Ceux qui comprennent les enseignants qui démissionnent

Auteur : Richard Villalon

Auteur : Richard Villalon

Pierre Bertrand, professeur de statistiques à l’université de Clermont-Ferrand :

« Je suis indirectement concerné par l’évolution de l’enseignement en collège, ou lycée. Je fais cours aux élèves sortant du lycée, je suis parent, ancien membre du jury de l’agrégation, président de jury de bac. La faiblesse des salaires des enseignants (les 2 mois d’été ne sont pas payés), le manque de considération, l’absence de discipline permettent d’expliquer la désillusion des jeunes collègues. J’ai eu l’impression d’un changement de comportement, d’une absence de respect des étudiants, qui daterait de 10 à 20 ans et plutôt le sentiment que les choses sont moins pires ces dernières années. Mais les rapports hiérarchiques sont différents à l’Université… »

Thérèse Clerc, présidente de l’Association pour le Développement de l’Enseignement de l’Allemand en France (ADEAF) :

« L’augmentation des démissions d’enseignants stagiaires et titulaires est un signal d’alarme à prendre très au sérieux. La profession est de moins en moins attractive, comme en témoignent les nombreux postes non pourvus au concours de recrutement du CAPES. Le contexte d’exercice du métier ne cesse de s’alourdir alors que les enseignants sont des acteurs majeurs de la réussite scolaire des élèves. Cette réussite est d’ailleurs au cœur de leur motivation professionnelle. Il est donc essentiel que l’institution les respecte, les soutienne, les accompagne, et leur donne les moyens de faire sereinement un travail de qualité plutôt que de mobiliser leur énergie dans la mise en œuvre de réformes contestées. La tâche des enseignants est complexe, les injonctions multiples. Ils ont besoin de conditions structurelles favorables, d’une formation initiale et continue adaptée. Ecoutons-les ! »

Il faut réfléchir aux souffrances des enseignants pour corriger les causes

Christian Couturier, enseignant d’EPS au lycée Jean Monnet à Montpellier et secrétaire national du SNEP :

« Il n’y a pratiquement pas de démissions en EPS car sans parler forcément de vocation, il s’agit d’un véritable choix. La formation, malgré les dégradations successives des 2 phases de mastérisation, est très ancrée sur le métier. Mais sur l’ensemble des matières, il s’agit d’un signe qu’il convient de prendre au sérieux. C’est avant tout un problème humain : c’est extrêmement douloureux de se rendre compte, après avoir fait 5 ou 6 ans d’études, que le métier choisi ne nous convient plus. La démission de certains enseignants est aussi liée à des problèmes non réglés qui se cumulent : l’attractivité du métier, la formation, les temps de stages, les conditions d’accueil dans le métier, les conditions d’enseignement proprement dites. Au lieu de minimiser la situation, on ferait mieux de réfléchir aux souffrances des enseignants pour corriger les causes : ça pourrait aussi servir à tous les professeurs qui restent en poste avec des conditions difficiles. »

Valérie Boucher, enseignante de Lettres modernes au collège Fernand Léger de Vierzon :

« Je ne pense pas qu’il faille expliquer les démissions de stagiaires par la rédaction du mémoire qui était déjà demandé par les IUFM (comme indiqué dans le rapport du sénateur Carle). En revanche, les formateurs IUFM sont passés à l’ESPE, alors que la réforme induit de nombreux changements, était-ce pertinent ? Avec le nombre important de postes au concours, le métier tente de plus en plus. Mais il reste un métier-passion. Sans parler de vocation, car c’est un métier que l’on apprend à aimer au fil de sa carrière, ceux qui tentent le concours pour tous les supposés « avantages » se retrouvent vite confrontés à la réalité : il faut y croire pour exercer correctement ce métier exigeant. Par exemple, les vacances sont pour moi une occasion de travailler sans plage de cours. Seule la moitié des grandes vacances sont consacrées au repos, le reste n’est que travail, même les petites vacances. »

Ceux qui n’en peuvent plus… 

Photo : iStockPhoto

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Une jeune professeure d’anglais avec 2 ans d’ancienneté :

« J’ai toujours souhaité être enseignante, depuis la 4ème. Mon rêve était de devenir professeur d’anglais. J’adore cette langue et la transmettre était pour moi le plus beau des rôles. Je voulais en montrer les avantages et montrer à quel point cette langue associée à sa culture est passionnante.
Je souhaite aujourd’hui quitter l’Education nationale car je ne supporte plus le fait de devoir me retrouver devant des élèves à longueur de journée.
Ce métier n’est pas fait pour moi car je n’arrive pas à m’adapter à cette nouvelle génération qui ne donne aucun sens à l’école. Je suis à bout de souffle et je ne me sens plus capable de devoir motiver en permanence les élèves qui ne souhaitent pas être là. »

Je préfère encore devenir intermittente du spectacle que de conserver cette soi-disant « sécurité de l’emploi »

Alexia Guidi, enseignante de français en collège :

« Huit ans que je suis dans l’Education nationale et c’est 8 années de trop ! Marre de me sentir inutile, de culpabiliser sans cesse de ne pas en faire assez alors que j’ai essayé de très nombreuses méthodes pour motiver les collégiens, marre d’être aigrie et pessimiste. Marre de m’ennuyer aussi. Je ne me reconnais plus depuis que je suis prof. Je suis à mi-temps cette année et 9h devant les élèves et c’est déjà trop ! Mon projet de reconversion est lancé, et je crois que je préfère encore devenir intermittente du spectacle que de conserver cette soi-disant « sécurité de l’emploi » qui me donne seulement l’impression d’être prisonnière. Il serait bon que le monde comprenne ce qu’implique ce métier et pourquoi le concours n’attire plus malgré tous les « avantages » que nous avons, nous, ces « fainéants de fonctionnaires ». »

Un professeur des écoles avec 12 ans d’ancienneté :

« Je voulais aider les enfants, surtout ceux en difficultés. Je voulais qu’ils croient en eux. Leur apporter une écoute, un soutien, les faire progresser. J’ai parfois réussi, parfois échoué.
Je souhaite maintenant arrêter d’enseigner car je pense avoir donné ce que je pouvais donner de vrai. La pédagogie ne m’intéresse plus. Je m’ennuie et j’ai pourtant l’impression de m’épuiser en même temps. Je suis loin de mon domicile.
On nous demande toujours plus en nous donnant de moins en moins. Je ne me sens plus assez efficace dans ma mission. »