en fait mis en place ce genre de méthode dans ma classe sans savoir que cela existait. On a travaillé avec ces jeunes qui n’aimaient pas l’école, à qui il avait été dit « vous n’êtes pas bons ». À la fin de l’année, ils aimaient deux matières : les maths et l’anglais. Alors que les maths, ce n’est pas vraiment pas la matière préférée des décrocheurs…
On avait donc réussi à raccrocher des décrocheurs grâce à la classe inversée. L’année suivante, nous avons mis en place avec 16 collègues turcs et européens le projet Let’s flip Together ! sur eTwinning. Il s’agit d’une expérimentation de la classe inversée en anglais. Le projet consiste à créer et à faire créer des jeux (en ligne ou traditionnels) pour impliquer davantage nos élèves et améliorer leur niveau dans cette matière. Nous avons travaillé ensemble et ces collègues ont commencé à former d’autres professeurs à la classe inversée.
Le lauréat du Global Teacher Prize 2017 sera connu le dimanche 19 mars.
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