Stéphane de Freitas

Stéphane de Freitas

Stéphane de Freitas, 30 ans, est le réalisateur du documentaire « A voix haute », diffusé le 15 novembre 2016 dans l’émission Infrarouge sur France 2, vu par plus de 650.000 téléspectateurs et plus de 150.000 fois sur le internet. Créateur de l’association Coopérative Indigo, il est aussi l’initiateur du sujet de son film : le concours de prise de parole Eloquentia, destiné aux 18-25 ans et qui se déroule à l’université Paris 8 Saint-Denis (93). L’acteur associatif revient sur le succès et le propos de son premier long métrage, un mois après sa diffusion.


De quelle manière vivez-vous l’accueil enthousiaste réservé à votre documentaire ?

L’engouement autour du film est hyper surprenant. Mais après cinq ans d’engagement associatif avoir d’un coup, d’un seul, toute cette bonne énergie, tous ces soutiens, cela fait chaud au cœur ! Cela fait beaucoup de bien que vos engagements trouvent un relais et un écho plus fort dans la société. Et puis, il y a une part de réalisme. Nous sommes sous les spot lights, il faut surfer dessus car nous avons bien conscience que cela va s’estomper rapidement. Nous allons tirer partie de la médiatisation pour structurer davantage l’association et trouver plus de financements. Car le nerf de la guerre, c’est l’argent.

Comment analysez-vous cet emballement ?

Finale Eloquentia

Finale Eloquentia

Aujourd’hui, il y a une crise du rapport au monde et du sens. Nous sommes passés d’une ère à voix dominante, celle de l’ORTF, à une ère à voix multiples, avec des milliards de chaînes d’infos et nos réseaux sociaux. Tout le monde parle, mais plus personne ne s’écoute. Le dialogue est assimilé au conflit. On voit se multiplier les clashs, le phénomène des trolls. Cela crée du brouhaha. On vit un moment historique, où les technologies progressent très vite. Le rythme s’accélère. La société est en pleine mutation, avec l’espérance de retrouver une harmonie. Tout le monde exprime ses peurs, ses angoisses. Or il faut s’écouter pour se comprendre.

Ce film montre un lieu où le dialogue peut être sain, constructif, sincère et venir du cœur. Le parti pris d’Eloquentia est de dire qu’il est impératif de recréer du lien dans la société. Cela s’appuie sur trois valeurs fondamentales : le respect profond les uns des autres, l’écoute et la bienveillance, qui consiste à accepter de ne pas être d’accord sans tomber dans la haine de l’autre. Le travail réalisé est un travail sur la parole et la confiance en soi. Ce travail concerne tous les êtres humains.

Par ailleurs, j’ai reçu beaucoup de message de gens me remerciant d’avoir montré la réalité, l’intelligence et les créativités de la banlieue et d’autres qui semblaient découvrir la banlieue sous un autre angle. Ce documentaire, qui se passe à Saint-Denis, va à contre-courant des idées toutes faites sur  » les jeunes de banlieue », expression que je déteste, parce qu’elle catégorise et est dangereuse. J’ai filmé des profils ordinaires et semblables à tellement de jeunes qui essaient d’aller au bout de leur rêve, sans être dans le clivage du « eux » et « nous ». La génération qui se lève est la plus métissée de l’humanité, la plus connectée et la plus interculturelle. Une génération prête à se parler et qu’on ne voit pas à la télé. J’espère que le carton de ce documentaire va éveiller les chaînes.

Lorsqu’elle vous a reçu dans son émission, Sonia Devillers,  animatrice de L’Instant M, sur France Inter, a lancé « et si vous êtes prof de français, séquestrez vos élèves de la 5ème à la terminale pour leur montrer », en parlant de votre documentaire. Quelles sont, selon vous, les vertus éducatives de votre film ?

Eloquentia ne réinvente pas la machine à courber la banane ! Suite à la diffusion du documentaire, j’ai reçu de nombreux témoignages de professeurs qui racontent comment ils mettent l’accent sur la prise de parole, la confiance. Le rapport au langage est une façon de travailler dans une classe, collectivement, sur un espace de dialogue où tout le monde peut s’enrichir, avec, en trame de fond, un travail sur son ouverture aux autres, sa confiance dans son rapport au monde et aux autres. Cela prépare des futurs citoyens capables de se comprendre. Des professeurs travaillent déjà là-dessus et j’ai envie de leur adresser un message de soutien. Il faut continuer !

Si quelque chose est intéressant, d’un point de vue pédagogique, dans l’expérience montrée dans le film, c’est que les jeunes qui y participent se révèlent à eux-mêmes en se révélant aux autres. Prendre la parole, c’est structurer sa pensée en amont. Il y a un travail sur le cœur et le corps. Pourquoi le cœur bat. Pourquoi je transpire. C’est un exercice complet d’introspection et de partage qui se fait aussi avec le groupe et le collectif. Le groupe a le droit de ne pas être d’accord, mais il doit apprendre à le formuler avec bienveillance. C’est un travail collectif et individuel sur le savoir-être. Dans les groupes Eloquentia, des familles se créent. Chacun livre ce qu’il a dans les tripes, son intimité. Les jeunes se sentent bien et ont beaucoup de respect pour les professeurs qui participent à leur épanouissement et les aident à grandir.

Si ce documentaire touche autant de monde, c’est peut être aussi que ce travail-là avec ces jeunes, fait écho à un besoin. Notre système éducatif est encore pyramidal, vertical, mais en pleine mutation. La prise de parole a peu de place à l’école. Elle est plus présente dans le système anglo-saxon. Le rôle du pédagogue est – peut être – de travailler de manière plus horizontale avec les jeunes et d’instaurer du dialogue.